Lors de la campagne présidentielle de 2016, j’avais fait allusion à certains aspects intéressants dans la portion fiscale du programme de Donald Trump. Les Républicains ont récemment présenté un projet de loi au Congrès concernant une réforme fiscale qui serait la plus importante depuis l’ère Reagan. Le Sénat pourrait l’amender au cours des prochains jours, mais voici tout de même les éléments les plus importants de ce projet de loi.
Article connexe: Les Trumponomics…
Réduction du taux d’imposition corporatif de 35% à 20%.
J’ai déjà expliqué que l’impôt corporatif est une double taxation qui complique inutilement le système fiscal. Les profits des entreprises ne devraient être taxés que lorsqu’ils sont remis aux actionnaires sous forme de dividendes, sans déduction.
Article connexe: Qui paie pour une hausse des impôts corporatifs?
D’autre part, le taux d’imposition corporatif des États-Unis est très élevé comparativement aux autres pays de l’OCDE et l’écart s’est creusé au cours des 25 dernières années puisque beaucoup de pays, incluant le Canada, ont réduit ce taux d’imposition pour tenter de stimuler les investissements et attirer des entreprises étrangères.
En ce sens, cette mesure est un pas dans la bonne direction. Par contre, il faut comprendre que grâce à un grand nombre de crédits et déductions introduits au fil des décennies (les fameux « loopholes »), les corporations américaines ne paient généralement 35% d’impôt, mais plutôt environ 28%. Ce que Trump souhaite faire est de simplifier le système en éliminant les échappatoires et en réduisant le taux d’imposition.
Passage à un régime de taxation territorial
L’une des différences notoires du système fiscal américain comparativement aux autres pays est que les profits des entreprises multinationales générés à l’étranger sont taxés lorsqu’ils sont rappatriés aux États-Unis. Si une entreprise rappatrie un profit qui a été réalisé dans un pays où l’entreprise a déjà payé 20% d’impôt, le gouvernement américain va taxer ce profit d’un autre 15%.
C’est pour cette raison que des entreprises telles que Apple maintiennent des milliards de dollars d’encaisse à l’étranger. Si ces sommes étaient rappatriées aux États-Unis, elles seraient fortement taxées. Nous avons aussi vu beaucoup d’entreprises procéder à une inversion fiscale, qui consiste à acquérir une entreprise plus petite située en Irlande et transférer le siège social dans cette juridiction (Allergan, Ingersol Rand, Medtronics, Eaton, sont parmis ces entreprises). Il y a présentement $2.5 billion de profits ainsi laissés à l’étranger par des entreprises américaines.
Dorénavant, les profits générés à l’étranger ne seront pas taxés aux États-Unis, rappatriés ou non, à condition que l’entreprise ait payé un taux d’imposition d’au moins 10% dans le pays concerné. De plus, les profits passés pourrons être rappatriés à un taux de seulement 12%, ce qui permettrait à Apple de ramener son encaisse aux États-Unis sans trop être punie par le fisc.
Trump et sa bande pensent que cela amènera beaucoup d’argent aux États-Unis et stimulera l’investissement. Cela est fortement exagéré.
Premièrement, si une entreprise américaine veut rappatrier son encaisse de l’étranger sans payer d’impot, elle n’a qu’à emprunter la somme aux États-Unis. La transaction est neutre sur le bilan, c’est-à-dire que la dette nette demeure la même. C’est d’ailleurs exactement ce que ces entreprises ont fait. Elles ont donc pu distribuer les profits étrangers non-rappatriés sous la forme de dividendes et rachats d’actions!
Deuxièmement, le gouvernement a déjà octroyé un rabais d’impôt temporaire à 5,25% en 2004 pour permettre aux entreprises de rappatrier des profits. Elles l’ont fait et se sont empressées de payer des dividendes spéciaux et de racheter des actions, sans investir davantage. Il n’y a pas de raison pour que leur comportement soit différent cette fois-ci face à cet influx monétaire non-récurrent.
Il y avait à l’époque 9,700 entreprises éligibles, desquelles 843 ont participé, ramenant $312 milliards de profits aux États-Unis, soit environ le tiers des profits visés.
Néanmoins, je vois d’un oeil positif le passage à un système territorial, qui simplifiera la fiscalité des multinationales et éliminera certaines distorsions.
Déduction pour investissements
L’autre élément majeur concernant les entreprises est la possibilité de déduire les dépenses d’investissement à 100% dès la première année.
Présentement, lorsqu’elles investissent dans leurs actifs, les entreprises doivent amortir ces dépenses sur un nombre d’années et par une méthode déterminée par la loi. Par exemple, si une nouvelle machine coûte $100 millions et peut être amortie sur 10 ans linéairement, l’entreprise pourra déduire $10 millions de son revenu imposable pendant 10 ans.
Avec la réforme, la somme de $100 millions serait déduite à 100% la première année. L’entreprise économise donc de l’impôt la première année, mais en paiera davantage les années subséquentes. Cette mesure ne devrait pas avoir d’impact durable sur l’économie.
Impôts des particuliers
Pour les couples mariés, le nombre de paliers fiscaux passe de 7 à 5. Le premier graphique ci-bas illustre les changements pour chaque palier. J’ai aussi construit le deuxième graphique pour visualiser les taux d’imposition relativement au revenu. Pour le troisième graphique, j’ai créé 12 paliers de revenus et calculé la variation de taux d’imposition pour chacun d’eux. L’axe horizontal montre le milieu de la fourchette de revenus pour chaque palier en milliers de dollars.
Il y a trois paliers pour lesquels le taux d’imposition ne change pas, incluant les revenus de $1 million et plus. Il y en a aussi trois pour lesquels let aux augmente de 2%, notamment entre $260k et $480k. Les grands gagnants sont les couples qui gagnent entre $77k et $90k (i.e. la classe moyenne), avec une réduction de 13 points de pourcentage. Les $6k à $12k seront exempts d’impôts grâce à l’augmentation de la déduction standard qui passe de $6k à $12k.
Les couples dont les revenus sont entre $480k et $1 million sont les plus grands gagnants en termes de dollars d’économie, grâce à une réduction de presque 5 points de pourcentage.
En général, on peut dire que le régime fiscal américain deviendrait un peu moins progressif si cette réforme est adoptée. Il y a cependant certains aspects qui amenuisent l’applatissement de la structure de taxation.
Des crédits d’impôt pour personnes à charge ont été introduits, ce qui bénéficiera aux moins nantis.
La déduction pour les impôts des états et municipalité (aka SALT) sera limitée à $10,000, ce qui nuira aux plus riches (et aux résidents d’états qui ont voté pour le parti Démocrate).
Une autre distorsion spécififique au système fiscal américain sera réduite: la déduction des intérêts hypothécaires. La taille maximale de l’hypothèque sera réduite de $1 million à $500k, ce qui affectera davantage les mieux nantis que les autres (mais pas les plus riches, puisque ceux-ci n’ont pas d’hypothèque).
Les entreprises ne pourront plus déduire les salaires supérieurs à $1 million de leur revenu imposable, ce qui fera augmenter le coût de ces salariés pour les entreprises. À elles seules, les 5 entreprises Pfizer, Merck, Hewlett-Packard, Johnson & Johnson et IBM ont rappatrié le quart de cette somme.
Cependant, le plan prévoit que l’imposition des succession sera coupée de moitié et éliminée complètement en 2024. Cette politique est vouée à aider les successions de fermes familiales, mais cette affirmation est fausse. La grande majorité de ces impôts sont payés par des riches, pas par des fermes familiales. Ceci dit, les actifs des successions ont déjà été taxés lorsque ces revenus ont été engrangés par le défunt. Il s’agit donc d’une double-taxation qui n’a pas sa raison d’être.
Conclusion
Les estimations dites « statiques », ce qui signifie qu’elles ne prennent pas compte des impacts futurs sur l’économie, impliquent une augmentation de $1.5 billion du déficit sur 10 ans. Cela est incroyable quand on considère que ces dernières années les Républicains se sont grandement opposés aux augmentation de la dette du gouvernement américain!
Cependant, l’administration Trump préfère compter sur les estimations « dynamiques » du déficit, car ils croient que cette réforme aura un impact significativement positif sur la croissance économique et donc sur les revenus futurs de taxation.
Considérant que plusieurs des nouvelles mesures sont temporaires (pour les faire passer au Sénat, où les Républicains n’ont pas la super-majorité, des clauses « sunset » ont dû être ajoutées), il serait très surprenant que ces réformes aient un impact majeur positif sur l’économie, surtout si le gouvernement fédéral n’arrive pas à réduire ses dépenses pour éviter une explosion du déficit.
On ne peut que se réjouir de réductions d’impôts, mais il faudrait réduire les dépenses à prime abord pour éviter une catastrophe fiscale. Néanmoins, j’accueille favorablement toute tentative de simplier le système fiscal.
Article connexe: Les taxes et impôts…des réflexions sur la fiscalité.
http://time.com/5007611/trump-tax-plan-republican-reform/
https://www.google.ca/amp/amp.timeinc.net/time/5015990/republican-tax-plan-calculator
Merci pour ces éclaircissement 😉
Petite coquille: ‘Une autre distorsion spécififique au système fiscal’
Baisse massive du taux d’IS aux USA: les entreprises annoncent aussitôt des primes et des augmentations pour les salariés http://trends.levif.be/economie/entreprises/la-reforme-fiscale-de-trump-passe-les-bonus-pleuvent-dans-les-entreprises/article-normal-773913.html
On ne peut que se réjouir de réductions d’impôts, mais il faudrait réduire les dépenses à prime abord pour éviter une catastrophe fiscale. » c’est exactement l’inverse qui s’est passé. Il y a une augmentation massive des dépenses:
https://www.washingtonpost.com/business/economy/massive-infusion-of-spending-ends-era-of-restraint-for-federal-agencies-pentagon/2018/02/09/cefb1e72-0d17-11e8-95a5-c396801049ef_story.html
L’accord signé par le président Trump injectera plus de 500 milliards de dollars d’argent supplémentaire dans les agences nationales et le Pentagone sur deux ans, la plus grande augmentation des dépenses depuis près d’une décennie.
Le Comité non partisan pour un budget fédéral responsable prévoit que les États-Unis auront un déficit budgétaire de 1 billion de dollars d’ici l’an prochain – c’est extrêmement élevé par rapport aux normes historiques – et qu’il durera probablement des années.
« Les estimations dites « statiques », ce qui signifie qu’elles ne prennent pas compte des impacts futurs sur l’économie, impliquent une augmentation de $1.5 billion du déficit sur 10 ans. Cela est incroyable quand on considère que ces dernières années les Républicains se sont grandement opposés aux augmentation de la dette du gouvernement américain » En effet et assez hypocrite. Bon même s’il est vrai que Trump n’a jamais apprécié la rigueur budgétaire même dans sa campagne électorale. Par contre, les membres républicains du Congrès qui ont tant dénoncé les déficits budgétaires sous Obama quand on les voit accepter si facilement l’augmentation de dépenses cela illustre bien à quel point les politiciens sont des hypocrites et que l’on ne peut pas leur faire confiance.
Par contre, on n’ôtera l’hypocrisie dans le camp adversaire. Je ne parle pas seulement des politiciens démocrates qui aujourd’hui s’inquiètent des déficits (c’est des politiciens normal qu’ils soient hypocrites), je pense à Krugman.
Ce prix nobel d’économie qui est le chantre anti austérité de la gauche depuis plus d’une décennie. Il a passé son temps à répéter ces dernières années que les déficits n’étaient en aucun cas des problèmes. Que la rigueur budgétaire c’est du grand n’importe quoi. Et maintenant il s’indigne des déficits de Trump.
En octobre 2016, il disait qu’il fallait plus de déficits. https://krugman.blogs.nytimes.com/2016/10/22/debt-diversion-distraction/
11 semaines plus tard il écrit ceci: https://www.nytimes.com/2017/01/09/opinion/deficits-matter-again.html
La seule chose qui ait changé c’est qu’en octobre 2016 il pensait que Clinton allait gagner. Le déficit c’est bien sauf si c’est fait par les républicains
Comment un économiste qui a recu un prix nobel peut tenir un raison aussi simpliste ? (les déficits faits par la gauche c’est super. Par contre, les déficits faits par la droite c’est mal).
Au moins, il montre à quel point ce n’est plus un économiste juste un vulgaire idéologue gauchiste