Je suis récemment tombé sur l’un des meilleurs papiers économiques que j’ai pu lire depuis fort longtemps, au sujet des inégalités et des crises financières. L’article de Bordo et Meissner (B&M) se veut une réponse à Raghuram Rajan et son livre « Fault Lines » publié en 2010, lequel affirmait que la crise financière de 2008 aurait été causée par une hausse des inégalités aux États-Unis depuis les années 1970s.
Selon Rajan, face à la hausse des inégalités, les politiciens ont subventionné l’accès à la propriété comme mesure de redistribution, ce qui a causé une bulle immobilière. Pour Rajan, la hausse des inégalités a été causée par l’incapacité du système d’éducation à former des travailleurs spécialisés demandés par les industries contemporaines. J’ajouterais que celles-ci sont davantage causées par une hausse relative de la valeur du travail de haute compétence comparativement au travail non-spécialisé suite à la mondialisation et à la plus grand compétitivité des économies industrialisées.
Rajan affirme que le système politique actuel – fortement polarisé – n’a pas pu user du système de taxation pour redistribuer les revenus et a plutôt usé de l’interventionnisme sur le marché immobilier, par l’entreprise de la Federal Housing Administration et des entreprises paragouvernementales telles que Freddie Mac et Fannie Mae. Ainsi, le gouvernement a tenté de favoriser l’accès à la propriété pour les familles à faible revenu à travers ces entités. J’ajouterais que le gouvernement a aussi usé de la Federal Reserve et de sa politique monétaire expansionniste pour arriver à cette fin.
La thèse de Rajan a été appuyée par un modèle de Kumhof et Rancière, dans lequel les individus des déciles inférieurs en termes de revenus empruntent pour accroître leur consommation face à des revenus stagnants. Leur modèle fonctionne aussi avec la Grande Dépression des années 1930s, ce qui les pousse à le généraliser sous la forme que l’augmentation des inégalités engendre un boum de crédit qui cause les crises financières.
(Pour le reste de cet article, je réfèrerai à Rajan, Kumhof et Rancière sous l’acronyme « RKR »).
Ainsi, B&M propose une analyse plus approfondie du phénomène en incluant d’autres variables au modèle et en augmentant l’échantillon à 14 pays de 1920 à 2008 (plutôt qu’un seul pays pour deux périodes par RKR).
Dans leur revenu de littérature, B&M traite d’une étude de Mendoza et Terrones (2008), analysant 49 boums de crédit dans 48 pays entre 1960 et 2006. Celle-ci démontre que les crises financières suivent généralement une accélération de la croissance du crédit.
Par ailleurs, Borio et White (2003) démontre que les crises financières peuvent être la conséquence d’une forte croissance du crédit, particulièrement lorsque les anticipations d’inflation sont faibles et que la politique monétaire demeure accommodante malgré un boum des prix des actifs. Cet article était vraiment prescient puisque c’est exactement ce qui s’est produit par la suite! Les auteurs affirment que les mécanismes d’équilibre ne peuvent agir dans ces situations puisque c’est la banque centrale qui les contrôle artificiellement.
De leur côté, Schularick et Taylor (à publier) observent, à l’aide de données allant de 1889 à aujourd’hui, que la probabilité qu’une crise financière survienne est liée à la croissance du crédit.
Les données de B&M vont dans le même sens que les trois études mentionnées ci-haut : il y a une forte relation entre la croissance du crédit et l’avènement d’une crise financière. Par ailleurs, leurs données démontrent que les baisses de taux d’intérêt (nominaux et réels) sont aussi un déterminant significatif de la croissance du crédit, ce qui prouve le rôle de la politique monétaire dans la formation des boums de crédit.
Maintenant, la question à laquelle B&M souhaite répondre concernant les affirmations de RKR est la suivante : est-ce qu’une augmentation des inégalités favorise une accélération de la croissance du crédit, augmentant par le fait même le risque qu’une crise financière ne survienne? Leur réponse est un non catégorique, que ce soit en isolant les 1%, les 0.01%, les 5% et les 10% plus riches.
Les inégalités augmentent souvent dans la phase d’expansion du cycle économique. Roine, Vlachos et Waldenstrom (2009) montrent que les revenus des tranches supérieures sont corrélés avec les périodes d’expansion économique. B&M suggèrent donc que la hausse des inégalités n’est pas la cause des boums de crédit (et des crises financières qui les suivent), mais plutôt une conséquence de ceux-ci. Selon eux les plus riches sont en meilleure posture pour bénéficier du boum de crédit que les plus pauvres, ce qui expliquerait la hausse des inégalités durant les boums de crédit. B&M mentionnent par exemple qu’en Suède et en Australie, la hausse des revenus des plus riches a suivi la croissance du crédit dans les années 1980s et non l’inverse. La hausse des inégalités est donc soit coïncidente, mais plus probablement conséquente des boums de crédits, et non leur cause.
Cet article est important pour quatre raisons :
1) Il apporte plusieurs arguments empiriques très solides à la théorie autrichienne des cycles économiques, et particulièrement à son affirmation selon quoi les récessions sont causées par la croissance inflationniste du crédit engendrée par l’interventionnisme des banques centrales.
2) Il confirme l’une des causes principales de la crise financière de 2008, soit l’interventionnisme du gouvernement sur le marché immobilier.
3) Il démontre que les inégalités sont augmentées par les boums de crédit inflationniste.
4) Il démontre que les inégalités ne causent pas les crises financières.
Cet article confirme donc plusieurs de mes affirmations expliquées dans les articles suivants, que je vous invite à lire si ce n’est pas déjà fait :
https://minarchiste.wordpress.com/2011/04/01/le-lien-entre-les-inegalites-et-linflation/
Il y aurait donc un effet pervers de la hausse artificielle du crédit menée par les banques centrales et les politiques monétaires expansionistes !
Si effectivement une fraction plus large de la population utilise ce crédit bon marché et accède a la propriété (et aussi a des achats autres …), les crises qui suivent font en sorte que ce sont les plus riches qui en seraient les principaux bénéficiaires , et les moins riches les principales victimes..
Une hypothèse: est-ce que les riches seraient amenés a être plus rationnels dans leur utilisation du crédit facile en proportion de leurs actifs et leurs revenus ??
Rien de tel qu’un exemple pour l’illustrer :
Ex : L’achat d’une propriété de 300 000 dollars par une personne qui gagne 50 000 par année et dont l’actif est de 50 000 est tout aussi risqué que l’achat d’une propriété de 600 000 de dollars par une personne qui en gagne 100 000 par an et dont l’actif est de 100 000 dollars…Sauf que bon nombre de ceux qui gagnent 100 000 par an et ont un actif de 100 000 dollars n’achèteront pas une propriété de 600 000 , mais vraisemblablement une propriété de prix moindre..
Pour les revenus encore plus élevés, il y aura peut-être moins de besoin ou de tendance a utiliser un crédit facile pour une trop grande proportion de ces revenus que ce soit pour une propriété ou tout autre investissement..La personne qui gagne 1000 000 par an aura en général déjà une propriété , et n’achèra pas necessairement une propriété de 6 millions ..L’utilisation du crédit sera donc plus axée sur des investissement ciblés visant accroître le capital, ou même sur l’acquisition d’aubaines en temps de crise ..
Effet pervers ? nombre de ces aubaines pourront être justement les fruits de cette crise suscitée par un boom du crédit et une politique monétaire laxiste,au détriment d’une large fraction de la population..
J’ai enregistré les 3 PDFs sur mon PC pour quand j’aurai le temps de les lire, mais rapidement, je dirais que je ne comprends pas comment on peut associer inégalités et croissance du crédit, que le 1er conditionnerait le 2nd. A ce niveau là, ce n’est plus de la bêtise, mais de la malhonnêteté intellectuelle. Lorsque le volume de crédit augmente, les taux d’intérêts augmentent, ce qui entraîne deux effets : 1) découragement de la demande de crédits 2) découragement des entreprises à allonger la structure de production, réfrénant immédiatement la croissance des secteurs à fort intensité de capital.
Le plus étonnant avec ces économistes à deux sous, c’est que ceux qui blâment les inégalités comme cause de la crise financière sont ceux là même qui se plaignent des taux d’intérêts privilégiés offerts aux riches, compte tenu du fait que les pauvres sont moins fiables dans leur capacité à rembourser, ce pourquoi les pauvres paient des taux d’intérêts relativement plus élevés (et donc une prime de risque en quelque sorte). Si ce n’est pas une contradiction, qu’est-ce que c’est ?
Le non ne me paraît pas si catégorique que ça… Il faut faire attention à quelle question Bordo et Meissner répondent. B&M ne rejettent pas totalement l’explication de Rajan-Kumhof-Rancière. Leurs résultats montrent certes qu’il n’y a pas un lien systématique entre la dynamique des inégalités et l’apparition de crises financières, mais le rôle des inégalités dans l’émergence de la crise actuelle est moins précis… Et surtout je ne suis pas sûr que l’article fasse état de l’interventionnisme étatique sur le marché de l’immobilier! En revanche, je suis tout à fait d’accord concernant le boom du crédit et l’implication de la politique monétaire (quoique je suis suis plutôt convaincu qu’un faible taux directeur n’est nocif qu’en raison d’une réglementation défaillante).
Je vous invite à lire cet article-ci, écrit avant la crise, et qui exposait les vues prescientes de la BRI (hautement inspirée des travaux de Fisher, Minsky et des autrichiens)…
Cliquer pour accéder à bdf_bm_122_etu_3.pdf
« quoique je suis suis plutôt convaincu qu’un faible taux directeur n’est nocif qu’en raison d’une réglementation défaillante »
Vous inversez le sens de la causalité. La déformation de la structure productive dépend du crédit en premier lieu, pas de la réglementation. Enlevez le monopole de l’émission monétaire et le cours légal, et vous n’aurez plus à vous inquiétez du niveau de réglementation (sous-disant trop faible).
Dans votre papier indiqué, la même erreur est visible. L’auteur ignore tout de la notion de structure productive. Forcément à partir de là, il conclut qu’une faible inflation n’a pas réduit le risque d’instabilité, et donc, la politique monétaire est insuffisante à expliquer les crises. C’est sûr que quand on ne possède pas les outils pour analyser les crises financières, on tombe toujours à côté de la plaque. La seule théorie analysant les structures productives est l’ABCT.
Qui plus est l’auteur n’explique pas d’où vient cette exubérance irrationnelle : je suppose que ça vient d’un coup de baguette magique, n’est-ce pas ? Au hasard la chance.
En vérité, lorsque le crédit est en surexpansion, tout augmente en même temps (investissements, profits, consommation, etc.) alors qu’un allongement de la structure productive sans la surexpansion monétaire conduit à une réduction de la consommation et des stades de production les proches de la consommation. Dans ce dernier scénario, pas d’exubérance irrationnelle.
Alors quand vous nous dites que le document en question est d’inspiration autrichienne, ce n’est pas ce que je vois bien au contraire.
Enfin, je rappelle ce que Machlup disait à ce propos sur la hausse des actifs durant les booms :