Depuis que Shinzo Abe a été élu premier ministre du Japon en décembre 2012, il a annoncé un plan d’envergure pour revitaliser l’économie Japonaise. En janvier, il a présenté un plan de relance de 10.3 billions de Yens. Les dépenses de l’État vont augmenter de 2% du PIB, ce qui poussera le déficit à 11.5% du PIB en 2013. Ces dépenses seront éventuellement financées par des hausses de taxes, notamment la taxe de vente qui passera de 5% à 8% en 2014, puis à 10% en 2015.
Il a ensuite remplacé le chef de la banque centrale par Haruhiko Kuroda, à qui il a demandé de viser une inflation de 2% quel qu’en soit le prix; il s’agissait donc d’une carte blanche pour créer de la monnaie. À partir de 2014, la banque centrale va acheter des actifs valant 13 billions de yen par mois. Pour le reste de 2013, elle va poursuivre son programme d’assouplissement quantitatif de 101 billions de yens.
Heureusement, il a aussi annoncé quelques réformes structurelles, telles que l’accession au Partenariat Trans-Pacifique, une forme d’accord de libre-échange, qui concerne surtout le secteur agricole du Japon qui est hautement protégé de la concurrence extérieure. Il entend aussi combattre la rigidité du marché du travail, améliorer le système d’éducation, réduire la règlementation et favoriser plus de concurrence, ce qui est excellent.
Plusieurs économistes dit « progressistes », comme Paul Krugman et Joseph Stizlitz, ont applaudi ce plan de relance, qui selon eux devrait sortir le Japon d’un marasme économique qui dure depuis plus de 20 ans. Ils vont même jusqu’à espérer que ce plan serve de modèle aux États-Unis et à l’Europe…
Joseph Stiglitz : “Nonetheless, as many Japanese rightly sense, Abenomics can only help the country’s recovery. Abe is doing what many economists (including me) have been calling for in the US and Europe: a comprehensive program entailing monetary, fiscal, and structural policies.”
Avant de vous donner mon opinion sur ce plan, retournons un peu en arrière pour mettre les choses dans leur contexte historique.
Pourquoi est-ce que le Japon a connu une Décennie Perdue?
Le Japon est un exemple flagrant de l’échec des politiques keynésiennes. Durant la période surnommée Décennie Perdue (1991-2000) et même pour les années suivantes, la croissance du PIB réel a été médiocre et le taux de chômage a significativement augmenté pour demeurer élevé.
Suite à l’Accord du Plaza de 1985, beaucoup d’investissements étrangers ont été effectués au Japon ce qui a fait en sorte que le yen s’est fortement apprécié. En réponse à cette situation, la banque centrale japonaise a adopté une politique monétaire plus inflationniste de façon à engendrer une dépréciation du yen. La masse monétaire a augmenté de 10.5% par année entre 1986 et 1990.
Ainsi, durant les années qui ont suivi, la banque centrale japonaise a généré une croissance très élevée de la masse monétaire du pays, mettant de la pression à la baisse sur les taux d’intérêt et stimulant l’endettement. Cette dette abordable a financé l’expansion d’une immense bulle spéculative qui a gonflé les prix de la bourse de Tokyo ainsi que de l’immobilier japonais. Lorsque la banque centrale a remonté sa cible de taux d’intérêt à la hausse pour contrer la progression de l’inflation, la bulle a dégonflé et l’économie est tombée dans une sévère récession. Les gens ont cessé de dépenser et investir et se sont mis à rembourser leurs dettes; ce qui est la bonne chose à faire dans une telle situation.
Devant cette situation, le Japon a tenté par tous les moyens de stimuler son économie (à la Keynes). Ils ont maintenu les taux d’intérêt à 0% en créant des milliards de yens et ont engendré d’importants déficits gouvernementaux pour financer des dépenses visant à stimuler l’économie. De 1992 à 2000, le gouvernement japonais a mis en place 10 plans de relance économique totalisant plus de 100 billions de yens. Le déficit budgétaire du gouvernement a augmenté à 4.3% en 1996 et à 10% en 1998. Cette année là, le taux d’endettement du gouvernement a atteint 100% du PIB.
En bref, ils ont appliqué la recette de Keynes. Les Japonais ont refusé de laisser la récession « guérir » leur économie. Ils se sont donc retrouvées avec des entreprises moroses et des banques « zombies ». Les mauvaises entreprises étant sauvées par l’État, elles sont demeurées en opération, créant un climat économique peu propice à l’entreprenariat, à l’innovation et à la croissance. Par ailleurs, entreprises étaient tellement endettées qu’elles n’avaient pas d’argent pour investir dans leur capital productif. Ils ont par conséquent fait en sorte de prolonger le marasme économique, lequel dure encore à ce jour.
En fait, le Japon est passé à travers d’une immense bulle de crédit gonflée par la banque centrale, qui a engendré une énorme distorsion dans la structure de son économie. L’intervention gouvernementale subséquente a énormément ralenti (voire supprimé) le processus d’ajustement nécessaire à corriger cette distorsion. Finalement, le vieillissement de la population du Japon a amplifié le problème.
Est-ce que les Abenomics feront mieux ?
Depuis novembre 2012, le marché boursier Japonais (Nikkei 225) s’est apprécié de +57% (au sommet du 22 mai, l’appréciation était de 80%, mais l’indice à baissé depuis). Le taux de change du Yen relativement au dollar US s’est déprécié de -21%. Au premier trimestre de 2013, la croissance du PIB Japonais s’est accélérée à +3.5% par rapport au même trimestre l’an dernier (et +0.9% par rapport au trimestre précédent), aidé par les exportations (stimulées par la baisse du Yen) et par la consommation (la confiance des consommateurs semble s’être améliorée depuis l’annonce du plan de relance et la hausse du marché boursier). Certains observateurs en concluent, un peu trop hâtivement, que c’est la preuve que le plan de Shinzo Abe fonctionne bel et bien…
Le taux d’intérêt 10 ans sur les obligations japonaises a d’abord diminué de 0.75% à la mi-novembre à un bref creux de 0.45% en avril. Cependant, suite aux chiffres positifs du PIB, les anticipations d’inflation ont augmenté ce qui a propulsé le taux à 0.90%. Autrement dit, le marché a d’abord acheté les obligations japonaises espérant revendre à profit dans le programme de la banque centrale, mais s’est ensuite mis à vendre en constatant que l’inflation allait définitivement accélérer.
Il serait parfaitement normal d’observer une embellie économique au Japon au cours de 12 à 24 prochains mois. Comme c’est toujours le cas pour les programmes d’assouplissement quantitatif (« QE »), les premiers à en bénéficier sont les investisseurs boursiers. Par ailleurs, Abe a réussi l’exploit de générer un vent d’optimisme au sein de la population et des entrepreneurs, ce qui donnera des ailes à son plan pendant un certains temps. Par contre, à plus long terme, les résultats seront fort probablement décevants et ont constatera sans doute que les Abenomics auront détruit de la richesse plutôt que d’en créer.
– L’inflation va s’accélérer, notamment suite aux hausses de taxes et à la baisse du Yen qui fait monter les prix des biens importés.
– Avec une inflation en hausse et un marché du travail qui va se resserrer, les gens vont exiger des salaires plus élevés. En fait, ce serait déjà le cas !
– Cela fera grimper les coûts d’opération des entreprises exportatrices, qui deviendront moins concurrentielles et se mettront à reperdre des parts de marché.
– Un Yen plus faible nuira aux importations de biens de capital, ce qui nuira à la productivité des entreprises.
– Lorsque le programme de dépenses du gouvernement sera terminé, beaucoup d’entrepreneurs (et leurs employés) feront fasse à une sérieuse baisse de demande.
– Le Japon est déjà un pays très fortement endetté. Avec ce plan, il le sera encore plus, ce qui réduira sa marge de manoeuvre en cas de récession mondiale.
– N’oubliez pas que la tendance démographique du Japon n’aura pas changé ; c’est-à-dire une vieillissement de la population qui met de la pression sur la croissance économique et sur les finances publiques.
– Une hausse de taux d’intérêt serait catastrophique. Si le taux 10 ans allait à 2%, l’État Japonais devrait consacrer 80% de ses revenus actuels au service de la dette.
– La dette japonaise est détenue en majorité par les banques japonaises, qui subiraient d’importantes pertes advenant une hausse de taux.
Conclusion
L’expérience économique que Shinzo Abe est en train de mener au Japon ne réussira pas à créer de la richesse et à générer une croissance économique qui sera soutenable à long terme. Le PIB semblera accélérer pour un temps, mais le retour du balancier viendra ensuite et le Japon se retrouvera alors (encore) dans une situation encore moins enviable que la précédente, avec un État encore plus endetté et un pouvoir d’achat amputé.
Il y a deux façons de générer de la croissance économique durable : 1) croissance de population et 2) croissance de la productivité. Le plan de Shinzo Abe n’aidera en rien à ces niveaux, il pourrait même nuire en augmentant le fardeau fiscal et en faisant augmenter les coûts des importations de biens de capital.
Les Abenomics ne sont définitivement pas la recette gagnante et je doute que les réformes structurelles « libérales » proposées par Abe ne changeront ce diagnostic, bien qu’elles aideront certaines les choses dans une certaine mesure.
Quelques liens complémentaires et quelques graphiques intéressants:
http://www.businessinsider.com/japan-economy-disaster-2013-5
https://minarchiste.wordpress.com/2013/01/31/la-guerre-des-devises-sintensifie/
http://en.wikipedia.org/wiki/Abenomics
http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/04/11/monetary-policy-in-a-liquidity-trap/
bla
Est-ce qu’il existe des politiques restrictives sur la natalité au Japon comme en Chine ou est-ce un phénomène culturelle?
Je regarde ce tableau et le Japon est vraiment dans la *****.
http://goo.gl/dBfAf
J’imagine que l’imigration est un défi au Japon en raison de la langue mais ils devront faire quelque chose et rapidement.
@Johathan
Je ne suis pas au courant des politiques de naissances, mais je ne crois pas qu’il y en ait.
Ceci dit, le veillissement de la population n’est un problème que dans la mesure où l’État-providence est trop généreux et la bureaucratie étatique trop volumineuse à soutenir par un plus petit nombre de travailleurs…
Autrement, aucun problème avec la décroissance de population, ça pourrait même être une bonne chose à certains égards.
C’est drôle de voir certains gauchistes faire l’apologie de la « décroissance », mais en même temps soutenir les « subventions aux naissances » comme les garderies à $7 et l’assurance parentale.
Très bonne analyse que je partage à 100%!
Comment un pays peut-il s’endetter encore autant, quand il est déjà aussi drastiquement endetté ? Je crois comprendre en lisant votre article que les taux d’intérêts japonais sont excessivement bas depuis plusieurs décennies, mais même si c’est le gouvernement qui contrôle ces taux, il ne peut pas les garder définitivement bas ! Si les taux augmentent, ça serait une catastrophe monumentale pour les dépenses publiques !
Et autre chose… vous parlez d’inflation parce que les politiques monétaires du Japon ont toujours été très expansionnistes, alors pourquoi le pays a subi une forte déflation dans les dernières années ?
Et finalement quel est la différence entre ce fameux plan de relance que tout le monde croit « sauveur » et les 100 milliards de relance des décennies passées ?
Je saisis mal pourquoi tu dis que la croissance économique passe par une hausse de la productivité, car elle n’est que le rapport entre le volume de la production et la quantité de facteurs requise. La France a une meilleure productivité que les USA, pourtant le PIB\tête y est beaucoup plus bas et le chômage y est beaucoup plus élevé.
Vouloir maximiser la productivité d’un pays revient un peu à vouloir maximiser son salaire horaire: ce n’est pas pcq je gagne 100$\heure que je peux dire que je suis plus riche que quelqu’un qui gagne 20$\heure, tout dépend du nombre d’heures totales travaillées.
@Guillaume
Et comment mesurez-vous la productivité pour comparer la France aux USA?
PIB/heures travaillées.
Le boss du syndicat des travailleurs de la construction a dit que que les constructeurs du QC avaient une des meilleure productivité au monde et que c’était une raison pour augmenter leur rémunération, êtes-vous d’accord avec lui?
@Guillaume Poulin
J’ai de la difficulté avec ces chiffres.
Supposons qu’un gouvernement s’endette de $100 milliards et envoie un chèque à tous ces citoyens du même montant. Le PIB va augmenter de $100 milliard, et le ratio PIB/heures travaillées va aussi augmenter. Est-ce que cela signifierait que les gens sont plus productifs? Pas du tout! Donc on compare des pommes avec oranges.
« Je saisis mal pourquoi tu dis que la croissance économique passe par une hausse de la productivité »
J’explique la base ici :
« ce n’est pas pcq je gagne 100$\heure que je peux dire que je suis plus riche que quelqu’un qui gagne 20$\heure, tout dépend du nombre d’heures totales travaillées. »
Disons que les gens qui ont un salaire de $100 ont des compétences qui sont bien plus en demande que ceux qui gagnent $20 de l’heure. Les compétences, c’est ce qu’on appelle le ‘capital humain’. Et comme pour n’importe quel capital, pour former le capita humain il faut épargner (du temps de loisir ou de travail) pour investir (formation, stages, etc).
Bonjour Minarchiste,
Billet intéressant même si je ne partage pas toutes vos conclusions. Je vous invite à prendre connaissance des écrits de Richard Koo, économiste en chef à la Nomura Research Institute. Ces travaux portent justement sur la « décennie perdue » du Japon et il apporte une théorie, appelée « balance sheet recession » permettant d’expliquer plus en détail le vieux démon de la « liquidity trap » de votre vieil ami Keynes. Ses conclusions semblent toutefois contredire quelque peu les vôtres, que je trouve plutôt éparse, je dois l’admettre.
Je vous donne un lien vers un de ses documents. Je présume que vous êtes capable de vous débrouiller en anglais.
Cliquer pour accéder à Koo58.pdf
Au plaisir d’avoir une réponse de votre part,
Nicolas
@Nicolas
Merci pour le commentaire. J’ai apprécié l’article que vous avez mis en lien.
En effet, c’est un papier intéressant, mais je suis en désaccord avec Koo.
1) Normalement, suite à un boum de crédit, les ratios d’endettement augmentent tout comme la masse monétaire. Puis, l’inflation se pointe le bout du nez ce qui force la banque centrale à enlever le bol à punch, ce qui déclenche le désendettement et la désinflation (voire la déflation). C’est ce qui s’est produit pour à peu près toutes les récessions du 20/21e siècle (l’ère des banques centrales). La Grande Dépression, la débâcle Japonaise et la Grande Récession de 2008/9 ne font pas exception.
2) Ensuite, durant la récession qui suit, la banque centrale fait baisser les taux d’intérêt pour inciter les agents à se ré-endetter pour repartir la machine, vers un nouveau niveau encore plus élevé d’endettement.
3) Au Japon, ce ré-endettement était impossible car l’endettement avait atteint une limite difficile à franchir (c’est possiblement le cas aux USA présentement).
4) Cette limite était encore plus contraignante au Japon vu la pression démographique (les gens âgés sont moins enclins à s’endetter). La politique monétaire expansionniste était donc vouée à l’échec.
5) Le problème avec le raisonnement de Koo est qu’il prend comme hypothèse qu’il faille absolument intervenir pour maintenir le niveau de PIB d’avant la récession (le fameux $1000).
6) C’est une erreur, car ce niveau de PIB est insoutenable, ayant été atteint par endettement (donc en devançant de la consommation future). La structure de production d’avant-récession était insoutenable et non-souhaitable!
7) L’autre problème de Koo est qu’il prétent que le $100 peut être dépensé de n’importe quelle manière par le gouvernement pour relancer l’économie.
8) C’est faux car les industries qui souffrent de la récession ne sont pas généralement pas les mêmes que celles qui bénéficient des plans de relance. Il y a donc une différence structurelle dont il ne tient pas compte et qui résulte en du gaspillage qui ne contribue pas à relancer l’économie.
9) Au final, le PIB d’avant la récession – tant par son niveau que par sa structure – n’est pas un objectif souhaitable.
10) Ce qu’il faut pour faire progresser une économie comme le Japon où la croissance démographique est nulle voire négative est une hausse de la productivité et de l’innovation, lesquelles sont financées par de l’investissement dans le capital productif. Les plans de dépenses gouvernementales ne sont pas une panacée à cet égard, vous en conviendrez…
Bonjour Minarchiste,
Merci pour cette réponse rapide et professionnelle. J’indiquerai avant tout que je ne suis pas économiste de formation. J’ai plutôt étudié dans le domaine de l’histoire et j’ai appris de façon autodidacte une base de l’étude économique.
À la lecture de votre critique de Koo, j’ai semblé observer dans vos écrits certaines présomptions de votre part. J’y répondrai car c’est peut-être de là que vient votre incompréhension des arguments de Koo. Dans votre introduction historique, vous semblez indiquer que les récessions du XXe et XXIe sont les résultats des banques centrales principalement. Vous semblez par la suite faire équivaloir « emprunts » et « endettement » avec la même connotation négative.
Ensuite, vous y aller d’une corrélation : population japonaise vieillissante -> moins d’emprunts -> politique monétariste expansionniste -> échec, dont je ne serais pas prêt à accepter la validité totale. Je ne connais pas l’impact d’une population vieillissante sur l’emprunt mais je ne peux concevoir que ce seul facteur conduirait à l’échec des politiques de la banque centrale du Japon. Après tout, quel pourcentage est emprunté par des particuliers et par des entreprises? Ceci serait probablement une meilleure base pour tirer des conclusions.
Je crois également que vous avez mal compris l’argument de Koo. L’exemple du 1000$ est sensé simplifier le processus qu’il appelle « balance sheet recession with cashflow » voulant que les économies des gens (argents mis de côté) ne deviennent plus les emprunts et investissements subséquents des autres (entreprises entre autres). Cet exemple ne se voulait pas une défense du niveau précédent du PIB ou de la structure de l’économie. Il ne mentionne le niveau du PIB qu’à des fins de comparaisons de l’effet de ce phénomène (balance sheet recession with cashflow) lorsque la masse monétaire commence à rétrécir.
Son argument de base est que lors d’une pareille situation (balance sheet recession with cashflow) le gouvernement devra prendre le relai d’emprunter et de dépenser car les entreprises sont soient a) incapable d’emprunter car elles ne sont plus solvables étant techniquement en faillite, soient b) ne veulent pas emprunter même à des taux d’intérêts frôlant ou étant à zéro car elles préfèrent/doivent rembourser des dettes en priorité.
Je crois que c’est peut-être la partie que vous avez mal interprétée. Ce n’est pas uniquement les dépenses gouvernementales qui sont importantes mais aussi les emprunts. Donc, dans son exemple de 1000$, le gouvernement emprunte et dépense les 100$ que les entreprises auraient normalement empruntés afin d’éviter une spiral déflationniste.
Pour finir, vous semblez ignorer un point extrêmement important. Koo parle de cette stratégie, combinaison de politique fiscal et monétaire agressive, pour sortir d’une « balance sheet recession with cashflow » et non pas d’une stratégie à être utilisée à tous les vents. Il mentionne après tout l’endettement astronomique du gouvernement japonais en même que les effets salvateurs de ces emprunts. Comme je le disais, je ne suis pas un expert du monde économique mais pour répondre à votre dernière phrase, avec les yeux d’un historien cependant, les « plans de dépenses gouvernementales » sont ce qui a permis aux diverses civilisations de grandir et d’évoluer. Seuls les états ont cette capacité d’investir sans espérer revoir complètement leurs deniers un jour et ainsi construire des infrastructures qui bénéficieront aux générations futures. Nous n’avons qu’à penser aux célèbres routes romaines pour comprendre cette réalité.
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Nicolas
@Nicolas
Bonjour, voici mes réponses aux points que vous apportez :
« Vous semblez par la suite faire équivaloir « emprunts » et « endettement » avec la même connotation négative. »
Spécifiquement à ceux qui sont financés par la création monétaire insoutenable. Je n’au aucun problème avec le crédit financé par de l’épargne véritable.
« Je ne connais pas l’impact d’une population vieillissante sur l’emprunt mais je ne peux concevoir que ce seul facteur conduirait à l’échec des politiques de la banque centrale du Japon. »
Je n’affirme pas que c’est le seul facteur, ni même que c’est le principal. Le principal facteur est le niveau élevé d’endettement. Pour chaque individu, il y a un niveau d’endettement maximal tolérable, au-delà duquel sa situation financière ne fonctionne plus car le service de la dette occupe une trop grande part du revenu. Le service de la dette est déterminé par trois facteurs : le niveau des taux d’intérêt, le niveau de dette et le pouvoir d’achat. C’est pourquoi les récessions sont généralement déclenchées lorsque la banque centrale augmente les taux d’intérêt pour contrer l’inflation, car à ce moment du cycle économique, l’endettement est élevé, le taux monte et le pouvoir d’achat s’effrite, ce qui coince les ménages.
Par ailleurs, cela n’est pas valide qu’au niveau individuel, c’est aussi valide au niveau de la société en entier : c’est-à-dire qu’il y a un niveau d’endettement maximal tolérable pour une société, et ce niveau diminue avec l’âge moyen de la population. Lorsque le niveau d’endettement est très près de ce maximum tolérable, une politique monétaire ne peut pas relancer l’économie car les gens ne peuvent pas profiter des taux d’intérêts plus bas pour se ré-endetter davantage. À ce moment, la seule sortie de cette impasse est l’épargne pour réduire la dette (c’est-à-dire réduire sa consommation présente pour financier la consommation passée).
« Son argument de base est que lors d’une pareille situation (balance sheet recession with cashflow) le gouvernement devra prendre le relai d’emprunter et de dépenser car les entreprises sont soient a) incapable d’emprunter car elles ne sont plus solvables étant techniquement en faillite, soient b) ne veulent pas emprunter même à des taux d’intérêts frôlant ou étant à zéro car elles préfèrent/doivent rembourser des dettes en priorité. »
Mais il n’explique pas pourquoi le niveau d’endettement total (ménage+entreprises+gouvernement) doit rester le même ! La réponse est que c’est pour maintenir le niveau de masse monétaire et de PIB d’avant l’implosion du boum de crédit, et par le fait même préserver la même structure de production qui n’est pas souhaitable.
J’apprécie votre intérêt pou mon blogue ainsi que votre désir d’apprendre sur l’économie.
À cet égard, je vous propose la lecture de cet article qui explique la théorie autrichienne des cycles économiques.
Vous constaterez que l’approche est très similaire aux keynesiens et aux monétaristes.
La différence est que l’ABCT tient compte de la structure de production et de son évolution dans le cycle économique en fonction des taux d’intérêt.
C’est cette sophistication supplémentaire qui lui permet de si bien expliquer l’économie.
Bonjour Minarchiste,
Désolé du délai de réponse. J’ai été pris dans cette spirale « infernale » de l’école, travail et vie sociale et j’ai dû délaisser notre discussion naissante par manque de temps pour lire et y réfléchir sérieusement, je m’en excuse. J’ai lu les deux articles que vous m’avez présenté (et que vous avez écrits) et comme je le disais, je ne suis pas économiste de formation alors je ne pourrai orienter mes propos vers les parties plus « techniques » de vos écrits. Je tenterai donc de n’écrire que sur ce que j’appellerai la « méta-économie » qui se prête mieux à mon type d’analyse que mes études en histoire me permettent de faire. Également, si vous n’avez jamais lu l’article du Professeur Harvey (le lien est au bas de mon commentaire), je vous le recommande car, à voir vos prises de position, il vous fera réagir fort probablement et vous permettra de mieux comprendre certaines de mes positions.
Je connaissais « l’école autrichienne d’économie » (EAE) d’avant vos textes et je dois avouer que ses arguments ne m’ont jamais convaincu. Je ne veux pas prétendre qu’ils sont « bonnet blanc, blanc bonnet » mais je crois déceler une forte présence philosophique du courant libertarien dans les théories de l’EAE ou encore, ce sont peut-être simplement les libertariens qui se collent à elle, tel Ron Paul qui déclara un jour que « nous sommes tous des autrichiens de nos jours » économiquement parlant. Bien sûr, Dr. Paul prenait ses désirs pour la réalité et à ce que je sache, l’EAE reste une école dans la marge du monde économique.
Pour moi, la plus grande faiblesse des libertariens, et indirectement de l’EAE, reste le fondement de leur idéologie, dans le sens neutre du terme. Lorsque qu’une idéologie se constitue sur la base d’un ou de plusieurs idéaux, (Égalité, Liberté, Supériorité, etc.) il y a toujours des dangers de dérives graves. J’évite normalement de faire de l’argumentation par induction mais les cas offerts à nous sont probants. Pensons à la révolution française, à la révolution russe, au fascisme et nazisme, et dans une moindre mesure, au rêve américain. Ce sont tous de grands évènements mondiaux ayant partis avec un idéal et, au nom de ce dernier, tout fût ou semble permis. Je ne suis pas en train de dire que les libertariens, le rêve américain ou l’EAE sont équivalent au nazisme, bien sûr que non. Cependant, lorsqu’une idéologie tire sa légitimité d’un idéal, ce dernier fini par devenir un dogme devant être défendu à tout prix. C’est un peu ce que nous dit C.S. Lewis, grand historien et philosophe irlandais du 20e siècle dans son livre « The Four Loves » où trois de quatre types d’amour : « l’amour filial, l’amitié et la romance » peuvent passer de dieux à démons, sans la présence du 4e type d’amour, la charité. C’est le grand danger pour moi de toute idéologie basée sur un idéal et non sur des principes ancrés plus fermement dans la réalité des humains, tel la démocratie qui repose principalement sur le très technocrate principe de la division des pouvoirs dans un état. On est loin d’un idéal emballant avec ça…
Je me limiterai à critiquer cette peur bleue que les membres de l’EAE ont envers la monnaie fiat, qui semble être à l’origine de leur dédain des banques centrales et des états, i.e. la croisade digne de Don Quichotte de Ron Paul contre la FED, ainsi que leur amour déclaré des « épargnes » car ils voient ceci comme étant de « l’argent réel ». C’est un point que je considère comme plutôt curieux car après tout, l’argent, quel que soit sa forme : coquillage, pièce d’or, lingots d’or, papier, bit informatique, n’a aucune valeur réelle. Toutes ces formes d’argent n’ont une valeur que parce que l’humain leur en prête une. Tout ceci n’est que circonstanciel, même pour les métaux précieux, et varie selon ce qui est accepté comme type de médiums pour permettre des échanges ainsi qu’avoir une échelle facile pour calculer la valeur des biens dans chaque société. Un dollar est un dollar peu importe qu’il est été créé par ordinateur ou alors imprimé avec la garantie qu’une quantité d’or d’équivalente valeur existe dans des coffres quelque part. Après tout, quand fut la dernière fois qu’une personne vous demanda si vos dollars ou les bits de votre carte de débit étaient confirmés par de l’or dans une voute cachée de tous ?
Si vous lisez l’article du Professeur Harvey, vous verrez qu’il débâtit le mythe de la création de monnaie fiat causant l’inflation pour une économie moderne de façon assez simple en utilisant la formule MV = Py. Il est plutôt bizarre de prendre pour acquis qu’une économie moderne à l’ère de l’internet se comporte comme une économie de « bottes et sabots » le faisait. Contrairement aux économies de nos jours, la capacité d’augmenter toute productivité est extrêmement faible lorsqu’on est limitée à la force humaine et animale et que les structures sociales sont beaucoup plus « simplettes ». Ces économies étaient également beaucoup plus en danger face à une infusion de nouvelles liquidités. Comme l’explique le Professeur Harvey, la somme de liquidités dans une économie moderne ne peut jamais dépasser la demande pour ces liquidités alors qu’autrefois, la liquidité pouvait augmenter rapidement par simple coup de chance et déstabiliser complètement une économie. Un bon exemple de ceci est l’inflation causée par l’arrivée massive d’or et d’argent des Amériques sous le contrôle de l’Espagne des Habsbourg. En allant en premier dans les coffres de l’empire, ils furent dépensés et se retrouvèrent dans une économie n’ayant peut-être jamais demandé autant de liquidité. Si vous croyez toujours qu’il est possible dans une économie moderne que le total des liquidités dépasse la demande de liquidité, alors vous devrez dans votre réponse future m’expliquer comment un tel phénomène est possible. Si vous admettez cependant que c’est en effet impossible alors vous devrez reconsidérer l’idée que « la monnaie fiat est une source de création de l’inflation », qui est semble-t-il une idée de base de certaines écoles économiques dont l’EAE.
Un dernier point qui est à vrai dire une question, dans l’un des articles dont vous m’avez donné le lien, celui portant l’ABCT, vous écrivez : « Pour ce faire, la banque centrale crée de la monnaie, ce qui a comme impact de faire chuter les taux d’intérêt. » Ceci est une question neutre car je cherche à savoir, par quels mécanismes de création de nouvelle monnaie les banques centrales pourraient-elles causer cette chute des taux d’intérêt? La FED en utilise trois principalement et je me demandais le ou lesquels vous visez avec cette affirmation.
Au plaisir de vous lire,
Nicolas Bouchard
P.S. Je ne vous en tiendrai pas rigueur si vous prenez également un certain délai pour digérer et répondre à tout ce que je viens d’écrire.
P.P.S. Le lien du Professeur Harvey :
http://www.forbes.com/sites/johntharvey/2011/05/14/money-growth-does-not-cause-inflation/
@Nicolas Bouchard
« l’article du Professeur Harvey »
Un autre bloggeur me l’a récemment suggéré. Je ne suis pas nécessairement en désaccord. Tant que les réserves de monnaie sont à la banque centrale, elles ne sont pas inflationnistes. Elles doivent être injectées dans l’économie sous forme de crédit pour le devenir. J’y reviendrai.
« l’EAE reste une école dans la marge du monde économique. »
Je ne suis pas d’accord. Hayek a remporté un prix Nobel à ce que je sache. Ce
n’est pas ce que j’appelle être « dans la marge ».
« lorsqu’une idéologie tire sa légitimité d’un idéal, ce dernier fini par devenir un dogme devant être défendu à tout prix. »
Le libertariannisme ne s’appuie pas sur un « idéal », mais bien sur les droits naturels de l’individus, tels qu’élaboré par John Locke, lequel a largement inspiré la déclaration d’indépendance des États-Unis. Ce n’est pas un monde utopique, c’est un principe moral simple : la liberté des uns s’arrête ou celles des autres commence. Et oui ce principe doit être défendu à tout prix, car toute dérive ouvre la porte aux dérives politiques dangereuses telles que le communisme. Le libertariannisme part du principe de base que nous sommes les uniques propriétaires de notre propre corps. C’est simple et concret. Assez bien ancré dans la réalité selon moi!
« C’est le grand danger pour moi de toute idéologie basée sur un idéal et non sur des principes ancrés plus fermement dans la réalité des humains, tel la démocratie »
Et qui détermine les limites de ce qui doit être déterminé démocratiquement? Il faut un principe objectif pour y arriver (par exemple : la liberté des uns s’arrête ou celles des autres commence).
« Un dollar est un dollar peu importe qu’il est été créé par ordinateur ou alors imprimé avec la garantie qu’une quantité d’or d’équivalente valeur existe dans des coffres quelque part. »
Un dollar sans valeur physique sous-jacente ne vaut intrinsèquement que le papier sur lequel il est imprimé. Cependant, sa valeur effective est plus élevée. La différence est que la banque centrale peut en imprimer à outrance, alors qu’elle ne peut créer d’or à partir de rien. Cela lui permet par exemple de créer de la monnaie pour sauver les grands banquiers de la faillite, même si la population n’aurait pas accepté démocratiquement un tel sort. Cela permet aussi au gouvernement de s’endetter pour mener des guerres inutiles et destructives. Sous l’étalon-or, pour faire ce genre de choses il faut lever des taxes et impôts, ce qui requiert un certain appui de la population….ce que vous appelez la démocratie!
« la somme de liquidités dans une économie moderne ne peut jamais dépasser la demande pour ces liquidités »
Bien sûr que oui; mais je préciserais « demande pour ces liquidités au taux qui permet aux banques d’être rentable ». Présentement ce n’est pas le cas aux États-Unis car les banques n’ont pas assez de capital (en raison des pertes subies durant la crise) pour prêter leurs réserves excédentaires et la Fed leur paie le taux du marché, donc pas d’incitatif à prêter les réserves. L’argent dort donc à la Fed. Mais en temps normal, les banques prêtent de façon à minimiser leurs réserves excédentaires. Donc si la Fed injecte des réserves dans le système, elle fait augmenter l’offre de crédit. Et quand l’offre augmente, le prix baisse. Ceci dit, il se peut qu’à un certain moment, il soit plus avantageux de laisser les réserves à la Fed (qui paie de l’intérêt depuis octobre 2008) plutôt que de prêter à un emprunteur incertain. En fait, le taux exigé de cet emprunteur serait si élevé qu’il refuserait le prêt, alors la demande de crédit serait « détruite ». Nous serions donc en situation où l’offre de crédit dépasse la demande.
Lisez le document suivant, très instructif.
À la page 4, dernier paragraphe : « Si la Banque A ne se fait payer aucun intérêt sur ses réserves excédentaires par la banque centrale, elle cherchera à prêter ces réserves excédentaires ou à acheter des titres à court terme. Ces activités mettront une pression à la baisse sur les taux d’intérêt. »
Cliquer pour accéder à sr380.pdf
Mais la clé ici est que depuis la crise, nous sommes dans un cas d’exception car la Fed paie des intérêts sur les réserves, chose inhabituelle (et insoutenable).
Comment éviter l’inflation dans cette situation si l’économie reprend de la vigueur? En augmentant le taux payé sur les réserves! Mais ce faisant, la Fed crée encore plus de réserves…ce qui équivaut à pelleter le problème en avant.
Voir le graphique suivant qui montre qu’en temps normal, pas de réserves excédentaire, et à ce moment toute augmentation des réserves (disons en raison de la politique monétaire) fait augmenter l’offre de crédit, mais depuis que la Fed paie de l’intérêt sur les réserves, les banques n’ont pas d’incitatif à faire des prêts :
De Galli3ctr0 (question reçue par courriel):
pourquoi au Japon la consommation est en berne, beaucoup disent que c’est à cause de la déflation, je n’en suis pas convaincu après avoir lu vos articles mais quand je vois que la taxe de vente va monter, donc les prix aussi ce qui génère de l’inflation, et les consommateurs se ruer dans les magasins suite à l’anonce, je suis à nouveau dans le doute, pourriez-vous m’éclaircir sur ce sujet ?
Cordialement
@Galli3ctr0
Je pense que la consommation suit le niveau général d’activité économique, ce qui reflète en partie un phénomène démographique, mais aussi des politiques économiques dévastatrices.
En effet, les ventes au détail ont augmenté en flèche juste avant la taxe, puis ont flanché suite à son introduction. C’est tout à fait normal, je ne vois pas pourquoi cela vous plonge dans le doute…