Cet article fait suite à une série d’articles que j’ai récemment publiés, lesquels sont :
Les Grands Mythes Économiques : Mythe #5.
Les inégalités de richesse : une source de progrès!
Les inégalités mondiales sont en baisse!
Lorsqu’on mentionne à un gauchiste que ce qui compte n’est pas le niveau d’inégalité des revenus, mais plutôt la mobilité sociale, c’est-à-dire la possibilité pour les enfants issus de familles à revenus modestes d’améliorer leur sort par rapport à leur parents, on nous répond que ce n’est que deux faces d’un même problèmes car les inégalités engendrent l’immobilité intergénérationnelle. Donc en adoptant des politiques visant à combattre les inégalités de revenus, comme l’impôt progressif, des niveaux élevés de redistribution et l’éducation gratuite pour tous, on favorisait automatiquement la mobilité sociale. On nous pointe alors un graphique de la grande courbe de Gatsby telle une preuve irréfutable de cette théorie.
La grande courbe de Gatsby est un concept qui illustre le lien entre le niveau d’inégalité d’un pays et son niveau d’immobilité intergénérationnelle. En résumé, plus vous vous trouvez dans un pays où les inégalités sont élevées, plus il est probable que vos revenus soient similaires à ceux de vos parents. La conclusion serait donc qu’en combattant les inégalités de revenus, on favorise la mobilité sociale intergénérationnelle.
Les données sur la mobilité intergénérationnelle sont très limitées, mais ce que plusieurs études démontrent est que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France offrent une faible mobilité, alors que les pays Nordiques (Scandinavie) présentent une meilleure mobilité.
Lorsqu’on décompose les chiffres de mobilité des Américains et Britanniques et qu’on les compare à ceux des pays Nordiques, on constate que l’écart de mobilité est le plus grand pour le premier quintile de revenu (les plus pauvres). Autrement dit, le problème est que les Américains les plus pauvres ont une mobilité moindre aux États-Unis versus les pays nordiques, alors que les autres quintiles ont une mobilité similaire à celle des pays Nordiques. Le manque de mobilité des États-Unis se retrouverait donc au bas de l’échelle, alors que la mobilité des plus riches est similaire entre ces pays.
Les États-Unis ont le plus grand nombre d’années d’éducation de tous les pays du monde. Le Royaume-Uni quant à lui n’est pas très loin derrière la Finlande, qui est considérée comme ayant un excellent système d’éducation. Le problème n’est donc pas là : les Américains sont en moyenne des gens éduqués. Le problème est plutôt que l’accès aux diplôme plus « prestigieux » et plus rémunérateurs est restreint (j’y reviendrai).
Une chose que l’on observe à travers le monde est une forte corrélation entre le niveau d’éducation des gens et celui de leurs parents. Cette corrélation varie d’un pays à l’autre, mais elle est contenue dans une bande se situant entre 30% et 50%. On remarque que cette statistique est particulièrement élevée aux États-Unis, mais pas au Royaume-Uni.
Cette mesure confirme qu’aux États-Unis, la situation socio-économique des parents explique une part relativement grande de la performance des enfants à l’école. C’est aussi le cas en France et au Royaume-Uni. Le PISA est un test académique international qui permet de comparer la performance des systèmes d’éducation. Ce graphique montre que plus le statut socio-économique des parents est favorable, plus le score PISA sera élevé, mais dans un ordre de grandeur différent selon le pays.
Ce que l’on remarque aussi est que cette persistence du niveau d’éducation des parents s’observe même en bas âge. Les jeunes enfants de parents ayant un niveau élevé d’éducation ont de bien meilleures aptitudes que les enfants provenants de parents moins bien éduqués. Une bonne part de la performance de ces enfants est donc innée et culturelle, c’est-à-dire que les parents les encouragent à lire et à développer leur intellect tout en valorisant l’apprentissage. Encore une fois, cet écart est particulièrement élevé aux États-Unis, ainsi qu’au Royaume-Uni.
À l’adolesence, les enfants provenants de parents plus éduqés font réussissent mieux que les autres et cet écart est très grand en Allemagne, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
À ce point-ci, il y a deux questions auxquelles il faudrait tenter de répondre : 1) pourquoi est-ce qu’aux États-Unis les pauvres ont davantage tendance à le demeurer de génération en génération que dans d’autres pays et 2) pourquoi est-ce qu’aux États-Unis la corrélation entre la réussite scolaire des parents et celle de leurs enfants est plus élevée qu’ailleurs.
En ce qui a trait à la seconde question, certaines études ont démontré que la maternelle et la pré-maternelle peuvent aider à améliorer la mobilité. Selon une étude de l’OCDE, les États-Unis seraient significativement en bas de la moyenne pour les enfants de 3 à 5 ans, mais il en est de même pour le Canada, alors que la France et le Royaume-Uni sont bien en haut de la moyenne. L’élément découvert par les recherches et qui serait possiblement aussi important est la séparation des étudiants en cohortes selon le talent. Les études démontrent que cette pratique nuit grandement à la mobilité, mais elle n’est pas davantage prévalente aux États-Unis, au contraire. Quant à la progressivité des taxes et impôts, les Etats-Unis sont un pays ayant un système fiscal très progressif (faible utilisation des taxes de vente et taxes d’ascise, voir ceci). Le niveau de redistribution des États-Unis est le plus faible de l’OCDE, mais cette variable n’est pas corrélée avec la mobilité sociale. La dernière explication valable serait que la différence de qualité entre les écoles de milieux défavorisés et celles auquelles les riches ont accès est plus grande aux États-Unis qu’ailleurs, mais cela est difficile à mesurer.
Quant à la première question énoncée précédemment, les enfants d’Américains ayant les revenus les plus élevés en viennent aussi à obtenir des revenus élevés parce qu’ils ont la chance de fréquenter les mêmes universités élitistes, très sélectives, très coûteuses et très subventionnées, qui mènent aux revenus les plus élevés par la suite (voir ceci). Ainsi, l’intervention du gouvernement Américain dans l’éducation fait augmenter les frais de scolarité et favorise une forme d’élitisme qui nuit à la mobilité sociale et accentue les inégalités. Et ces frais de scolarité élevés ne servent pas à améliorer l’enseignement, mais plutôt à construire des murs d’escalades, des installations hors-campus dans d’autres pays et, bien sûr, à gonfler la bureaucratie (voir le graphique ci-bas).
La dernière variable à laquelle je me suis attardé est la prime salariale à l’éducation. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont des pays où la prime à l’éducation est très élevée. On pourrait croire qu’il y a une corrélation entre la prime à l’éducation et la mobilité car dans un pays où cette prime salariale est élevée, les parents plus éduqués auront un salaire relativement plus élevé, ce qui les place en situation où ils pourraient davantage soutenir leurs enfants, ce qui améliorerait leurs chances de réussite. Les enfants de parents mieux nantis sont mieux nourris, mieux logés, ont accès à un ordinateur et à l’internet à la maison, ainsi qu’à plus de livres, et peuvent fréquenter des établissements pré-scolaires et scolaires de meilleure qualité, en bénéficiant potentiellement de l’aide d’un professionnel. Cependant, la corrélation de cette variable avec la mobilité sociale est plutôt faible.
Conclusion
Pour améliorer la mobilité de leurs quintiles de revenus les plus pauvres, les États-Unis auraient grandement besoin d’une réforme de leur système d’éducation de façon à en diminuer les coûts et à faciliter l’accessibilité. La promotion de la pré-maternelle à 3 et 4 ans serait aussi une bonne chose pour la mobilité.
Ceci dit, en adoptant des politiques qui détruisent la richesse dans le but de combattre les inégalités de revenu et d’améliorer la mobilité sociale, les gouvernements se retrouveraient à appauvrir leur nation, ce qui serait une mauvaise chose pour les riches, mais aussi pour les pauvres.
Je termine avec cette citation provenant de la revue de littérature la plus complète sur le sujet, produite par l’OCDE :
“The sheer amount of schooling resources and inputs is found to be only weakly associated with student performance. For instance, cross-country evidence suggests that increases in spending on secondary education or in other measureable school inputs (e.g. reductions in class size) do not yield large benefits in terms of reducing the influence of socio-economic background on students’ performance in secondary education. By contrast, the ability to prioritise and allocate resources efficiently, as measured for instance by new OECD indicators (Sutherland and Price, 2007) capturing the degree of decentralisation and the existence of mechanisms matching resources to specific needs, are associated with a lower influence of parents’ socio-economic background on student achievement in secondary education.”
http://www.oecd.org/eco/publicfinanceandfiscalpolicy/45002641.pdf
http://www.pewstates.org/uploadedFiles/PCS_Assets/2011/CRITA_FINAL(1).pdf
https://minarchiste.wordpress.com/2012/11/07/les-inegalites-mondiales-sont-en-baisse/
« Great Gatsby Curve » se traduirait plutôt, il me semble, par « Courbe de Gatsby le Magnifique », vu qu’elle a été nommée ainsi en référence au personnage de F.Scott Fitzgerald.
@Laurent
haha! Merci de la précision, je ne le savais pas.
Je vais le laisser comme ça dans le billet, ça fera sourire ceux qui le savent!
Ça fait longtemps que vous suivez le blogue?
A reblogué ceci sur le blog a lupus…un regard hagard sur l'écocomics et ses finances…..
Merci pour cet article.
Je commence à croire que nos amis de goche, en voyant qu’il y a une plus grande proportion de gros faisant régimes, en arrivent à conclure que les régimes font grossir.
Dire que c’est l’interventionnisme du gouvernement des Etats-Unis qui fait gonfler le coût de la scolarité et donc privilégie les riches est sacrément osé. Merci j’aime être abasourdi de temps en temps. En France le coût de la scolarité est de 30k€ / an non ?
@Marc
Je ne suis pas sûr de comprendre votre commentaire?
Pourriez-vous m’expliquer un peu mieux où vous voulez en venir?
« Ainsi, l’intervention du gouvernement Américain dans l’éducation fait augmenter les frais de scolarité et favorise une forme d’élitisme qui nuit à la mobilité sociale et accentue les inégalités. »
Il y a matière à détailler un peu la corrélation subvention / coût de scolarité…
@Marc
Ce graphique est un bon début:
Serait-il possible de me donner la provenance du graphique de la mobilité intergénérationnelle ? Je ne suis pas capable de la trouver nulle part.
Merci !
L’étude de l’OCDE dont le lien figure au bas de l’article semble avoir disparu. C’est de là que provenait le tableau.
Tu peux essayer de la retrouver en recherchant les termes OECD intergeneraitonal mobility sur google.
Une autre version du tableau se retrouve dans cet article:
Cliquer pour accéder à 02_economic_mobility_sawhill_ch3.pdf
Il me semble que cet article dit le contraire du tableau de votre billet : « there is emerging evidence that mobility is particularly low for Americans born into families at the bottom of the earnings or income distribution ».
Je crois que votre tableau vient plutôt de cette étude : American Exceptionalism in a New Light. Si je fais la diagonale des résultats des tableaux de la page 36 : http://ftp.iza.org/dp1938.pdf … ça donne les mêmes résultats que le tableau de votre billet.
Mais le problème c’est que les conclusions de cette étude disent aussi l’inverse de votre billet : « Indeed, it is very noticeable that while for all of the other countries persistence is particularly high in the upper tails of the distribution, in the U.S. this is reversed – with a particularly high likelihood that sons of the poorest fathers in the U.S. will remain in the lowest earnings quintile ».
Donc celui qui a monté le tableau de votre billet.. a certainement mal compris quelque chose. Pourquoi faire la diagonale ? C’est certainement là le problème…?
En fait est-ce que ce pourrait simplement être que le 1er quintile est celui le plus pauvre plutôt que le plus riche ?
Oui c’est exactement cela. J’ai trouvé les données et le 1er quintile est celui qui est le plus pauvre. Le 5e est celui qui est le plus riche.
Et j’ai retrouvé le tableau ici : http://dx.doi.org/10.1787/423230758402 à partir effectivement du document de l’OCDE : http://www.keepeek.com/Digital-Asset-Management/oecd/social-issues-migration-health/growing-unequal_9789264044197-en#page208
« The table shows that the probability that a son is in the same earnings quintile as his father is always greater in the lowest and highest quintiles, with the probability in the USA being particularly high in the lowest earnings quintile ».
@etagrats
En effet, c’est le cas.
Merci de l’avoir remarqué, je vais corriger l’article sous peu.
Ce que j’ai compris c’est que la mobilité intragénérationnelle est relativement forte aux États-Unis même pour le quintile le plus pauvre. Presque 60% des pauvres montent de quintile en moins d’une décennie. C’est avec la mobilité intergénérationnelle que les américains ont un problème.
Et il me semble que le lien avec les inégalités fait en partie du sens. Le quintile américain est beaucoup plus gros que le quintile suédois. Si chaque quintile suédois comprend 15 000$ de salaire et que chaque quintile de salaire américain comprend 30 000$ de salaire, un suédois qui monte de 20 000$ montera de quintile, mais il reste dans une moins bonne posture qu’un américain qui monte de 28 000$, mais qui reste dans le même quintile.
Mais pourquoi l’Australie et le Canada font exception ? Et pourquoi le lien avec les inégalités serait fort avec la mobilité intergénérationnelle, mais pas la mobilité intragénérationnelle ? Et pourquoi l’augmentation des inégalités des dernières décennies aux États-Unis n’a pas affecté la mobilité intragénérationnelle et intergénérationnelle ?
Sympa la conversation, j’allais noter l’erreur concernant le 1er quintile, mais vu que « etatgrats » l’a déjà fait…
J’aimerai recommander un article sur la courbe de Gatsby. Celui-là. J’écris que les études en général souffrent de problèmes statistiques. Dans l’étude de Jantti, la méthode utilisée ce sont les « transition probabilities/matrices ». Ils utilisent les catégories par quintiles, mais la méthode n’est pas robuste quant aux effets de « floor » and « ceiling » et de fait, peut avoir sur-estimé l’immobilité aux extrémités de la distribution des revenus. Du coup, mieux vaut utiliser les deciles, ou mieux, percentiles. J’ai trouvé une étude qui s’est chargé de cas, et apparemment, la mobilité entre Canada, Sweden, US, sont identiques. En termes relatifs, du moins. Et il est là le problème. Beaucoup de chercheurs se focalisent sur la mobilité relative et non absolue. En fait, quand les canadiens et américains montent à égalité en percentiles, les US gagnent moins en dollars par rapport au Canada.
Par ailleurs, qui vous dit que le « income » et « earnings » sont les bonnes mesures d’indices sociales ? Personne. En vérité, quand on regarde la mobilité par niveau d’éducation, il n’est pas nécessairement très clair que les USA font pire que les pays européens, Scandinaves et le Canada. D’ailleurs, la corrélation parent-enfant des « income » dépend de l’âge de l’enfant quand le revenu du père est utilisé. Par exemple, si vous tentez de corréler les revenus père-fils en utilisant pour variable les revenus prélevés du père quand son fils avait entre 1 et 10 ans, vous obtenez des corrélations (pour les USA) de l’ordre de 20% et plus, mais si vous utilisez les revenus prélevés du père quand le fils avait 20 ans ou plus, la corrélation oscille aux alentours de 5%.
Un autre problème souvent obstrué c’est le rôle important de l’homogamie (assortative mating). Il semble qu’il explique une très large portion de l’immobilité sociale, même au US, surtout que l’homogamie est plus forte aux US que dans les pays scandinaves, apparemment.
La différence entre femmes et hommes n’est même pas éclaircie. Il est injuste que les économistes refusent d’étudier les femmes alors qu’ils possèdent les données pour. Dans l’étude de Jantti (2006), vous pouvez y voir que les femmes américaines ont la même mobilité par revenu que dans les autres pays, et ce à quasiment tous les niveaux (upward or downward mobility).
L’autre déterminant important, c’est le facteur génétique. Quand vous corrélez les revenus des parents à ceux de leurs enfants adoptifs, les corrélations sont très faibles, tournent aux alentours de 0.100 et 0.150. C’est facilement deux fois moins que pour les enfants biologiques.
Une autre curiosité, concerne les possibilités pour améliorer la mobilité. On dit souvent que c’est par l’intermédiaire de l’éducation. Pourquoi pas. Mais ça dépend comment on instaure le programme. J’ai repéré plusieurs études qui montrent que l’accès plus généralisé de l’école aurait, en vérité, réduit la mobilité sociale. La meilleure théorie, à mon avis, c’est que les gens à QI plus élevé (ou familles plus aisées, ce qui est à peu près la même chose) ont bénéficié davantage de cet accès. Autrement dit, s’il est possible d’améliorer la mobilité pour les familles défavorisées, il faudrait instaurer des programmes dont ces familles pauvres auront l’exclusivité d’usage.
C’est trop long pour tout synthétiser. Mon article fait près de 15000 mots. J’espère que vous le trouverez utile. Ça m’a pris 5-6 jours…
Merci pour le lien. C’est effectivement intéressant d’autant plus que le sujet des inégalités est probablement le sujet de l’heure en ce moment.
Je crois donc comprendre que vous approuvez le consensus du lien entre les inégalités et la mobilité ? Et vous semblez aussi approuvez que les plus pauvres américains ont une mobilité plus faible (hormis pour les réserves génétiques et démographiques) ?
Quelque chose qui me surprend toujours, que c’est beaucoup moins précis une comparaison sociale internationale qu’une comparaison temporelle nationale. Pourtant on fait beaucoup moins de cette-dernière. Et il me semble qu’on dit que la criminalité a une forte corrélation aux inégalités, alors pourquoi la criminalité baisse au même rythme que l’augmentation des inégalités depuis les années 70 ? Même chose avec la mobilité intergénérationnelle, elle n’a pas diminuée aux États-Unis selon une étude publiée récemment. Pourtant les inégalités augmentent. Donc la corrélation serait là très clairement de manière internationale, mais pas temporelle ? La question se pose…
Mais quand vous dites que la comparaison parent-enfant des « income » dépend de l’âge de l’enfant, il me semble que vous n’en parlez pas dans votre article ? J’ai peut-être lu trop vite sinon, mais il me semble que c’est très important comme trouvaille. Elle est où cette étude ou ce graphique ?
Merci encore.
« Je crois donc comprendre que vous approuvez le consensus du lien entre les inégalités et la mobilité ? »
Peut-être. Disons qu’à première vue, ça semble juste. Un désavantage initial va s’accentuer au fil du temps car les gens plus aptes apprennent plus vite, ou accumulent plus vite les richesses que les autres. Mais si les gens ne réagissent pas comme vous prédisez, par exemple le fait de distribuer aux pauvres va causer des « welfare/poverty traps », alors dans ce cas, il est possible que l’inégalité ne causera pas nécessairement une mobilité plus faible. D’après ce que Charles Murray a dit dans « Coming Apart » et « Losing Ground » j’ai l’impression que les américains perdent effectivement le sens de la moralité et de l’honnêteté. Je prends l’hypothèse d’un welfare trap très au sérieux.
Maintenant, si je juge uniquement d’après les études empiriques, ma référence préférée reste celle-ci :
Corak, Miles, Lindquist, Matthew J., & Mazumder, Bhashkar (2014). A comparison of upward and downward intergenerational mobility in Canada, Sweden and the United States. Labour Economics, Available online 30 April 2014.
Malheureusement, les études par le passé montrent qu’elles n’étaient pas toujours robustes aux « artéfacts » statistiques. Peut-etre qu’un jour quelqu’un nous apprendra que l’étude de Corak et ses collègues est erronée. Allez savoir. D’après mes connaissances actuelles néanmoins, je pense que c’est solide (et c’est d’ailleurs pour ça qu’il s’agit de mon étude préférée). Mon avis pour l’heure, c’est que le lien entre inégalité et mobilité est plus faible qu’on veut nous le faire croire, et que les USA sont un peu plus mobiles qu’on nous le dit généralement.
« Et il me semble qu’on dit que la criminalité a une forte corrélation aux inégalités, alors pourquoi la criminalité baisse au même rythme que l’augmentation des inégalités depuis les années 70 ? »
Bonne question. Comme vous le savez, il y a deux façons de mesurer cet effet, soit (1) entre pays (across countries) en traçant des courbes de corrélations, Gini par pays sur Y et crime rates par pays sur X, soit (2) en étudiant les mouvements de criminalité et d’inégalités à l’intérieur de chaque pays.
(1) présente l’inconvénient que chaque pays possède des caractéristiques qui lui est propre. En général, les scientifiques utilisent la régression multiple qui consiste à contrôler les autres variables indépendantes inclues dans le modèle, à savoir les facteurs susceptibles d’affecter GDP et qui diffèrent entre les pays. Je l’ai expliqué dans cet article en quoi la méthode est mal utilisée. Quand les autres variables sont contrôlées, la régression multiple évalue simplement l’effet direct de vos variables, mais pas l’effet total qui est composé de effet direct + effet indirect. Or, pour ce dernier vous devez connaitre le sens de causalité entre vos variables indépendantes. Supposez que vous avez pour variable indépendante prédictive le Gini et la corruption, avec GDP/capita pour variable dépendante. Admettons que le coefficient de regression pour Gini et corruption sont de 0.50 et 0.40 respectivement. Si Gini et corruption sont corrélés (0.30), il y aura un effet indirect, mais à qui attribuer l’effet indirect ? Pour Gini ou pour corruption ? Il y a 4 hypothèses, 1) soit Gini cause corruption, 2) soit l’inverse, 3) Gini cause corruption et corruption cause Gini (causalité mutuelle), 4) aucune d’elle n’est la cause de l’autre, mais toutes deux sont causées par une 3ème variable (qui n’apparait pas dans le modèle, donc omise). Si jamais Gini cause corruption, alors l’effet total de Gini est de 0.30*0.50+0.50=0.65, au lieu de 0.50 si jamais c’était la corruption qui cause Gini. S’il y a causalité mutuelle, ça devient évidemment très complexe. La plupart des scientifiques ne savent pas utiliser la régression multiple, ce qui est étrange. Ils croient que ces coefficients donnent l’effet total, ce qui n’est pas vrai. Imaginez que l’effet de la corruption sur GDP est entièrement indirecte, (i.e., il agit sur GDP via Gini et autres facteurs), alors dans tous les cas, le coefficient de régression de corruption sera toujours de zéro, et ce, même si l’effet total est extrêmement large. Les scientifiques concluront que la corruption n’a pas d’effet. Personne en vérité ne peut dire qui de Gini ou corruption est le plus important. Donc cette approche est erronée.
(2) présente l’inconvénient que durant le temps où la criminalité bouge, d’autres facteurs ont bougé durant ce même laps de temps. Selon moi, la meilleure façon de tester la solidité de la corrélation est de re-conduire cette corrélation à travers différents pays, différentes époques (e.g., durant une période de boom, de crises, etc.), différentes régions d’un même pays (rurales, urbaines). L’idée est que si des facteurs aléatoires (et non systématiques) font biaiser les corrélations dans tous les sens, il serait fort improbable (selon moi) que ces corrélations évaluées dans des endroits et temps différents seront toutes biaisées dans la même direction. Car si d’autres facteurs aléatoires entrent dans l’équation, on s’attendrait normalement, je pense, à obtenir des corrélations très diverses, négatives, positives, nulles, avec des effets de tailles qui varient très grandement. Si la corrélation persiste en magnitude et dans la même direction, alors la probabilité d’une causalité augmente.
Je pense que vous comprenez pourquoi on préfère (1) plutôt que (2). C’est plus facile d’obtenir des données transversales (cross-sectional) que d’avoir des données longitudinales.
« Mais quand vous dites que la comparaison parent-enfant des « income » dépend de l’âge de l’enfant, il me semble que vous n’en parlez pas dans votre article ? »
J’en ai parlé. Vous avez raté le passage, mais je reconnais avoir abusé sur la longueur… essayez de faire clic à nouveau sur l’article, faites ensuite CTRL+F, et tapez ensuite « Muller ». Ou voir ci-dessous :
Donc, si vous voulez maximiser les corrélations de revenus père-fils, il faut que vous utilisez les revenus du père, mesurés quand son fils était encore un petit enfant. Ma question est plutot de savoir si oui ou non nous devons préférer utiliser les revenus du père mesuré quand son fils était enfant, ou plutôt adolescent. L’étude en question est ici. Ceci étant, j’avais mis tous les liens sur mon blog.
Définitivement intéressant.
Mais vous croyez sincèrement que les américains sont moins honnêtes et plus paresseux avec l’aide gouvernementale que les suédois ou les canadiens par exemple ? Il me semble que c’est facile comme argument. Est-ce qu’il y a des preuves ou des études là-dessus ?
Parce que si la corrélation entre la mobilité et les inégalités est réelle, pourquoi ne pas augmenter les dépenses sociales comme la Belgique, l’Autriche, la Finlande, l’Australie, la France et les autres ? Ces pays ont plus ou moins le même niveau d’inégalité que les Etats-Unis avant impôts et transferts, alors si la corrélation existe vraiment, il suffirait de faire comme ces pays pour réduire les inégalités au même niveau et donc d’augmenter la mobilité également au même niveau ? Ça m’étonnerait que ce soit aussi simple. Et là on ne parle même pas du Canada versus la Suède : deux pays avec des niveaux de dépenses sociales très différentes, mais une forte mobilité similaire. Ou encore la France et les États-Unis, avec encore des niveaux de dépenses sociales très différentes, mais une faible mobilité similaire. Il doit certainement y avoir d’autres facteurs que les inégalités…
Pour ce qui était de mon exemple avec la criminalité, je voulais seulement rappeler que la gauche intellectuelle et ses best sellers répètent sans cesse que tous nos maux ne viennent que des inégalités (voir Krugman, Piketty ou the Spirit Level avec leurs acolytes). Il me semble que si c’était vrai et aussi simple, il devrait au moins y avoir une certaine corrélation temporelle… mais c’est très loin d’être le cas…
J’aimerais bien savoir ce que Minarchiste en pense aussi !
Article intéressant sur le sujet : http://blogues.journaldemontreal.com/libreechange/actualites/dereglementation-et-inegalites/
J’ai vu l’article. Pas super intéressant en soi, mais les liens insérés le sont, eux.
En général, je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas utiliser des analyses de régressions, sauf si l’on procède longitudinalement, i.e., séries temporelles. Dans vos variables indépendantes, vous devez avoir des variables du genre Gini -5 ans, -10 ans, Mobility -5 ans, -10 ans, etc. Car une causalité doit toujours impliquer un passage dans le temps. Donc dans vos variables, vous devez insérer des variables à « temps décalé » (dit parfois « lagged » en anglais). Ce que peu de gens font apparemment.
Néanmoins, je pense que l’idée selon laquelle « corrélation n’est pas causalité » ne doit pas et ne doit plus jamais figurer dans le discours scientifique. C’est dommageable, et assez répugnant. Bien sûr que les scientifiques connaissent ce proverbe, et c’est pourquoi en général, ils accompagnent leurs stats avec leur théorie favorite. Scott Winship pourrait toujours dire « j’ai trouvé une corrélation (positive) encore plus forte entre mobilité et monoparentalité mais ça n’a aucun sens de dire que la monoparentalité provoque un effet bénéfique sur la mobilité, ce serait même d’ailleurs le contraire » que ceci n’a aucun sens. Comme je l’ai expliqué, il y a bel et bien une raison logique pour laquelle on doit s’attendre, toute chose égale, à ce que redistribution cause (logiquement) plus de mobilité pour les pauvres. Mais la question est : vivons nous dans un monde « all else equal » ? Non, et c’est pour cette raison que les scientifiques utilisent des régressions multiples qui consistent à contrôler divers facteurs confondants. Dans ce cas, y aurait-il des facteurs qui contre-balancent les effets bénéfiques de la distribution ? Sans doute. Mais sont-ils susceptibles de complètement annuler les bénéfices de la redistribution pour les pauvres ? J’en doute. Du moins, en attendant des preuves très concrètes. Ce que je veux dire néanmoins c’est que c’est assez ridicule d’attaquer une théorie pour dire que nous avons besoin d’un test de causalité et non un test de corrélation.
Ceci mis à part, j’ai découvert ceci récemment.
Kopczuk, W., Saez, E., & Song, J. (2010). Earnings inequality and mobility in the United States: evidence from social security data since 1937. The Quarterly Journal of Economics, 125(1), 91-128.
Pour faire court, ça démontre que durant la longue période de hausse des inégalités aux USA (due essentiellement aux top incomes), la mobilité des revenus (e.g., 0-40 percentile to 80-100 percentile) est restée stable malgré tout. Est-ce cohérent avec la courbe de Gatsby ? À première vue, je dirais non.
Par intéressant je voulais surtout dire que c’est bien qu’un média aussi important et « mainstream » discute du sujet sur cet angle.
Et effectivement, la mobilité est restée stable aux États-Unis malgré les inégalités grandissantes. Une étude de janvier 2014 (http://www.equality-of-opportunity.org/files/mobility_trends.pdf) avait fait beaucoup de vagues et un certain malaise dans le camp gauche : http://cafehayek.com/2014/01/john-cassidy-on-income-mobility-and-inequality.html . Je pensais en avoir parlé un peu plus haut. Ceci dit, comme vous l’avez démontré, le consensus à propos du lien entre les inégalités et la courbe de Gatsby semble toujours faire un certain sens statistiquement (du moins selon les données actuellement disponibles).
En tout cas, pour vivre presque la moitié de l’année aux États-Unis entre le Texas, la Floride et la Californie, puis l’autre moitié au Québec, mon humble observation est que la culture afro-américaine et latino (presque 40% des américains) est de façon générale très différente de celle des caucasiens/asiatiques. La nuit souvent même vers 1-2 heure du matin, je vois pleins de familles afro-américaines et latinos magasiner dans les Walmart avec leurs enfants. Ils s’alimentent aussi différemment, au lieu de prendre des fruits et légumes, souvent c’est des bonbons, de la friture, des plats congelés, etc. Ils vivent aussi souvent en ville dans des genres de ghettos criminalisés et pauvres plutôt qu’en banlieue (par exemple). On sait aussi qu’ils abandonnent les études beaucoup plus tôt. On pourrait même inclure les campagnards (« redneck ») là-dedans aussi. Dans l’ensemble, je vois mal comment augmenter les programmes sociaux et réduire les inégalités vont changer ces réalités et la mobilité sociale. Ça me semble beaucoup plus un problème de culture et d’éducation qu’un problème d’inégalités. Mais bon c’est plus une constatation qu’une étude approfondie….
« Mais bon c’est plus une constatation qu’une étude approfondie…. »
N’empêche, je suis assez d’accord avec votre constat. La motivation intrinsèque. Le truc que je ne comprends pas, ceci dit, c’est que je connais pas mal d’études (de questionnaires) démontrant que les noirs ont une plus grande motivation que les blancs pour ce qui est de l’école, et pourtant la mobilité des noirs est plus faible. Donc soit il y a un quelque chose de farfelu dans ces questionnaires qu’on leur pose, soit il y a d’autres facteurs externes. Ou peut-être qu’il s’agit du type de motivation. Les noirs (aux USA du moins, puisque les études que j’ai en tête sont toutes aux USA, principalement de Adele E Gottfried) sont connus pour avoir plus de motivations extrinsèques (i.e., être motivé par le seul résultat ou autres facteurs sociaux externes) que intrinsèques (i.e., faire par intérêt et plaisir), mais inversement pour les blancs, concernant l’école. Or, il s’avère que c’est la motivation intrinsèque qui est de loin le meilleur prédicteur de réussite scolaire. Evidemment, je ne suis pas en train de dire que les opportunités d’éducation vont améliorer la mobilité (ascendante) des plus pauvres (voir mes commentaires plus haut). Il est clair que l’éducation est un facteur important de mobilité, mais le bénéfice semble plus grand pour les enfants de parents aisés. Selon Papierno & Ceci (2005) l’éducation augmente le niveau global des élèves mais aussi les inégalités entre eux. C’est clairement mon opinion.
J’ai fait une mise à jour de mon article sur la mobilité des revenus (ici). J’ai rajouté plusieurs études sur la non-corrélation entre mobilité et revenus à l’intérieur des Etats-Unis, entre états/régions US, à travers le temps. Je recommande en particulier les suivantes :
Bloome, Deirdre (2013; voir figure 3). Income Inequality and Intergenerational Income Mobility in the United States. Working Paper. Russell Sage Foundation.
Chetty, R., Hendren, N., Kline, P., & Saez, E. (2014; voir table 8). Where is the land of opportunity? The geography of intergenerational mobility in the united states (No. w19843). National Bureau of Economic Research.
Dans le 2nd lien (mon préféré), on voit une relation négative entre upward mobility et le Gini bottom 99% dans les régions US. Mais cette même corrélation est de -0.123 et 0.029 (modèles 2 & 3) pour le top 1% (ce sont tous des coefficients de régressions standardisés, donc exprimés en standard deviations). Ceci est important, comme je l’ai dit, vu que les inégalités sont majoritairement dues aux croissances des top 1% incomes. Il y a une autre analyse, probablement jamais faite par quelqu’un d’autre auparavant. Toujours dans leur table 8, ils montrent que, entre pays, il y a certes une corrélation positive entre élasticité (i.e., non-mobilité) et le Gini bottom 99%. Mais quand ils corrèlent l’élasticité avec le top 1%, les corrélations sont de 0.17 et -0.11 (encore une fois, dépendant des modèles). Et ça, c’est vraiment très fort…
Mon regret est que la quasi-totalité des articles provient des USA. La seule étude en dehors des USA est pour le Canada. Il est écrit que la mobilité des top 0.1% ne suit pas la tendance à la croissance des 0.1%, ce qui encore une fois réfute la possibilité d’une telle relation.
Saez, E., & Veall, M. R. (2005). The evolution of high incomes in Northern America: lessons from Canadian evidence. American Economic Review, 831-849.
Je pense que ce genre d’études nous révèlent bien plus que les analyses « between-country ». Et je voudrais en voir plus, en dehors des USA. Je sais qu’il y a de très bonnes données pour les pays scandinaves. Quelqu’un connait-il des études ?