Vous avez peut-être récemment entendu parlé de la forte hausse de prix du médicament Epipen mise en place par Mylan au cours des dernières années. Le produit se vend maintenant $600 aux États-Unis comparativement à $100 en 2009.
En fait, Epipen n’est rien d’autre qu’un injecteur d’épinéphrine (appelée aussi adrénaline). L’ épinéphrine est une molécule que l’on synthétise depuis 1906 et ne coûte qu’environ 10 sous par dose à produire. C’est l’injecteur qui constitue la principale technologie défendue par Mylan. Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de concurrence dans ce créneau? Pourtant, l’Europe ne compte pas moins de 8 versions concurrentes de ce produit (ici).
En 2009, Teva a annoncé qu’elle voulait vendre ses propres Epipen aux États-Unis. Puis, l’entreprise a été poursuivie par Mylan puisque cette dernière affirme détenir un brevet sur le concept d’auto-injecteur. Néanmoins, Teva a tout de même réussi à amener le produit devant la FDA, qui n’a toujours pas donné son approbation à ce jour!
En 2010, l’entreprise Sandoz (division de Novartis) a aussi tenté de commercialiser une version générique d’Epipen, mais ce produit demeure coincé dans une poursuite reliée au brevet, comme ce fut le cas pour Teva. Il est clair que Mylan utilise le système légal pour intimider ses concurrents potentiels, même si elle sait que ses chances de l’emporter sont minces. Ces poursuites permettent aussi de gagner du temps en gardant les concurrents hors du marché un peu plus longtemps.
En juin 2016, une compagnie du nom d’Adamis a décidé de contourner le brevet de Mylan en commercialisant plutôt des seringue pré-remplie d’épinéphrine que les patients pourraient s’injecter eux-mêmes, mais comme vous l’aurez deviné, la FDA a refusé cette idée (ici). Le seul produit encore sur le marché à avoir réussi à franchir les portes de la FDA est Adrenaclick (anciennement appelé Twinject). Cependant, sa part de marché est très limitée à ce jour, malgré le fait qu’il coûte significativement moins cher qu’Epipen.
En 2011, l’entreprise Sanofi tentait de faire approuver sa version générique, nommée E-Cue, mais la FDA l’a initialement refusé car elle n’aimait pas ce nom (ici). Sanofi a donc changé le nom pour Auvi-Q, que nous avons connu au Canada sous la marque Allergec. C’est d’ailleurs ce produit fantastique que mon allergologue a prescrit à mes deux jeunes enfants.
Comble de malheur, en 2015 Sanofi a procédé à un rappel volontaire de tous les Auvi-Q/Allergec dû à un problème potentiel de dosage. Les pharmaciens pouvaient alors les remplacer sans frais par une Epipen. Puis, en 2016, Sanofi décide d’abandonner les droits de commercialisation de ce médicament, laissant un monopole à Mylan. L’entreprise détentrice du brevet, nommée Kaléo (anciennement Intelligect), doit maintenant trouver un nouveau partenaire pour le commercialiser.
Pourtant, seulement 26 cas de défaillance potentielle furent rapportés, comparativement à 2.8 millions d’unités vendues en Amérique du Nord depuis janvier 2013. Aucun de ces 26 cas n’a résulté en un décès. Au Canada, durant les deux années au cours desquelles Allergec a été commercialisé, seulement 10 incidents ont été signalés, comparativement à 34 pour Epipen. On constate donc que les deux produits sont sécuritaires. Pourquoi alors Sanofi a-t-elle abandonné ce produit? Sans doute en raison des risques de poursuites, des coûts potentiels pour vérifier s’il existe bel et bien un problème de dosage, mais aussi pour son incapacité à gagner des parts de marché suffisantes à réaliser un profit intéressant.
L’une des raisons pour lesquelles Adrenaclick et Auvi-Q n’ont jamais réussi à obtenir une part de marché convenable aux États-Unis est que le médecins inscrivent souvent “Epipen” sur leur carnet de prescriptions au lieu d’écrire « auto-injecteur d’épinéphrine », ce qui empêche les pharmaciens de vendre les alternatives moins dispendieuses (Epipen bénéficie d’une règle spéciale à cet égard aux États-Unis et peut-être au Canada aussi). C’est l’une des raisons principales pourquoi les concurrents ont tant de difficulté à percer ce marché, tant au niveau des produits de originaux que des génériques.
Et comme Mylan utilise habilement le système de justice pour faire grimper les coûts fixes, tout comme le font les procédures longues et coûteuses de la FDA, plusieurs concurrents jugent que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il est aussi possible que Mylan soit derrière le rappel de Auvi-Q/Allergec et que cela ait effrayé Sanofi.
Il y a aussi un autre moyen par lequel Epipen s’assure une part de marché supérieure. En décembre 2012, la National Association of State Boards of Education a lancé une initiative visant à aider les écoles à développer des politiques concernant les chocs anaphylactiques. Curieusement, la mère de la PDG de Mylan, Heather Bresch, est devenue présidente de cette association en 2010! Epipen a fait de généreux dons à cette association par la suite. À l’époque, le père de Mme Bresch, un dénommé Joe Manchin, était gouverneur de l’État de Virginie. En 2013, suite à un intense lobby de la part de Mylan, le Congrès a adopté le School Access to Emergency Epinephrine Act, qui prévoyait entre autre du financement fédéral pour que les écoles achètent des injecteurs d’épinéphrine.
Je serais surpris que ces lois et initiatives aient spécifiquement mentionné la marque Epipen (bien que cela soit possible), mais il n’en demeure pas moins qu’étant donné ses alliés politiques, Mylan était en excellente position d’obtenir ces ventes.
Au Royaume-Uni, la dose d’Epipen se vend $69. Il y a au moins deux autres concurrents : Jext et Emerade. En 2015, l’entreprise canadienne Valeant a abandonné la commercialisation d’Emerade aux États-Unis face aux exigences de la FDA. Quant à Alk-Abello, elle voudrait bien lancer Jext aux États-Unis, mais l’entreprise est incertaine si cela en vaut la peine considérant les coûts de règlementation et la domination d’Epipen.
L’autre chose à considérer est que la plupart des assureurs ne paient pas les $608 exigés par Mylan. Ceux-ci vont négocier des rabais souvent par l’entreprise de leurs fournisseurs de service de gestion des prescriptions (aka PBMs). Ainsi, il se peut bien que les PBMs réussissent à obtenir un prix de $420 par Epipen, conservent une portion de l’escompte et revendent le produit $500 à un assureur. L’Affordable Care Act stipule que des rabais minimums doivent être consentis aux assureurs.
Face à ces « rabais » de plus en plus généreux, les pharmaceutiques ont avantage à augmenter leurs prix au détail, qui leur permet de maintenir une bonne marge de profit. Ainsi, Mylan indiquait avec raison que le prix de vente d’Epipen net des rabais aux PBMs a beaucoup moins augmenté que le prix au détail. On constate donc que personne ne paie le même prix pour l’Epipen, ce qui rend l’établissement d’un marché concurrentiel très difficile. Merci ACA…
Conclusion
Le cas de l’Epipen illustre presque toutes les failles majeures du système de santé américain : abus du système de brevet, abus du système légal, règlementation trop lourde, ingérence politique, etc. Le gouvernement devrait d’abord statuer que le concep d’auto-injecteur d’épinéphrine ne peut pas être breveté car cela est trop général. Puis, il devrait abolir la règle empêchant les pharmaciens de proposer une alternative moins dispendieuse à Epipen. Quant aux malversations politiques des parents de la PDG de Mylan, elles découlent de problèmes plus profonds affectant le gouvernement américain qui nécessiteraient des changements dans la constitution pour être réformés.
Ce qui est le plus malheureux est que la gauche en profite pour utiliser cet exemple pour dénoncer les supposés « excès du capitalisme débridé ». Une simple analyse des faits démontre que les causes sous-jacentes à cette problématique découlent directement des politiques gouvernementales et d’un manque de capitalisme!
Quelques sources :
http://slatestarcodex.com/2016/08/29/reverse-voxsplaining-drugs-vs-chairs/
https://en.wikipedia.org/wiki/Epinephrine_autoinjector#History
Les restrictions liées au brevet d’auto-injection sont présentes aussi au Canada. Le monopole de l’Epipen est sensiblement nord-américain, pas américain. J’ai l’impression ici que le bas prix vient surtout du fait que c’est Pfizer qui produit le médicament, et c’est une marque très généraliste contrairement à Mylan. La présidente de Pfizer Canada toutefois aurait supposément dit que c’est la réglementation canadienne qui fait qu’ils ne peuvent augmenter les prix. C’est pas très clair…
Oui, au Canada, la règlementation maintient les prix bas, si bien qu’il y a eu des pénuries d’Epipen il y a quelques mois.
Il a fallu que je joue du coude pour en obtenir pour mes enfants.
La pénurie n’était-elle pas liée au retrait du concurrent d’Épipen en 2015? Ce qui m’échappe aussi c’est que la réglementation des prix au Canada est sur les médicaments brevetés seulement. L’Épipen sa molécule n’est plus brevetée, mais le PMPRB exerce-il un contrôle quand même via le brevet d’auto-injecteur?
C’est évidemment le système des brevets qui est déficient. Il est anormal que l’on puisse breveter des fausses innovations (pourquoi pas l’aiguille de 5,14 cm de long qui n’a surement pas de brevet !). Mais il est aussi anormal que les véritables innovations (ex un antibiotique) ne bénéficient pas de brevets plus longs. Si l’on veut favoriser la vraie R et D couteuse, il ne faut pas dépouiller de leurs bénéfices ceux qui l’ont faite, sinon ils se tourneront vers la recherche de brevets bidons simplement pour bloquer les concurrents.
@JCB
Je ne suis pas d’accord. Les brevets nuisent à l’innovation. Vous devriez lire ceci:
J’ai lu mais je conserve mes doutes. Qui va engager un couteuse RetD si dès le résultat obtenu un concurrent peut l’utiliser ? Sans brevet, l’industriel n’a plus que deux solutions : rentabiliser son idée avant qu’elle soit copiée, ce qui signifie répercuter les couts de Ret D sur une faible production ou encore garder le maximum de secrets de fabrication ce qui n’est pas très efficace avec les méthodes d’analyse et de rétro-ingénierie modernes.
@JCB
En pharmaceutique, les entreprises dépensent davantage en marketing qu’en R&D.
Ce qui signifie qu’il est plus important pour leurs profits de convaincre la population et les médecins que leurs médicaments sont efficaces, que de trouver de nouveaux médicaments.
Plus de 23 études ont été publiées sur le lien entre brevets et R&D. Aucune d’entre elles n ‘a apporté une conclusion ferme mentionnant que les brevets encouragent la R&D!
En fait, il est beaucoup plus facile de trouver des exemples démontrant que les brevets nuisent à la R&D!
Sans brevet, la valeur de la R&D est supportée par l’avantage du premier entrant. Sans brevet, pas besoin de donner de détails sur la nouvelle invention, donc plus difficile à reproduire par rétro-ingénierie.
Les dépenses marketing découlent surtout du fait que la compagnie veut rentabiliser son investissement. Même si on prétendait que l’abolition des brevets stimulerait la R&D au détriment du marketing, je ne vois pas comment l’investissement initial pourrait être rentabilisé.
Ça peut prendre des centaines d’essais et en moyenne 3 milliards de $ pour se rendre au final qu’une seule molécule fonctionne. Brevet ou pas, copier les composantes chimiques est excessivement facile et fabriquer une pilule l’est encore plus. On parle donc de 3 milliards pour avoir quelques semaines d’exclusivité versus des milliers de dollars pour simplement copier tout le travail du premier. Ça ne peut pas être viable.
Peut-être qu’on pourrait plutôt donner une exclusivité à la pharmaceutique équivalente jusqu’à la concurence de son investissement initial. Ça diminuerait déjà les effets pervers d’un brevet d’une durée arbitraire.
@etagrats
Alors comment expliquez vous que l’industrie pharmaceutique allemande et suisse soit devenue un chef de file mondial sans aucune protection des brevets?
Cliquer pour accéder à ip.ch.9.m1004.pdf
C’était il y a une autre époque, quand la science qui permet les découvertes des molécules modernes et complexes n’existait même pas. Le développement est beaucoup plus ardu et couteux aujourd’hui. Tout a beaucoup évolué depuis les années 1890, 1920 et 1970. Je dirais aussi qu’on peut dire la même chose des deux côtés, comment se fait il que les États-Unis soient le chef de file de la pharmaceutique si les brevets tuent l’innovation? D’ailleurs la Suisse et l’Allemagne avaient des brevets depuis les années 1800, c’est juste que le brevet protégait le processus de développement plutôt que la mollécule elle-même. Et ceci fait d’ailleurs beaucoup plus de sens que de donner un chiffre arbitraire de 15-20 ans sur le produit lui-même. Le but étant de protéger l’investissement, pas la compagnie. Reste que c’est faut de dire qu’ils sont devenus des leaders « sans protection de brevets ».