En août dernier, le magazine The Economist a débuté une série de 6 articles sur de grandes idées économiques par un article sur « Le marché des citrons », par George Akerlof, dont le papier fut publié en 1970. Contrairement à ce que son titre suggère, ce papier ne porte pas sur la vente de fruits, mais plutôt sur l’asymétrie d’information en utilisant l’exemple des voitures usagées, qui peuvent parfois être d’excellente qualité (les pêches) ou de piètre qualité (les citrons).
Imaginez un marché où 50% des voitures sont des pêches (qui valent $2000) et 50% sont des citrons (qui valent $1000). L’acheteur moyen ne sachant pas si une voiture donnée est une pêche ou un citron, il voudra alors payer le prix moyen, soit $1500. Mais dans ce cas, un vendeur qui souhaite vendre une pêche n’acceptera pas un prix si bas, il retirera donc cette voiture du marché. Pendant ce temps, les détenteurs de citrons seront enclins à les mettre à vendre pour $1500 car cela est supérieur à leur valeur.
Les acheteurs réduiraient alors graduellement le prix qu’ils sont prêt à payer, ce qui accentuerait la tendance (évincement des pêches et augmentation des citrons à vendre). On observerait alors un marché constitué entièrement de citrons et les acheteurs disparaîtraient. C’est ce que l’on appelle un « marché déficient ». Cette déficience serait causée par l’asymétrie d’information entre acheteurs (qui ne savent pas grand-chose quant à la qualité du véhicule offert) et vendeurs (qui en savent davantage sur la qualité du véhicule).
Mais est-ce que les choses sont ainsi en réalité?
Bien sûr que non! Le marché des véhicules usagés est très dynamique et non pas déficient. Les acheteurs font des inspections de véhicules avant de les acheter ce qui réduit l’asymétrie d’information. Les vendeurs offrent des garanties et misent sur leur réputation pour convaincre les acheteurs de la qualité de leurs véhicules. Ces éléments viennent certes augmenter le coût des véhicules usagés, mais ce marché n’est pas du tout déficient.
Évidemment la solution à ce faux-problème proposée par George Akerlof et son comparse Joseph Stiglitz consiste à introduire de nouvelles règlementations gouvernementales de manière à diminuer les effets de l’asymétrie d’information. Mais cette règlementation est-elle vraiment nécessaire?
L’exemple du marché du travail
Le marché du travail est un marché où l’asymétrie d’information est très évidente. Les travailleurs en savent bien plus sur leurs qualités et leur productivité que les employeurs potentiels. Lorsqu’il vient temps de combler un poste vacant, l’employeur va chercher des signaux qui lui permettront de réduire cette asymétrie. Ces signaux peuvent être des diplômes, une bonne cote de crédit ou encore l’absence de dossier criminel.
Cette dynamique a en quelque sorte transformé le système d’éducation en une « machine à signaler ». Un diplôme d’Harvard ne fera pas nécessairement de vous un meilleur avocat, mais il signalera aux employeurs potentiels que vous avez démontré des habiletés cognitives supérieures, que vous avez été un étudiant assidu et que vous avez certainement de bon contacts. Dans cette perspective, le système d’éducation ne sert plus à former les étudiants à pratiquer une profession, mais plutôt à trier les jeunes en fonctions de leurs capacités à faire des devoirs et passer des examens. Est-ce une mauvaise chose? Pas nécessairement, mais il est clair que les universités Ivy League sont un moyen très coûteux de signaler la qualité d’un employé potentiel.
En 2007, l’état de Washington a introduit une règle interdisant les employeurs de vérifier la cote de crédit des candidats potentiels avant l’embauche. Le but était de favoriser les minorités, qui ont généralement une cote de crédit inférieure. Depuis, dix autres états américains ont fait la même chose. L’effet observé fut contraire : les minorités eurent davantage de difficultés à se trouver un emploi après l’introduction de cette loi. La raison est simple : ne pouvant plus trier les candidats faisant partie de minorités en utilisant la cote de crédit, qui est un indicateur assez fiable et difficile à falsifier, les employeurs ont décidé d’embaucher moins de ce type d’employés. Autrement dit, cette mesure a augmenté l’asymétrie d’information et rendu le marché moins efficient.
Aux États-Unis, 24 états et plusieurs municipalités ont adopté des règles surnommées « ban-the-box », qui interdisent les employeurs de demander à un candidat s’il est un ancien détenu ou s’il a un dossier criminel. Le même phénomène s’est déroulé en Europe. Le but était d’aider les noirs à se trouver un emploi, car en Amérique, les noirs sont 5 fois plus probables d’avoir un dossier criminel que les blancs. Après avoir lu le paragraphe précédent, vous devez vous douter du résultat de ces mesures dîtes antidiscriminatoires : les noirs et les hispaniques ont eu davantage de difficulté à trouver un emploi qu’auparavant parce que l’asymétrie d’information a augmenté.
On constate donc qu’en vérifiant la cote de crédit et le dossier criminel pour trier les candidats, les employeurs utilisent moins la race comme signal informationnel; ils sont moins racistes. Les règles adoptées par des politiciens stupides et opportunistes sous la pression d’activistes qui ne comprennent rien à l’économie ont eu l’effet contraire à ce qui était désiré!
L’autre problème auquel font face les employeurs est l’ardeur au travail de leurs employés. Imaginez un marché du travail où tous les travailleurs sont payés en fonction de leur productivité marginale. Ce marché serait en équilibre, ce qui implique qu’il n’y aurait pas de chômage (outre le chômage frictionnel). Ainsi, si une entreprise renvoie un employé moins productif, celui-ci pourra facilement se trouver un emploi ailleurs puisqu’il n’y a pas de chômeurs. Pour se prémunir contre ce comportement, les entreprises doivent payer un salaire plus élevé que la productivité marginale. Le résultat d’un prix supérieur au prix d’équilibre est de créer un surplus, c’est-à-dire du chômage. Le risque de tomber au chômage incite les travailleurs à être productifs pour pouvoir conserver leur emploi. C’est ce qu’a démontré un papier de Joseph Stiglitz et Carl Shapiro.
Dans le même ordre d’idées, la réputation d’une entreprise et l’image de marque qu’elle développe agissent tel un signal sur la qualité des produits qu’elle fabrique. Ces éléments réduisent l’asymétrie d’information pour le consommateur, mais en contrepartie, le prix des produits jouissant d’une meilleure image de marque sera plus élevé (car l’entreprise doit faire de la publicité et investir dans le contrôle de qualité). Le corolaire est donc qu’en présence d’information imparfaite, le prix n’est pas égal au coût marginal comme le veut la théorie économique classique. Le marché est donc moins efficient. Mais y a-t-il vraiment une alternative? Je ne pense pas.
Conclusion
L’asymétrie informationnelle est une réalité et elle a un effet négatif sur l’efficience des marchés en faisant augmenter les coûts. Cependant, elle ne résulte pratiquement jamais en un marché déficient (market failure) comme le suggère la théorie des citrons et les gouvernements ne peuvent pas faire grand-chose pour y remédier, comme le voudraient Akerlof et Stiglitz. Au mieux, les gouvernements doivent intervenir le moins possible de manière à ne pas empirer les choses (comme c’est si souvent le cas). L’information dont disposent les agents économiques est certes imparfaite, mais les marchés demeurent tout de même une façon très efficiente d’allouer les ressources dans l’économie.
Le papier des citrons d’Akerlof fut refusé par trois journaux réputés avant d’être publié dans le Journal of Economics. Ces trois journaux qui l’ont refusé avaient peut-être vu juste! Akerlof allait par la suite remporter le prix Nobel et épouser Janet Yellen, qui préside actuellement le conseil d’administration de la Federal Reserve des États-Unis…
https://mises.org/library/lemons-and-nobel-prize
https://fee.org/articles/uneven-information-causes-market-failure/
https://minarchiste.wordpress.com/2012/11/07/les-inegalites-mondiales-sont-en-baisse/
Là où il devient le plus intéressant d’appliquer ces notions d’asymétrie de l’information est dans la gouvernance et dans les processus de décisions de groupe.
Qu’il s’agisse d’une décision familiale, d’un club social, de la gestion d’une petite entreprise, de l’administration d’une corporation ou de gouverner un État, toutes les décisions de groupe sont sujettes au même phénomène à l’approche praxéologique: dans une situation donnée, plusieurs actions peuvent être posées et personne ne peut savoir avec 100% de certitude quelles seront les conséquences directes et indirectes d’une action.
L’idée est que certains membres du groupe perçoivent et comprennent une situation de sorte à proposer des actions menant à des conséquences désirables. Les agissements proposés par ces personnes sont donc des pêches.
D’autres personnes sont mal informées sur les paramètres d’une situation données et proposent des agissements qui mènent à des conséquences indésirables. Les agissements proposés par ces personnes sont donc des citrons.
Dans la plupart des groupes d’humains, la décision d’agir est prise par un petit groupe de gens soi-disant mieux informés.
Dans une famille de deux parents et 3 enfants, une décision par vote à la majorité mènerait probablement à souper au gâteau au chocolat et à passer des journées au parc plutôt qu’au bureau et à l’école. À l’inverse, tout le monde connait une histoire de parents toxicomanes qui font des choix néfastes pour toute leur famille. Quand les parents décident en minorité face aux enfants, on est dans une situation d’oligarchie. Quand maman seule dicte que ce soir on mange une salade, même au détriment d’un papa qui préférait avoir un steak, on est en monarchie. Les décisions démocratiques, les systèmes oligarchiques, la monarchie, aucun système n’est parfait d’emblée pour les décisions de groupe, puisque le système n’est pas garant de l’asymétrie de l’information.
Parfois, certains membres d’un groupe (un sous-groupe) vont volontairement cacher de l’information à l’ensemble du groupe ou vont émettre des informations fausses afin de manipuler le cours de la décision vers ce qu’eux (le sous-groupe) considèrent désirable même si cela entraine des conséquences indésirables pour l’ensemble du groupe. Il s’agit d’aléas moraux et de sélections adverses. Par exemple, les enfants qui omettent d’informer les parents qu’un dégât humide est survenu, puis après un certain temps ce dégât entraine de la moisissure et des dommages plus importants qui coûtent cher à la famille.
Ce jeu d’information cachée ou faussée peut se jouer en chaîne entre sous-groupes à l’intérieur même d’un groupe. Un représentant élu (sous-groupe gouvernement) se fait informer par un lobbyiste (sous-groupe corporation) qu’une entreprise est dans une situation X et sollicite l’investissement de fonds publics (le public incluant tout le monde = groupe) dans un projet. Est-ce que la situation X est bonne ou mauvaise? Est-ce que le [sous-groupe gouvernement] prendrait des décisions électoralistes au détriment de l’économie et du bien du [groupe public]? Est-ce que le [sous-groupe amis de fraternité universitaire] omettra d’informer le [groupe public] de promesses de retours d’ascenseurs qui vont inciter le représentant élu à mal informer le [groupe public] pour amener à une décision spécifique?
La règle d’or est la suivante: plus il y a d’asymétrie d’information à l’intérieur d’un groupe, plus le groupe prendra de décisions qui entrainent des sélections adverses et des aléas moraux.
Comment fait-on alors pour savoir qui est mieux informé, qui omet de fournir de l’information, qui fausse l’information et qui propose les meilleures actions à poser dans une situation?
C’est exactement là où se trouve le problème de la démocratie par représentation et de la gouvernance de l’État. Les politiciens vendent les idées et les actions à poser. En leur laissant une prérogative de confidentialité dans leur mandat de représentation, c’est comme si on laissait au concessionnaire la possibilité de verrouiller le capot de certaines voitures. Pour ce qui est de la garantie, les politiciens ne sont jamais responsables des conséquences des actions de l’État. Il n’y en a donc jamais.
Dans un marché de voitures d’occasion où les concessionnaires peuvent, à leur discrétion, empêcher l’inspection et ne fournissent jamais de garanties… Est-il étonnant de se retrouver avec un marché rempli de politiciens citrons?
Si la théorie fonctionne, pour avoir des politiciens pêche, il faudrait donc permettre à l’acheteur de réaliser l’inspection et de négocier une garantie.
Une alternative serait la démocratie par mandat impératif. Il faudrait cependant voire à ce que le système de partage de l’information et de prise de décisions soit rapide et efficace. Les partis pirates avec le système liquidfeedback sont une expérience intéressante à cet égard.