Cette série d’articles sur le pétrole vise à démystifier les faits reliés au pic pétrolier ainsi qu’à fournir une vue plus rationnelle entre les alarmistes anticipant une catastrophe économique et ceux qui nient systématiquement ces faits. Ce dossier sera divisé en quatre parties : la consommation, les réserves, la production et les conclusions.
Les Conclusions : pic pétrolier = prix élevé.
En somme, nous avons vu que le maintient et l’augmentation des réserves exploitables de pétrole sont intimement liés à un prix du pétrole élevé et croissant, ainsi qu’au développement des technologies dans l’industrie, et non à la découverte de nouveaux gisements. Nous n’épuiserons jamais tout le pétrole qui se trouve sous la croûte terrestre, parce qu’une bonne partie de ce pétrole est inaccessible et que le prix ne justifiera jamais les coûts nécessaires à le produire.
Au niveau de la production, si nous avons un déclin naturel de la production actuelle d’environ 5% par année et une augmentation moyenne de la consommation mondiale de 2.4%, ce sera tout un défi de faire croître la production pour non seulement combler le manque à gagner du déclin naturel, mais aussi subvenir à la croissance de la demande. C’est comme courir sur un tapis-roulant qui va de plus en plus vite.
Comme nous l’avons vu dans la troisième partie, les nouveaux projets sur lesquels nous comptons pour la production future ont des coûts de production très élevés et requièrent un prix du pétrole tout aussi élevé pour faire du sens économiquement. Comme la demande est plutôt inélastique à court et moyen terme, il faudra que le prix augmente beaucoup pour que le marché demeure en équilibre.
Donc, la conséquence principale du pic pétrolier est que le prix va continuer d’augmenter drastiquement. Et comme le pétrole est partout dans nos vies, ça veut donc dire que le monde va changer radicalement au cours des 20 prochaines années. Cela ne veut pas nécessairement dire une catastrophe. Plusieurs alarmistes brandissent le spectre d’un désastre économique et politique. Cela est exagéré selon moi. L’économie et la société vont réussir à s’adapter, mais ce sera tout de même un changement majeur pour notre mode de vie et tout un défi pour l’humanité. Voici quelque-uns des changements que j’anticipe :
– Les automobiles et l’utilisation que nous en faisons vont changer. Nous utiliserons davantage les carburants alternatifs (éthanol, gaz naturel), les technologies hybrides ou simplement électrique. Nous allons utiliser des véhicules plus petits, surtout en ville. Nous allons moins conduire; rationner nos déplacements, utiliser davantage le transport en commun.
– Nous allons vivre plus près de notre travail; peut-être même faire davantage de télétravail. Ces banlieusards qui travaillent à Montréal vont peut-être reconsidérer leur positionnement géographique. C’est tout le développement des banlieues éloignées qui sera à reconsidérer.
– Le transport aérien va connaître des temps fort difficiles. Le coût du carburant rendra certains voyages carrément illogiques. Les voyageurs d’affaires utiliseront davantage le train et la vidéo-conférence. Fini les tout inclus à Cuba pour $800. Nous voyagerons sur de moins grandes distances et à moindre fréquence.
– Le commerce international aussi sera affecté, car les coûts de transports sont fortement corrélés au prix du pétrole. Vous n’avez qu’à regarder le Baltic Dry Index (voir graphique plus bas), qui mesure les prix du transport paquebot et qui suit le prix du pétrole comme une queue de veau. L’augmentation des coûts de transports fera en sorte que de plus en plus de biens seront produits localement plutôt qu’à l’autre bout de planète.
– À cet égard, les allées des supermarchés pourraient aussi changer. Vos poivrons rouges du Mexique, vos tomates de Californie, vos oranges de Floride, vos bananes du Costa Rica, vos saumons de la Norvège (apprêtés en Chine); le prix de ces aliments venant des quatre coins de la planète augmentera significativement, rendant leur consommation fort onéreuse.
– D’ailleurs, l’agriculture aussi devra changer. L’agriculture industrielle moderne pourrait très bien être décrite comme étant simplement une méthode consistant à convertir du pétrole et du gaz naturel en nourriture. Nous utilisons le gaz naturel et le pétrole pour fabriquer les fertilisants, pesticides et herbicides si importants à la performance des récoltes. Nous utilisons du pétrole pour faire rouler toute la machinerie qui a permis à la productivité agricole d’augmenter ces dernières décennies (tracteurs, pompes d’irrigation, camions, etc) et pour le transport des intrants et extrants de l’agriculture. L’agriculture est l’industrie qui consomme le plus de pétrole aux États-Unis et elle compte pour 17% de la consommation totale d’énergie. Notre système d’agriculture moderne est très dépendant du pétrole.
Ce qu’il y a plus à craindre dans tout ça, c’est-à-dire ce qui rendra notre adaptation au pic pétrolier encore plus difficile, c’est l’intervention gouvernementale. Que ce soit par la nationalisation des ressources, l’introduction de prix-plafonds, le rationnement, les sanctions envers les compagnies pétrolières, les subventions, etc, le gouvernement ne peut qu’empirer la situation et rendre le processus de « destruction créative » du capitalisme, qui est soit dit en passant la meilleure chose sur laquelle nous fier face à ce défi, moins efficace.
En somme, l’augmentation du prix du pétrole n’affectera pas seulement vos déplacements en automobile, mais tout ce que vous consommez. Tout coûtera plus cher puisque le pétrole est le sang qui coule à travers les veines de l’économie. Évidemment, l’efficience énergétique du monde s’est beaucoup améliorée et va continuer de s’améliorer à mesure que le prix du baril augmente. Cependant, ce ne sera pas suffisant car jusqu’à maintenant, la hausse de la demande a dépassé les gains d’efficience. C’est tout à fait normal et dû à ce que l’on appelle le paradoxe de Jevons:
Le paradoxe de Jevons, baptisé du nom de son découvreur, l’économiste britannique William Stanley Jevons, énonce qu’à mesure que les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer. En particulier, ce paradoxe implique que l’introduction de technologies plus efficaces en matière d’énergie peut, dans l’agrégat, augmenter la consommation totale de l’énergie. (…) Jevons a observé que la consommation anglaise de charbon a fortement augmenté après que James Watt a introduit sa machine à vapeur, qui était bien plus efficace que celle de Thomas Newcomen. Les innovations de Watt ont fait du charbon une source d’énergie plus rentable, ce qui a conduit à généraliser l’utilisation de sa machine à moteur à vapeur au sein des entreprises. Celles-ci ont à leur tour fait augmenter la consommation totale de charbon, même lorsque la quantité de charbon utilisée dans le cadre d’une utilisation particulière diminuait.
Au niveau de ce qui pourrait retarder l’augmentation du prix, il y a évidemment la continuelle amélioration des technologies de production ainsi que la capacité excédentaire de l’OPEP qui est présentement très élevée (voir graphique ci-bas). À plus de 6 millions de barils/jour, ce surplus pourrait fournir un coussin temporaire à une reprise drastique de la demande. Évidemment, tout comme c’est le cas pour leurs réserves, les pays de l’OPEP surestiment fort probablement ce chiffre. En réalité, leur capacité excédentaire est probablement plus près de 4 millions de barils/jour, ce qui pourrait nous fournir un répit équivalent à 1 an de déclin naturel de la production.
En terminant, voici les scénarios de l’EIA publiés en Avril dernier :