Le candidat à l’investiture républicaine Donald Trump dispose présentement d’une avance confortable sur ses rivaux, mais occupe aussi une place de choix dans l’espace médiatique. Cependant, si les médias s’efforcent de rapporter ses déclarations les plus incendiaires et maladroites, ils négligent souvent d’analyser l’impact économique de ses propositions. C’est ce que je propose de faire ici.
À ce jour, le programme de Trump est incomplet, mais son site web présente tout de même 6 propositions tangibles. Je ne m’attarderai pas à celle sur le deuxième amendement (droit de port d’arme à feu) ni à sa réforme de l’administration des vétérans de guerre. Voici les grandes lignes des quatre autres propositions.
Réforme fiscale :
- Diminution d’impôts pour la classe moyenne.
- Aucun impôt pour les individus gagnant moins de $25k et les couples gagnant moins de $50k (73 millions de personnes).
- Il y aura 4 fourchettes fiscales : 0%, 10%, 20% et 25%, plutôt que 7 fourchettes présentement.
- Simplification de la loi sur l’impôt.
- Élimination des « loopholes » permettant aux riches et aux entreprises d’économiser de l’impôt.
- Plus de taxes sur les successions.
- Décourager les inversions fiscales (qui consistent à ce qu’une entreprise américaine achète une entreprise basée dans un pays où le taux d’imposition est plus bas de manière à y relocaliser son siège social et sa propriété intellectuelle).
- Notamment en plafonnant le taux d’imposition sur toutes les entreprises à 15%.
- Fin de l’impôt corporatif sur les profits générés à l’étranger (comme dans la plupart des pays autres que les États-Unis).
- Possibilité pour les entreprises américaines de rapatrier leurs argent de l’étranger au taux d’imposition favorable de 10%.
- Aucun déficit fiscal prévu.
Je suis entièrement d’accord avec la réforme fiscale de Trump, qui serait selon moi un pas dans la bonne direction. Les particuliers et entreprises locales paieraient moins d’impôts, ce qui serait financé par la récupérations d’impôts corporatifs des multinationales qui évitent présentement l’impôt américain par des stratagèmes. Cette réforme permettrait aussi de réduire les coûts reliés à la préparation des rapports d’impôts.
Cependant, il y a un problème majeur : cette réforme fiscale est impossible sans couper drastiquement dans les dépenses, chose que Trump ne semble pas enclin à faire! Le résultat plus probable sera un immense déficit…
Réforme de la santé :
- Annulation d’Obamacare (aka Affordable Care Act ou ACA).
- Permission aux assureurs de vendre de l’assurance santé dans plusieurs états.
- Déductibilité fiscale des primes d’assurance-santé des particuliers.
- Permettre des contributions à un compte d’épargne-santé (HSA).
- Exiger la transparence des prix des fournisseurs de soins pour permettre plus de concurrence.
- Prise en charge de la gestion de Medicaid par les états.
- Permettre plus de flexibilité pour l’importations de médicaments.
Encore une fois, je pense que Trump avance d’excellentes idées en santé. Cependant, je ne pense pas que cela permettra de réduire les coûts autant que Trump ne l’affirme. Il n’y a effectivement pas de raison pour que les assureurs soient cloîtrés dans un état en particulier, ce qui diminue leur capacité à engendrer des économies d’échelle. La transparence des prix est selon moi une mesure importante. Voir le paragraphe intitulé « Le Système Américain » dans ce billet.
Commerce avec la Chine :
- Selon Trump, les États-Unis ont complètement ouvert leurs frontières aux biens Chinois, mais la Chine n’en a pas fait autant.
- Déclarer la chine comme un « manipulateur de devise », car le yuan serait sous-évalué de 15% à 40%.
- Bloquer les importations de biens produits par des entreprises chinoises bénéficiant de subventions aux exportations et qui ne respectent pas certains standards environnementaux.
- Intolérance des politiques chinoises forçant le transfert de propriété intellectuelle à des entreprises Chinoises pour pouvoir accéder au marché.
- Augmenter la présence militaire américaine en mer chinoise du Sud.
En ce qui concerne l’antagonisme exprimé par Trump envers la Chine, je pense qu’il fait fausse route et fait largement dans le populisme avec ces arguments fallacieux.
Premièrement, la devise Chinoise n’est pas sous-évaluée, sinon pourquoi le gouvernement chinois épuiserait-il présentement ses réserves de change à tenter de la soutenir? D’ailleurs, nommez-moi un pays qui ne manipule pas sa devise d’une manière ou d’une autre (incluant les États-Unis)?
Deuxièmement, les États-Unis demeurent un pays protectionniste. Il est faux de prétendre que les « frontières sont ouvertes ». De plus, du point de vue de l’investissement, le gouvernement a bloqué des acquisitions d’entreprises américaines par des intérêts chinois.
Troisièmement, Trump fait erreur en affirmant que d’imposer des tarifs sur les importations chinoises aidera l’économie américaine et, encore moins, ramènera des emplois manufacturiers au pays. Comme bien d’autres, Trump s’égare dans le culte des exportations. Ces tarifs ne seraient qu’une taxe défrayée par les consommateurs américains, qui devront par conséquent diminuer leur niveau de vie. Si la production manufacturière quitte la Chine, ce ne sera pas pour les États-Unis, mais tout simplement un autre pays à faible coût de production. Trump oublie que plus il y a de commerce, mieux c’est, même si l’une des deux parties de l’échange applique des mesures protectionnistes. Les États-Unis n’ont rien à gagner à lancer une guerre tarifaire contre la Chine.
Réforme de l’immigration :
- Construction d’un mur à la frontière mexicaine.
- Fin du droit à la citoyenneté par la naissance.
- Déportation des immigrants illégaux.
Les pires propositions de Donald Trump concernent sa réforme de l’immigration, qui est une grotesque parodie de populisme de droite. M. Trump voudrait bien que l’on oublie que son grand-père a immigré aux États-Unis à partir de l’Allemagne. Il oublie lui-même que ce pays a été bâti par des immigrants! Il oublie aussi qu’une très grande quantité d’entreprises américaines ont été fondées par des immigrants, sans compter toutes les inventions brevetées par des immigrants. Dans un contexte de vieillissement démographique, les immigrants sont une source de richesse.
Les immigrants représentent généralement environ 10% de la population américaine, mais 40% des entreprises du Fortune 500 ont été fondées en partie par des immigrants! Les fondateurs d’Oracle, Yahoo, IBM, AT&T, Goldman Sachs, Radio Shack, Kraft, Pfizer, Comcast, Procter & Gamble, Nordstrom, Kohl’s et de Home Depot sont soit immigrants ou enfant d’immigrants. Steve Jobs, fondateur d’Apple, était un fils d’immigrants, sans parler de Google et Ebay.
Quand un enfant naît aux États-Unis de parents étrangers, cet enfant obtient effectivement la citoyenneté américaine, tel que le prévoit la constitution. Cependant, cet enfant ne pourra pas parrainer ses parents avant l’âge de 21 ans! Les « anchor babies » de Trump ne sont donc qu’un mythe. D’ailleurs, plusieurs Chinois ne viennent aux États-Unis que pour l’accouchement, paient les frais médicaux de leur poche et repartent en Chine tout de suite après, ne serait-ce que pour obtenir de bons soins médicaux et fuir les politiques de natalité chinoises.
De plus, une étude a démontré que les immigrants à faible revenus utilisent moins les programmes gouvernementaux que les citoyens natifs. Il est donc faux de prétendre que les immigrants viennent aux États-Unis pour abuser des programmes sociaux aux frais des contribuables. Les immigrants, légaux et illégaux, viennent aux États-Unis pour y travailler, et les emplois qu’ils occupent n’intéressent aucunement la grande majorité des américains. Ils ne viennent donc pas voler les emplois non plus.
Selon le American Action Forum, un think-tank de droite, la réforme de l’immigration de Trump réduirait la quantité de travailleurs de 11 millions aux États-Unis et réduirait le PIB de $1.6 billion. Ai-je besoin d’ajouter quoi que ce soit?
Conclusion :
Même s’ils ne s’attardent pas à ses politiques économiques, les médias ont bien raison de présenter Trump comme une catastrophe pour la politique américaine. J’aime bien sa réforme fiscale et je reconnais qu’il amène certaines idées intéressantes en santé, mais le reste est vraiment un désastre. Si j’étais américain, je voterais Clinton par dépit…
https://www.donaldjtrump.com/positions/tax-reform
http://www.politico.com/story/2016/01/trump-economy-217496
http://www.economist.com/blogs/democracyinamerica/2015/09/trumponomics
http://www.economist.com/node/21693230/all-comments
Mais les Républicains votent Trump par dépit justement.
….entre la peste et le choléra…
Quand on mesure tout à l’aune économique, ce sont les conclusions qui s’imposent.
Mais l’homme, heureusement, n’est pas qu’une machine faire du commerce.
Et c’est précisément de ça que parle le programme de Trump, d’identité et de démographie et de politique.
Faites quelques statistiques ethniques sur le positionnement économique, politique, culturel et religieux et vous comprendrez de suite de quoi parle Trump.
On ne peut pas diriger un pays en se contentant de faire du commerce à l’horizon 3 ou 4 ans. A quoi bon, alors que les différences de natalité, dans quelques années, vont changer du tout au tout le pays, et foutre en l’air toutes les politiques libérales …
Les hommes ne sont pas interchangeable, corvéables et déportables à volonté selon la météo économique du moment.
Un pays n’est pas un hôtel.
C’est de ça qu’il s’agit, et, les américains qui votent pour Trump l’ont bien compris.
Les autres, ceux qui votent pour Clinton l’ont bien compris aussi d’ailleurs ! C’est juste que ce ne sont pas les même.
Bonjour,
Trump a travaillé pendant 6 ans sur sa campagne, fait des études payées avec ses propres deniers sur ce que voulaient vraiment les américains. Son programme est une chose mais appliquera t-il à la lettre ?. Je pense que c’est un homme loin d’être idiot et il sait parfaitement ce qu’il fait ou dit.(son côté trublion fait partie de sa stratégie). Par dépit, je ne voterais surtout pas Clinton ce serait pour moi un non choix.
Excellent article mais ce passage m’a fait réagir
—————————————————————————
« Il oublie aussi qu’une très grande quantité d’entreprises américaines ont été fondées par des immigrants, sans compter toutes les inventions brevetées par des immigrants. Dans un contexte de vieillissement démographique, les immigrants sont une source de richesse. »
————————————————————————–
L’immigration est un source de richesse, certes, mais il n’est pas déraisonnable de penser qu’il y a d’autres priorités dans la vie que l’abstraction de la richesse d’une nation : l’égoïsme identitaire et idéologique restent des facteurs puissant et structurant de la demande politique (ainsi le Parti Libéral-Démocrate du Japon.a complètement abandonné sa réforme de l’immigration suite à plusieurs plaintes de son électorat)
Les électeurs qui votent Trump sont des WASP qui ont peur du « grand remplacement » et de toutes les externalités qu’il implique. Nous avons le même souci en France et en Europe avec l’émergence de partis populistes (voir le record de progression en Allemagne de l’AFD, le parti anti-migrant).
Les chiffres donnent particulièrement raison à cette inquiétude américaine : la population « blanche non-hispanique » a considérablement baissé en 50 ans, les projections pour 2050 affirment que cette communauté deviendra minoritaire (de l’ordre de 46%)
De 1790 à 1960, cette population est restée stable (80%) avant de décroître brutalement pour atteindre 63% en 2010
https://en.wikipedia.org/wiki/Historical_racial_and_ethnic_demographics_of_the_United_States#Historical_data_for_all_races_and_for_Hispanic_origin_.281610.E2.80.932010.29
Maintenant, essayons de comprendre quelles sont les raisons rationnelles qui pousse à voter pour un candidat, un programme ou un parti ouvertement hostile à l’immigration.
Quand on regarde les choix politiques des minorités, il est clair que leur coeur balance pour le parti Démocrate (90% des noirs, 70% des hispaniques et des asiatiques).
Les « WASP » quant à eux forment l’écrasante majorité de l’électorat Républicain (entre 60 et 70%)
https://en.wikipedia.org/wiki/United_States_presidential_election,_2012#Voter_demographics
https://en.wikipedia.org/wiki/United_States_presidential_election,_2008#Voter_demographics
Maintenant, mettons nous à la place d’un « blanc » conservateur/républicain : il voit que le poids démographique de sa communauté va baisser à cause du vieillissement et des apports de populations extérieures……et qu’en conséquence les idées républicaines auxquelles il souscrit auront de moins en moins de chance d’être portées au pouvoir
Ce n’est pas tant l’immigration qui est une menace pour le WASP républicain qu’un certain type d’immigration à forte fécondité qui pourrait menacer le succès électoral de ses propres idées politiques
Vous remarquerez que je n’ai pas évoqué les autres autres externalités possibles (peur de la délinquance, peur du métissage, peur de l’ennemi intérieur, peur de la guerre civile, peur de la religion etc…)
Celles-ci peuvent être également « fondées » sur le plan politique (peu importe leur véracité statistique) : un sentiment d’insécurité produit une réaction similaire à une insécurité réelle, un désir d’évitement stratégique qui se concrétise dans le changement de quartier (white flight), l’adhésion à une politique répressive ou de fermeture des frontières
Si beaucoup de personnes sont légitimement choquées par l’outrance et la radicalité des propos et des mesures annoncées de Donald Trump, il n’en reste pas moins que la radicalité de son discours répond à des besoins concrets et à une détresse authentique de la communauté « WASP »