Il est bien connu que le nombre d’emplois manufacturiers a fortement décliné aux États-Unis. Entre 2000 et 2007, il est question d’une baisse de 3.4 million d’emplois ou 20%. Entre 2000 et 2016, c’est 5 millions d’emplois ou 28% de déclin. Pendant ce temps, la population du pays a augmenté de 16%. Le nombre d’établissements (usines) manufacturiers a quant a lui diminué de 22% entre 2000 et 2014.
Comme cette période débute au moment où la Chine a joint l’OMC (2001), plusieurs blâment la mondialisation du commerce et le libre-échange pour ces pertes d’emplois (et ceux-ci ont contribué à mener Donald Trump au pouvoir en 2016). Durant cette période, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine a explosé.
Cependant, le contre-argument des économistes en faveur du libre-échange est que malgré la baisse du nombre d’emplois manufacturier, la production (mesurée par le PIB réel provenant du secteur manufacturier) a fortement augmenté. Cette observation suggère que:
1) La mondialisation n’a pas négativement impacté le secteur.
2) Que l’industrie est simplement devenue beaucoup plus productive, grâce notamment à l’automatisation et la robotique.
Ces économistes concluent donc que les emplois n’ont pas été « volés » par la Chine et ses bas salaires, mais ont plutôt été rendus superflus par les robots et les nouvelles technologies de production plus efficaces. Ce point de vue fait consensus chez les économistes.
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Comme les biens manufacturés en Chine coûtent moins cher, le pouvoir d’achat des Américains a été augmenté par la mondialisation, ce qui crée de la demande et des emplois ailleurs dans l’économie, permettant aux travailleurs licensiés de se repositionner.
Cette explication a des implications politiques importantes, car elle est abondamment utilisée par les économistes plus libéraux pour rabrouer les protectionnistes comme Donald Trump et défendre la participation des États-Unis à des accords de libre-échance tels que l’ALENA et à se conformer aux règles de l’OMC.
Par contre, certaines informations contredisent cette thèse.
Calculer le PIB réel n’est pas une mince affaire car il faut tenir compte des variations de prix et des variations de qualité. Ainsi, si un ordinateur est 25% plus performant que le modèle de l’année précédente, le PIB réel associé à cet ordinateur augmentera de 25%. Autrement dit, on fait comme si 1.25 ordinateurs avaient été produits plutôt qu’un seul en réalité.
Évidemment, le travailleur qui a produit cet ordinateur n’est pas plus productif et son salaire ne sera pas augmenté de 25% pour le refléter, car au final, il n’a produit qu’un seul ordinateur tout comme l’année précédente. Cependant, il est évident que de tels ajustements ont pour impact de faire gonfler artificiellement le PIB réel manufacturier. Mais est-ce que cet impact est significatif?
L’économiste Susan Houseman se penche sur cette question depuis plusieurs années (voir ceci). Celle-ci observe, curieusement, que les indices de prix (aussi appelés « déflateurs ») utilisés pour calculer le PIB réel ont été particulièrement faibles en ce qui concerne le secteur manufacturier comparativement au reste de l’économie depuis 20 ans (figure 3).
En fait, cette faiblesse est entièrement attribuable au sous-secteur de l’informatique (figure 4). Autrement dit, l’amélioration de l’efficacité des équipements informatiques, qui s’est traduite par une déflation des prix dans ce secteur, a été si marquée qu’elle a annulé toute l’inflation du secteur manufacturier!
De plus, le secteur manufacturier-informatique a connu une croissance démesurée depuis 20 ans (figure 6), accentuant encore plus la distorsion. En excluant ce secteur du PIB réel manufacturier, Houseman observe que la croissance a été beaucoup plus faible et plus cohérente avec les statistiques de l’emploi (figure 5, ligne bleu foncé). Il y a donc effectivement eu un déclin manufacturier aux États-Unis.
Cette trouvaille de Mme Houseman est renversante car elle change complètement la perspective adoptée par les économistes depuis des décennies et elle a des implications politiques profondes. Pendant tout ce temps, nous avons observé des chiffres de productivité excessivement distordus, qui nous offraient un portrait erroné de la situation.
Les conséquences
Le fait que l’industrie manufacturière ait été stagnante ou en déclin ne justifie pas nécessairement l’adoption de politiques protectionnistes. En théorie, les travailleurs pourraient se repositionner en dehors du secteur manufacturier, dans des secteurs où la demande augmente.
Mais en réalité, cela ne se fait pas en criant ciseau car il y a beaucoup de friction dans ce processus. Un assembleur de portes d’automobiles peut difficilement devenir programmeur chez Google. Plusieurs travailleurs manufacturiers ayant perdu leur emploi se sont repositionnés dans des emplois précaires (comme la restauration, l’hotellerie et le commerce de détail) où les rémunérations sont beaucoup plus faibles et les avantages sociaux inférieurs. D’autres ont simplement arrêté de se chercher un emploi et quitté la population active, faisant diminuer le taux de participation de la main d’oeuvre.
Les deux conséquences immédiates observables sont une augmentation des inégalités de revenus aux États-Unis et une baisse du taux de participation.
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En revanche, nous avons observé une amélioration des conditions des travailleurs Chinois, résultant en l’apparition d’une « classe moyenne » et d’une réduction des inégalités entre la Chine et les pays industrialisés. La mondialisation a définitivement contribué à sortir la Chine du Tiers-Monde. Les salaires des travailleurs Chinois du secteur manufacturier sont d’ailleurs rendus presque aussi élevés que ceux des Américains.
Comme les entreprises technologiques en croissance ne trouvent pas de main d’oeuvre suffisamment qualifiée parmis les chômeurs du secteur manufacturier, elles importent des travailleurs temporaires de l’étranger et font de l’outsourcing ou offshoring. Ceci dit, le manque de main d’oeuvre de haute compétence augmente la prime au diplôme et donc les inégalités.
Conclusion
À la lumière de ces faits, on pourrait être tenté de conclure que le protectionnisme a jadis artificiellement permis aux travailleurs de faible compétence des États-Unis d’obtenir une prime de rémunération, que le libre-échange, lorsque étendu au pays le plus populeux du monde, a éradiqué de manière un peu trop rapide (15 ans), ne permettant pas à cette main d’oeuvre de s’adapter assez rapidement et, causant ainsi d’importants problèmes socio-économiques.
Cela n’est pas équivalent à dire que le protectionnisme est justifiable, mais simplement qu’une transition vers le libre-échange doit se faire plus graduellement et que l’État pourrait intervenir pour la faciliter, surtout en ce qui concerne la formation de la main d’oeuvre.
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Le passage d’une économie mercantiliste vers une économie capitaliste est certes souhaitable, mais il a peut-être été trop rapide durant la période mentionnée plus haut. Cependant, il ne faut pas blâmer la mondialisation des échanges pour les problèmes causés par cette transition; il faut plutôt blâmer les politiques protectionnistes qui ont prévalu auparavant et qui ont structuré l’économie américaine de manière inadéquate.
En ce sens, l’approche de Donald Trump (i.e. revenir vers le protectionnisme) est la mauvaise et sera contre-productive. Ceci dit, les penseurs libéraux qui pensent que les tarifs douaniers devraient être retirés d’un coup unilatéralement devraient se raviser car les problèmes ainsi causés favorise l’émergence de mouvements populistes-socialistes qui militent en faveur d’une expansion du gouvernement pour atténuer ces problèmes, ce qui, au final, nuit à la cause des libéraux.
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Une transition plus graduelle vers le libre-échange (et le libéralisme en général) est donc probablement plus pragmatique.
Ne parlons pas de déclin, parlons de tassement, non ?
A noter que Trump lui pense que le commerce avec la Chine menace les emplois américaine de manière général. Il ne dit pas: « Le commerce avec la Chine a détruit des emplois dans le secteur manufacturier ». Il ne comprend pas que c’est parce que le commerce avec la Chine a détruit des emplois dans certains secteurs, cela a créé d’autres emplois dans d’autres secteurs.
Un papier montrant que le commerce entre les USA et la Chine a certes détruit des emplois aux USA dans certains secteurs mais que cela est compensé par la création d’autres emplois dans d’autres secteurs: http://voxeu.org/article/reconsidering-china-shock-trade
Ce papier montre que ce que dit Trump sur les le commerce avec la Chine est totalement faux. Ce n’est pas néfaste pour l’emploi américain de manière générale (même si c’est néfaste pour l’emploi dans certains secteurs).
En France, l’ouverture commerciale n’est responsable qu’à 13 % du recul de la part de la production industrielle. L’essentiel est dû au progrès technique et aux évolutions de notre consommation. https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/les-causes-de-la-desindustrialisation-en-france
C’est bien la preuve que les protectionnistes surestiment l’impact négatif du libre échange et occultent totalement le rôle du progrès technique et des évolutions de notre consommation.
L’emploi industriel US est plus menacé par le robot que par le Chinois et le Mexicain, mais c’est moins vendeur (Brookings): https://www.bcgperspectives.com/content/articles/lean-manufacturing-innovation-robots-redefine-competitiveness/
Vouloir mettre en place le protectionnisme c’est ridicule vu la robotisation qui est en train de venir. Si ces progrès technologiques sont bon pour l’économie de manière générale, cela va encore plus augmenté la prime au diplôme et donc les inégalités.
Vous voulez dire que 3000 ingénieurs chez apple a 3000 euros/mensuel a plus d’impact économique que 1,2 millions d’employés chinois chez Foxconn a 250 euros/mois ?
1,2 million d’employés qui mangent, qui s’habillent, qui voyagent, qui vont chez le docteur, qui font des enfants … a nettement plus d’impact que 3000 ingénieurs !
Revendre les produits des autres (que l’on peut créer sur place) ne crée pas une grosse richesse, mais juste de la valeur ajoute. (sauf produit que l’on a pas, comme le pétrole, les matières premieres).
Si j’achète 100 kilos de pomme de terre en Chine a 100 euros et les revends en France a 130 euros, il n’y a que 30 euros de richesse crée et le chinois crée 100 euros qu’il va dépenser en Chine.
Si les patates sont crée en France et revendu 130 euros, il y a 130 euros de crée qui vont être dépense en France dans les magasins ou services aux alentours.(il faut donc supprimer les entraves a la creations de richesse en France).
Toute la théorie Fabless tombe a l’eau. Aujourd’hui en Chine c’est totalement hasbeen d’avoir un tel Apple, les chinois font mieux et 50% moins chers. Meme chose pour tout, exemple sur les marques d’articles de sport, totalement inexistante en Chine il y a 30 ans, aujourd’hui 4 marques chinoises, sont aussi connue que Nike et Adidas. Quand Nike ouvre un espace dans un grand mall dans une grande ville, les chinois ouvrent 30 petites boutiques dans toutes la Chine. Dans une ville de 5000 habitants aucuns chinois va acheter une paire de basket occidentales a 60 euros, il va acheter une paire de basket d’une de ces marques chinoises a 20 euros, ou une paire de basket sans marque a 10 euros.
@peterperso
ce que vous écrivez est si vrai qu’il devrait éclater au milieu du visage du (petit) personnel politique et d’un certain patronat (au lieu d’acheter des baise-boats parqués dans la baie de St Trop) que de fabriquer tout ce qui est possible avec des robots, consommer sur place et même exporter à tout vat, serait le meilleur chemin à prendre (mais pour les politicards je crains qu’il ne soient bouchés à l’émeri)!
petite remarque: c’est Chirac qui, en France, a sorti le premier cette idiotie totale du « fabless »
Mitterrand, lui, avait désarmé les avions au Bourget en 81. (80 milliards de francs d’annulations de commandes + toutes les années suivantes)
Autre problème du déclin du a la Chine:
Il y a 2 semaines la police chinoise faisait une descente dans la plus grosse usine qui faisait des faux « LEGO » depuis des années.
30 MILLIONS DE DOLLARS DE VALEUR (leur site target toujours la vente aux étrangers).
Sur leur site, ils annoncent clairement, qu’ils ne vont plus fabriquer a partir du 1er mai 2019 du a la demande de la police chinoise, mais qu’ils vont écouler leur stock jusqu’à épuisement !
Et il ne s’agit que de LEGO, c’est a dire qu’on en voit pas dans tous les magasins.
Dans ma ville chinoise, il y a le marche 2 fois par semaine, Adidas, Nike, Disney, Pepa pig, LV, Christian d’or …. Ils sont a tous les stands.
Meme pas besoin d’aller au marche, on en trouve meme dans des grandes surface de marque Francaise en Chine.