Ce billet fait suite à la partie 1 publiée récemment.
J’ai déjà décrit les circonstances qui ont mené au crash de 1929 dans un billet antérieur. J’y ajouterais que durant cette période de crédit facile, de boum économique et d’exubérance spéculative qui a été surnommée the « roaring twenties » (années folles), la masse monétaire a cru de 7.7% par année entre 1921 et 1929. Durant cette période, les prix à la consommation ont été plutôt stables, alors que l’inflation s’est manifestée essentiellement sur les marchés boursiers et immobiliers. Le crédit étant facilité par toute cette création de monnaie, il n’est pas surprenant que l’endettement ait explosé pour atteindre un sommet inégalé. La bourse a notamment été propulsée par l’expansion des prêts sur marge, ce qui consiste à s’endetter pour acheter des actions.
En fait, au début du mois d’octobre 1929, soit quelques jours avant le crash, le montant des prêts sur marge a atteint un record alors que le taux d’intérêt demandé pour ces prêts était à son plus bas. Les courtiers finançaient jusqu’à 75% de la valeur des actions achetées. Peu avant le crash, la valeur des prêts sur marge était de $8.5 milliards, soit plus que la monnaie en circulation aux États-Unis à l’époque !
Entre 1929 et 1932, le marché boursier a perdu 90% de sa valeur.
Quelles sont les causes de la bulle techno de 2000 ?
La bulle techno s’est essentiellement développée entre 1995 et 2000 ; le sommet du NASDAQ a été atteint le 10 mars 2000. Elle a impliqué les actions d’entreprises reliées à l’internet. Une nouvelle classe d’entreprises est alors apparue : les « dot-coms ». Celles-ci ne faisaient pas de profits, mais leurs actions se transigeaient à des niveaux très élevés sous la promesse que la croissance de l’internet allait en faire des entreprises prospères.
Aussitôt qu’une entreprise s’accolait le préfixe « e-» ou le suffixe « .com », ses actions se vendaient comme des petits pains chauds. Pendant ce temps, prévoyant une croissance exponentielle de la demande de bande-passante internet, les fournisseurs de télécommunications se sont endettés pour investir dans l’accroissement de la capacité de leurs réseaux.
Les cours des actions montaient tellement que des gens quittaient leur emploi pour se mettre à les transiger à plein temps. En fait, de plus en plus de gens ont commencé à s’intéresser aux marchés boursiers et à y investir.
La création de monnaie allait bon train à l’époque. De mars 1995 à mars 2000, la croissance moyenne de la masse monétaire a été de 6.3% par an alors qu’au cours de cette période, la croissance du PIB réel n’a été que de 4.1%. Cette nouvelle monnaie faisait en sorte de mettre de la pression à la baisse sur les taux d’intérêt, ce qui favorisait l’endettement. Le type de dette qui en a le plus bénéficié est le prêt sur marge, soit l’achat d’actions à crédit. Entre 1993 et 2000, les prêts sur marge ont crû de 362% à $284 milliards. Autrement dit, la nouvelle monnaie était utilisée pour spéculer à la bourse.
Notez que cette somme dresse un portrait incomplet du rôle de l’endettement dans la formation de la bulle. Ce montant n’inclut pas les emprunts utilisés pour acheter des fonds communs de placement, à leur tour investis sur le marché boursier. Il n’inclut pas non plus les autres types de dettes qui ont indirectement été utilisées pour investir à la bourse. Par exemple, si vous avez $10,000 d’encaisse que vous utilisez pour acheter des actions, et que vous utilisez votre marge de crédit pour financer des rénovations de $10,000; il est évident que c’est l’utilisation de la dette qui vous a permis d’acheter les actions, sinon vous auriez dû utiliser votre encaisse pour payer vos rénovations.
Plusieurs événements ont pu agir comme catalyseur pour le crash. Tout d’abord, les investisseurs ont commencé à réaliser que les attentes étaient beaucoup trop élevées et que les profits ne seraient pas au rendez-vous. Par contre, le catalyseur principal a été le ralentissement de la croissance de la masse monétaire. La Federal Reserve a relevé sa cible de taux d’intérêt six fois entre 1999 et mars 2000.
La baisse des cours a généré de nombreux appels de marge. Lorsque vous faîtes un achat sur marge et que le prix des actions baisse, le prêteur exigera que vous remettiez de l’argent dans le compte pour renflouer votre marge. Par exemple, si vous achetez des actions de IBM pour $10,000 avec une marge de 50%, vous mettrez initialement $5,000 en marge. Si les actions baissent de 25%, votre placement vaudra $7,500 et votre marge aura fondu à $2,500. Le courtier exigera donc soit de renflouer votre marge à $3,750 (50% de $7,500), soit de vendre les actions et de rembourser le prêt. Les appels de marge ont donc généré des myriades d’ordres de vente pour rembourser les prêts sur marge, ce qui a précipité le marché en chute libre. Entre mars 2000 et octobre 2002, environ $5 billions de dollars ($5 000 000 000 000) de valeur boursière s’est envolée en fumée.
Le graphique suivant présente l’indice NASDAQ Composite et démontre bien l’ampleur de la bulle et du crash subséquent :
Le graphique suivant présente la croissance annuelle de la masse monétaire :
Le graphique suivant présente le niveau des emprunts sur marge comparativement au niveau de l’indice NASDAQ :
Tout comme en 1929, les prêts sur marge et la croissance de la masse monétaire ont joué un rôle prépondérant dans le gonflement de la bulle de 2000. Dans la prochaine partie, nous étudierons la bulle immobilière de 2006.
La prochaine partie risque d’être très intéressante… On en connait les causes, mais le coté technique risque d’être intéressant !!!
« la masse monétaire a cru de 7.7% par année entre 1921 et 1929 »
Je viens de me rappeler un bouquin que j’ai lu il y a un moment. La crise de 1929 de Hautcoeur.
Il avait dit que l’accroissement monétaire était moindre que la croissance du PNB, dans les années 20.
Est-ce que tu as des chiffres qui infirment ou confirment ce qu’il dit ?
Et qu’en est-il des prix à la consommation, des services des facteurs de production ? De mémoire, les prix à la consommation sont restés très stables durant la période 21-29. Les prix des matières premières ont légèrement baissé, ce qui est assez étrange, car si l’on s’accorde sur la théorie autrichienne du cycle, ce sont ces dernières qui auraient dû augmenter le plus. A moins que cela s’explique par le fait que les prix en général n’ont pas augmenté. Les industries n’avaient donc aucune incitation à augmenter la production.
Normalement, une bulle sur un segment de marché (immobilier par exemple) encourage la productivité.
Le problème de la crise de 1929, c’est que la bulle s’est concentrée sur les margin loans, ce qui n’a rien à voir.
Parce que dans le modèle autrichien, la bulle provoque un accroissement de l’investissement des secteurs stimulés, ce qui fait augmenter les prix des facteurs de production, et fine, des matières premières.
Ce n’est pas ce qui s’est produit. Pourquoi ?
@M.H.
» l’accroissement monétaire était moindre que la croissance du PNB, dans les années 20. »
La croissance du PIB a été d’environ 3.5% durant les années 20.
« les prix à la consommation sont restés très stables durant la période 21-29. »
Oui, tout comme durant les années 2000.
« Parce que dans le modèle autrichien, la bulle provoque un accroissement de l’investissement des secteurs stimulés, ce qui fait augmenter les prix des facteurs de production, et fine, des matières premières. »
Pas nécessairement. Prenez par exemple la bulle techno de 2000 durant laquelle les prix des métaux baissaient. En fait, j’estime que la bulle de 1929 a bien ressemblé à celle de 2000. Nous y avons observé une grande augmentation de la détention d’actions boursières. La hausse des cours boursiers a stimulé d’innombrables mauvais investissements.
Il n’y a pas suffisamment de données disponibles sur les roaring twenties pour faire une analyse complète. Tout ce que l’on sait c’est qu’il y a eu beaucoup de création de monnaie, ce qui a stimulé l’endettement et généré un boum insoutenable. C’est ça que la théorie autrichienne prévoit.
Merci.
Tout ce que je sais à propos de 1929, c’est que les cours sont restés assez stables, bien qu’en constante augmentation. L’indice du Dow Jones a explosé à partir de 1927. En fait, c’est surtout la période 1927-1929 qui a été fatale. C’est dans cette période qu’il faut voir les prix (consommation, matières premières, facteurs de production); s’ils ont réellement augmenté, on peut dire qu’il s’est produit des mal-investissements.
Sur le mal-investissement autrichien en général, je supposais que c’était dû aux bulles d’actifs. Mais en 1929, il n’y avait pas de bulle immobilière, ou quelque chose qui y ressemblait.
Autant la théorie du cycle est parfaitement illustrée par la crise actuelle (celle des dot-com et la bulle japonaise aussi), autant je ne vois pas comment elle explique celle de 1929 : il n’y a pas eu de secteur « bullaire ».
Pour qu’il y ait des « mal-investissements », il faudrait que les investissements des entreprises dépassent
de loin les besoins économiques, autrement dit, qu’ils aient été trop optimistes. Était-ce le cas ?
J’ai relu un peu les différentes versions de la théorie du cycle. Que ce soit les textes de Mises, de Hayek, Rothbard ou Hülsmann, ou tout ce qu’on peut trouver sur le web, il semblerait que la théorie ne tient compte que l’accroissement de l’investissement par la hausse de la consommation. L’idée de base, c’est que le crédit dopé génère une hausse de la consommation.
Le krach de 1929 ne présentait pas les mêmes symptômes (les prix étaient relativement bas, non ?). C’était une bulle du crédit, mais plus précisément une bulle boursière, rien à voir avec la consommation.
Bien que la théorie est restrictive, elle ne me semble pas invalidée, au contraire. Simplement, elle ne parle pas des bulles boursières comme étant une cause du mal-investissement.
Est-ce qu’on ne peut pas imaginer que la hausse boursière a tout simplement fourni aux entreprises de fortes incitations à doper la production ? Dans ce cas, peut-on appeler ça un mal-investissement dû à de mauvais signaux ?
@MH
« Est-ce qu’on ne peut pas imaginer que la hausse boursière a tout simplement fourni aux entreprises de fortes incitations à doper la production ? »
Absolument!
« Dans ce cas, peut-on appeler ça un mal-investissement dû à de mauvais signaux ? »
Bien sûr que oui!
« [L’ABCT] ne parle pas des bulles boursières comme étant une cause du mal-investissement. »
Je pense que c’est un corrollaire évident des implications de l’ABCT. De plus, si tu lis fréquemment les publications du Mises Institute, tu constateras que tous s’entendent pour dire que les boums inflationnistes engendrent des bulles dans les prix des actifs. Je ne vois pas pourquoi cela se limiterait à la consommation.
Que le crédit facile soit utilisé pour acheter des maisons, des titres technos, des voitures, des bateaux ou des cinémas-maison, une distorsion sera créée dans l’économie. C’est ça que l’ABCT nous dit.