Est-ce que l’intervention du gouvernement est nécessaire pour le développement des routes? Aux dires de certains, sans intervention gouvernementale en la matière, nous ne bénéficierions que de très peu de routes et celles-ci coûteraient plus cher.
En fait, l’exemple des États-Unis du 19e siècle nous prouve que ce n’est pas le cas. On pourrait même en dire autant de l’Angleterre du 18e siècle, où le gouvernement a complètement échoué à développer un système de route adéquat. Ce sont des entreprises privées, les « private turnpike companies », qui ont développé, à partir de 1706, le système routier qui a permit la révolution industrielle.
Les Américains se sont inspiré du système britannique, et l’ont même amélioré. Les turnpikes britanniques étaient sous la forme de fiducies sans but lucratif financée par de la dette, alors que les turnpikes américains prirent la forme de corporations financées par capital-action qui pourraient faire des profits et verseraient potentiellement des dividendes. Cette dernière forme d’entreprise permettait beaucoup plus de flexibilité et donna de meilleurs résultats.
Avant 1792, les routes américaines étaient opérées par les gouvernements municipaux. Durant les trois premières décennies du 19e siècle, les Américains ont bâti plus de 10,000 miles de routes, surtout en Nouvelle-Angleterre et dans les états Mid-Atlantic. Ces « turnpikes » ont grandement amélioré le système routier de l’époque, qui était médiocre et peu étendu, ce qui nuisait au développement économique du pays.
Ces corporations puisaient leur capital de départ des habitants des communautés que les routes allaient desservir. Contrairement à leurs homologues britanniques, elles pouvaient faire des profits et verser des dividendes, mais en général elles ne faisaient que couvrir leurs frais. Les bénéfices socio-économiques pour les communautés touchées étaient cependant très grands, ce qui justifiait l’investissement. Ainsi, le premier turnpike américain fut construit en 1792, entre Philadelphie et Lancaster en Pennsylvanie. Ce projet fut un grand succès, le péage valait nettement la peine vu la qualité de la route. Certains craignaient que ces corporations ne se comportent en monopoliste et augmentent les tarifs à des niveaux très élevés. Ce ne fut pas le cas, les tarifs étaient constamment inférieurs au maximum stipulé par la charte de façon à attirer le plus de trafic possible, car il y avait de la concurrence.
Il est intéressant de noter que ces corporations étaient très bien coordonnées. Elles étaient capable d’aligner et de standardiser leurs routes de façon à former un réseau cohérent. Ainsi, le fameux Pittsburgh Pike était en fait composé de cinq routes différentes construites par cinq corporations différentes. D’ailleurs, cette route était en concurrence avec la National Road, une route construite par le gouvernement (mais jamais complétée). Le gouvernement a dépensé $13,455 par mille pour cette route, alors que le Pittsburgh Pike – le consortium privé – n’a coûté que $4,805 par mille. Quant à la qualité, rien de comparable. Un ingénieur de l’armée déclara en 1832 que la National Road était « dans une condition choquante (…) certaines portions sont impraticables ». Les voyageurs préféraient nettement la Pittsburgh Pike, dont les revenus de péage étaient réinvesti dans l’entretien et les réparations, ce qui assurait la qualité de la route.
Ce sont les bateaux à vapeur et, plus tard, les chemins de fer, largement subventionnés par l’État, qui ont sonné le glas de la première ère des turnpikes américains (1792-1845). Cependant, une deuxième vague eu lieu durant la seconde moitié du 19e siècle, cette fois pour développer le Far West (le Colorado, le Nevada et la Californie). Ceci dit, à partir de 1880, l’interventionnisme étatique pris de plus en plus d’ampleur aux États-Unis. En 1893, le Département de l’Agriculture commença à prendre le secteur en charge avec son « Office of Road Inquiry ».
Puis, en 1916, le gouvernement fédéral pris fermement le monopole des routes et s’opposa aux routes à péage privées. Le gouvernement commença alors à subventionner ce qui allait devenir le Interstate Highway System dont la construction allait débuter en 1956, et dont le coût de construction de $425 milliards (dollars constants de 2006) allait en faire le plus grand projet de construction depuis les pyramides égyptiennes. Environ le quart des kilomètres parcourus aux États-Unis se font sur ce réseau. Cette oeuvre gouvernementale allait être la plus grande subvention imaginable du transport automobile et de l’étalement urbain, deux « fléaux » aujourd’hui dénoncés par la gauche écologiste. Cette sur-expansion des routes est pourtant attribuables aux politiques keynésiennes du gouvernement, influencé par les lobbys de l’automobile, du pétrole et de la construction, sans oublier les syndicats. L’interventionnisme gouvernemental dans le système routier engendre des distorsions économiques et, invariablement, une mauvaise allocation des ressources que l’on fini tôt ou tard par mettre sur le dos du capitalisme…
Lectures complémentaires :
https://minarchiste.wordpress.com/2012/10/22/you-didnt-build-that-so-what/
www.cato.org/sites/cato.org/files/serials/files/cato…/5/cj9n1-9.pdf
Le gouvernement subventionnait quand même à l’échelle de 38% les routes de l’époque. C’était plus un genre de PPP. La mode revient tranquillement aux Etats-Unis. Le Chicago Skyway est totalement privé. Ce n’est pas la route la plus belle des Etats-Unis (http://goo.gl/maps/il56E), mais elle permet de couper tout le trafic pour 4$. Même chose avec l’autoroute I90 en Indiana.
La route privée la plus formidable que j’ai essayé c’est la Dulles Greenway en Virginie. Genre de route parfaite avec les lignes visibles et aucun trou : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cd/Route267vausawiehle.jpeg . Ça coûte seulement 5$ pour toute l’autoroute entière et en plus ils acceptent les cartes de crédit. Je sais qu’au Texas et en Californie ils étudient cette solution aussi.
Au Canada l’autoroute 407 de l’Ontario est privée aussi et elle est bien entretenue. En France / Italie / Espagne la majorité de leurs routes sont entretenues et gérées par le privé, mais financée par le public. À ma connaissance seulement l’Allemagne a un réseau de routes bien entretenu et 100% public.
@Etagrats
Où prenez vous le chiffre de 38%?
« Although the state government invested in the companies that formed the Pittsburgh Pike, records of the two companies for which we have complete investment information shows that private interests contributed 62 percent of the capital »
« From the records of two of the five companies that formed the Pittsburgh Pike, we estimate it cost $4,805 per mile to build. The Federal government, on the other hand, spent $13,455 per mile to complete the first 200 miles of the National Road. Besides costing much less, the Pennsylvania Pike was far better in quality. The National Road depended only upon intermittent government outlays for basic maintenance, and the road quickly deteriorated. Historians have found that travelers generally preferred to take the Pittsburgh Pike rather than the National Road. »
http://eh.net/encyclopedia/article/klein.majewski.turnpikes
@etagrats
C’est ce que je croyais.
Ce n’est pas une subvention ni un PPP, c’est un peu comme si la Caisse de Dépots achète des actions de Rona. Elle devient actionnaire en notre nom.
Est-ce que les routes vraiment utiles auraient existé sans ces investissements?
J’ai récemment ajouté un paragraphe à cet article, qui donne peut-être un indice en ce qui concerne les chemins de fer :
Au début du 19e siècle, un entrepreneur du nom de James J. Hill a construit son propre réseau de chemin de fer, qu’il a financé de sa propre poche, sans subvention gouvernementale ni droit de passage public (expropriation). Le Great Northern était reconnu comme étant le réseau le mieux construit et le plus rentable, comparativement aux chemins de fer subventionnés comme la Union Pacific ou la Central Pacific. Grâce à un lobby efficace, ceux-ci ont obtenu leur revange. En 1887 et 1906, de nouvelles lois vinrent bannir la concurrence par le prix. Cela empêcherait un entrepreneur comme Hill de concurrencer efficacement en faisant baisser les coûts.
Que pensez-vous du scandale du Pont de Québec ? En gros, de ma compréhension, le CN refuse seulement de peinturer le pont. Dans tout cela j’ai appris que le Pont Victoria et le Pont de Québec ont été privatisés en 1995. Je peux comprendre du point de vue utilitaire et productif, qu’un pont propre ou rouillé ne change rien, quel est l’intérêt de le peinturer ? Mais c’est vrai en même temps que les structures du CN sont vraiment laides dans le paysage. Labaume a d’ailleurs qualifié cela de « ce qui est le plus laid du capitalisme ».
Lisez bien ceci, surtout la dernière section.
Labeaume est un idiot.
Il veut un « beau » pont, mais il ne veut pas payer pour.
La couleur du pont ne concerne en rien le CN.
Tellement d’accord avec vous là-dessus. C’est un vrai clown ce maire.
Mais en dehors de cela, n’est-ce quand même pas la preuve que le privé privilégie surtout l’utilitaire au côté esthétique ?
Bertrand Lemennicier relève les inconvénients de la rue « propriété publique » (c’est-à-dire propriété de personne) : davantage d’accidents, de criminalité, d’encombrements et de pollution, irresponsabilité du « propriétaire collectif » contre lequel les victimes ne peuvent jamais se retourner. Il fait observer que la privatisation des rues n’a rien d’utopique : 3% des rues de Paris sont privées, et il existe même dans le monde plusieurs villes privées (Reston en Virginie, Sandy Springs et Braselton en Géorgie, Irvine, Lakewood et Nipton en Californie, Sun City en Arizona, Magarpatta ou Gurgaon en Inde, etc.).
Walter Block a consacré un livre au sujet (Privatization of Roads and Highways, 2009) : il y développe les mêmes arguments : rentabilité, meilleure sécurité.
C’est comme le chemin de fer britannique. la construction du chemin de fer britannique fut majoritairement l’œuvre de personnes privées. C’est avec les guerres mondiales que l’état pris peut à peu le contrôle du chemin de fer en GB jusqu’à le nationaliser complètement après la guerre.