L’un des plus grands exemples de dérèglementation manquée est le marché de l’électricité de la Californie vera la fin des années 1990s. Pour plusieurs, c’est une illustration parfaite d’un échec du libre-marché*. Voici ce qui s’est réellement passé.
Au début des années 1990s, les prix de l’électricité étaient très élevés en Californie, ce qui fait en sorte que beaucoup d’entreprises énergivores fuiyaient cet État. Les investissements dans la capacité de production étaient insuffisants, notamment en raison de contraintes environnementales, ce qui faisait en sorte que le marché était trop « serré », et la situation monopolistique de cette industrie faisait en sorte que les entreprises n’avaient pas d’incitatif à améliorer la situation.
L’implantation d’un marché de l’électricité fut la solution proposée par le gouverneur de Californie. Le principe est simple: lorsque la capacité n’arrive plus à fournir la demande, le prix augmente, ce qui incite les producteurs à augmenter leur capacité de production en investissant dans de nouvelles centrales et à ramener le marché en équilibre. L’investissement est donc stimulé par le marché.
En 1996, s’amorce le processus de dérèglementation. Les entreprises combinant la distribution et la production ont été forcées à vendre leurs actifs de production à des producteurs indépendants (les IPPs), séparant ainsi ces deux activités. Environ 40% de la capacité de production californienne est passée des « utilities » aux mains des IPPs. C’est en avril 1998 que le marché « spot » de l’électricité a commencé ses opérations. Les distributeurs devaient acheter leur électricité des producteurs sur ce marché une journée à l’avance.
Question de mieux faire avaler la pilule, le prix à la consommation de l’électricité a été plafonné à 6.7 cents/KWh jusqu’en juillet 1999 et par la suite, toute augmentation demandée par les distributeurs devait être approuvée par les autorités de règlementation (un processus long et complexe). Par contre, le prix de gros (wholesale) payé par les entreprises de distribution et qui se transige sur le marché spot n’était pas plafonné et était fortement corrélé au prix du gaz naturel. En Californie, comme dans bien des endroits, le gaz naturel est le carburant utilisé par les usines qui fournissent les périodes de pointe. Le prix du gaz naturel représente donc souvent le coût marginal de production dans ces marchés.
Entre 1998 et 2000, le prix de gros (fixé par le marché) s’est maintenu sous le prix plafond à la consommation, donc aucun problème. Cependant, une importante sécheresse survenue 2000 a fait en sorte de réduire la production d’hydro-électricité importée en Californie du Nord-Ouest. Cette baisse de l’offre d’électricité combinée à une augmentation drastique du prix du gaz naturel a fait explosé le prix de gros sur le marché californien. Le prix du gaz naturel avait été stimulé par un hiver froid et une rupture d’oléoduc en 2000.
Comme les distributeurs ne pouvaient pas repasser l’augmentation aux consommateurs, ceux-ci ne réduisaient pas leur consommation; la demande était donc inélastique et les distributeurs devaient vendre à perte, ce qui devait inévitablement les mener à la faillite. Le prix règlementé (agissant comme un prix plafond) empêchait donc le signal du marché de se rendre aux consommateurs.
De plus, certaines entreprises telles que Enron et Reliant se sont mise à manipuler le marché. Plusieurs stratégies étaient utilisées, mais bien souvent elles tournaient autour des réseaux de transmission, notamment la jonction entre le réseau de Californie du Nord et celui du Sud. Cette jonction agissait comme un « goulot d’étranglement » que Enron s’amusait à paralyser en réservant la capacité de transmission sans l’utiliser. Cela faisait encore plus augmenter le prix de l’électricité et permettait à Enron de réaliser d’énormes profits. Évidemment, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) se devait de contrer ces stratégies, mais elle n’avait pas les ressources et la sophistication nécessaires pour le faire à cette époque.
D’autre part, il y avait souvent des interuption pour l’entretien de centrales qui se produisaient en même temps, ce qui est normal puisque les producteurs indépendants n’avaient aucun incitatif à coordonner leurs interuptions d’entretien pour ne pas qu’elles se fassent en même temps. Les producteurs avaient plutôt un incitatif à faire leurs interuptions d’entretien en même temps, puisque cela créait des hausses de prix drastiques et leur permettait d’empocher des profits élevés.
Comme les distributeurs avaient de la difficulté à joindre les deux bouts, ils ont eu de la difficulté à payer les producteurs. Certains d’entre eux ont donc arrêté de produire, ce qui a encore contribué à exacerber la pénurie et à faire monter le prix. En Janvier 2001, l’état d’urgence a été décrété par le gouverneur Davis.
Alors, s’agissait-il réellement d’un échec du libre-marché? Demandons-nous tout d’abord s’il s’agissait réellement d’un libre-marché. La plupart des observateurs s’entendent pour dire que la dérèglementation partielle (plutôt que complète) est à l’origine de la crise. Cette crise aurait pu être évité:
1) Si les distributeurs avaient pu demander le prix du marché à leurs consommateurs. Ça aurait limité la demande durant les périodes de pointe et donné du répit au prix. Ça aurait aussi permis aux distributeurs de maintenir leur santé financière. Comme c’est toujours le cas, les prix plafonds créent des pénuries…
2) Si l’on avait permis aux distributeurs de s’entendre avec les producteurs sur des contrats à long terme à un prix et pour une quantité prédéterminés. En effet, le marché californien de l’électricité était devenu un « one day ahead market » ne permettant pas de contrats long terme. Cela aurait pu stabiliser le marché et ça aurait permis aux distributeurs de réduire leur risque d’opération tout en permettant aux consommateurs de bénéficier d’une certaine stabilité des prix. D’ailleurs, la construction d’une centrale d’électricité peut prendre plusieurs années. Il est donc logique que des contrats d’approvisionnement de plusieurs années soient négociés entre les producteurs et les distributeurs. C’est de cette façon que les choses fonctionnent aujourd’hui dans les marchés dérèglementés.
3) Si la FERC et les autorités de règlementation de Californie (California Energy Commission) avaient remplis leur mandat de supervision pour s’assurer que le marché ne soit pas manipulé. L’autre facteur ayant contribué à la crise est la contrainte environnementale imposée par l’État de la Californie aux producteurs, celle-ci ayant aussi contribué à la pénurie. Vers 1995, la FERC avait refusé 1,400 mégawatts de nouvelle capacité (renouvellable et cogénération) sous la pression du lobby des utilities, parce que ces centrales auraient compétitionné avec les leurs. La FERC avait alors justifié sa décision en se basant sur des prévisions de demande beaucoup trop basses provenant de la California Energy Commission.
4) Si le Independent System Opérator (ISO), qui est en charge du réseau, avait pu coordonner les interuptions pour entretien de façon à ce qu’elles ne se produisent pas en même temps.
*(Voir par exemple François Rebello, « Le faux privé », Commerce, novembre 2007, p. 18),
Oui, il y a eu des interventions, mais le problème de base n’était-ce pas le monopole d’Enron ?
Et d’ailleurs, comment l’a-t-il obtenu ? J’ai entendu dire qu’il a mené des activité de lobby, mais dans quel sens ?
2) Interdire les contrats long terme, c’est évidemment stupide : cela aurait permis de négocier un peu les prix. Mais le monopole d’Enron n’était pas plus gênant ? Parce que l’article n’en parle pas beaucoup.
Je ne suis pas sûr que Enron avait un monopole, mais la concurrence était fortement limitée par la règlementation, ce qui conférait aux joueurs en place le pouvoir de manipuler le marché à leur guise.
En effet, le lobby de Enron était probablement très influant.
Il semble que lors de la crise de 2000-2001, les producteurs n’aient pas produits toute l’électricité qu’ils auraient pu (tout en gardant un prix supérieur au coût marginal). Tout simplement parce qu’en augmentant la production, les prix auraient tellement diminué qu’ils auraient moins touché qu’en produisant moins.
C’est en cela que l’on a parlé de manipulation de marché.
Maintenant, il est effectivement probable que si l’on avait laissé les distributeurs et les producteurs conclure des contrats pour garantir une continuité des approvisionnements, ou simplement qu’il y ait eu plus d’unités électriques en service, les producteurs n’auraient pas eu de pouvoir de marché et il n’y aurait pas eu de « manipulation de marché ».
Je suis un peu sceptique sur l’impact qu’aurait eu la liberté des prix facturés au consommateur (même si c’est une bonne chose à faire), car pour stopper les pénuries, il aurait sans doute fallu des compteurs « intelligents » pour indiquer qui a consommé pendant les périodes de pointes, compteurs qui n’auraient pas pu être installés si vite.
@Fred
Extrait du billet:
« Comme les distributeurs avaient de la difficulté à joindre les deux bouts, ils ont eu de la difficulté à payer les producteurs. Certains d’entre eux ont donc arrêté de produire, ce qui a encore contribué à exacerber la pénurie et à faire monter le prix. »
Concernant les manipulations de marché, voir ceci:
http://en.wikipedia.org/wiki/California_electricity_crisis#Market_manipulation
Autre aspect dont je n’ai pas parlé dans le billet: les restrictions goouvernementales sur l’offre. Du Mises Institute:
« In California, in the last decade, only power plants using natural gas as their fuel have been allowed to be constructed, and such plants now account for most of the state’s generating capacity. Such power plants are substantially more expensive to operate, and would quickly be plunged into unprofitability if exposed to the competition of other types of power plants.
Moreover, the government-caused dependence on natural gas as the source of fuel for power plants has contributed to the sharp rise in the price of natural gas to record levels. The rise in the price of natural gas has been especially great in California, where lack of adequate pipeline capacity has limited natural gas supplies more than in the rest of the United States. »
« Powerful environmental groups were reassured of stringent environmental rules and zoning restrictions. »
« the law prohibited long-term power contracts and made the spot market-the most volatile of all-the only market »
Finalement, le meilleur document que j’ai trouvé sur le sujet:
Cliquer pour accéder à R_103CWR.pdf
« First, California’s electricity sector was rocked by a number of events unrelated to restructuring: the rise in national natural gas prices, higher costs for pollution permits, and a drought in the Northwest which reduced available imports of electricity. Even if the electricity sector had remained regulated, prices would have increased, and some blackouts would have possibly occurred between May 2000 and June 2001.
Second, although regulators have yet to uncover a smoking gun clearly establishing that merchant generators strategically manipulated wholesale
market prices, market and regulatory conditions created an environment ripe for the exercise of market power. Recently, regulators have uncovered evidence of market manipulation strategies employed by Enron and other electricity trading firms. These strategies, however, targeted small ancillary markets, such as those that manage congestion on transmission lines. They did not uncover any evidence of manipulation of the main market for wholesale power. The shortages in generating capacity played a critical role, increasing the bargaining strength of merchant generators and signaling the enormous profits that could be gained through supply shortages. At the same time, the excessive reliance on the spot market increased the opportunities and incentives for generators to increase their prices well above the costs of generating power.
Third, California relied far too much on the spot market for wholesale power instead of securing power through more stable longterm contracts. This choice exposed the utilities to exceptional risks, producing a full-blown financial fiasco. »
En somme, c’est de la malhonnêteté intellectuelle de parler d’échec du libre-marché.
Quelques remarques, vu que je n’ai pas trouvé d’articles sur ce blog qui traitent du scandale financier qui avait frappé Enron. Un complément serait le bienvenu.
La fraude comptable d’Enron qui a conduit à sa faillite a plusieurs causes à mon avis: interdiction du délit d’initié, défaillance de la gouvernance d’entreprise, puis les fameux conflits d’intérêt des agences de notation d’une part et des auditeurs de comptes.
Sur les agences de notation, il est clair que l’intervention de la SEC a favorisé l’imprudence. Le NRSRO entre autre insuffle un faux sentiment de sécurité, d’où les investisseurs deviennent moins prudents. Sans compter l’interdiction du modèle investisseur-payeur.
Le délit d’initié, lui, aurait permis aux actionnaires « initiés » de vendre pour faire refléter le cours beaucoup plus tôt.
Cliquer pour accéder à Padilla5.pdf
http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704224004574489324091790350.html
L’intervention de la SEC en matière de corporate disclosure a insufflé un fort relent d’aléa moral. Les entreprises né divulguent « que » ce que les normes précisent.
http://www.ideasinactiontv.com/tcs_daily/2006/05/how-to-avoid-more-enrons-legalize-fraud.html
Enfin, les normes comptables auraient également donné la possibilité aux auditeurs de truquer les comptes tout en respectant l’esprit.
http://www.fahayek.org/index.php?option=com_content&task=view&id=284&Itemid=40
Tous ces articles sont vraiment intéressants. Ils montrent que l’affaire Enron était lourdement réglementée de toutes parts, si bien qu’il n’y a pas une cause, mais de multiples causes. Toutes interventionnistes. Après lecture de ces articles, on peut bien se demander d’où cette légende si répandue que Enron serait l’émanation même du capitalisme dégénéré.