Dans un billet précédent sur la double-taxation des profits à travers les dividendes et gains en capital, j’ai mentionné que les changements de l’impôt corporatif pouvaient engendrer des distorsions économiques. J’aimerais ici apporter quelques explications sur l’impact des impôts sur le comportement des entreprises.
L’un des ratio les plus utilisés pour évaluer la rentabilité d’une entreprise par rapport à son capital est le rendement de l’avoir des actionnaires ou return on equity (ROE). On calcule ce ratio en divisant les bénéfices nets par l’avoir des actionnaires. Une entreprise oeuvrant dans une industrie concurrentielle cherchera à atteindre un ROE cible d’environ 12% dépendamment du risque de l’industrie dont il est question. Le ROE est en quelque sorte un indicateur de l’attrait d’une industrie et indiquera si cette industrie devrait attirer le capital pour stimuler l’investissement ou repousser le capital vers d’autres industries.
Si le ROE devient est trop élevé, les capitaux se mettent à affluer dans cette industrie, ce qui signifie que de nouveaux concurrents se mettront à apparaître et que les concurrents existants investiront dans la capacité de production. L’augmentation de l’offre fait alors baisser les marges de profits et ramène le ROE vers son corridor habituel.
Si le ROE devient trop faible, l’investissement cesse, les actifs se détériorent et la capacité de production diminue, ce qui fait augmenter les prix et ramène le ROE plus près de la cible.
Par exemple, considérons le cas plus extrême de l’industrie pétrolière : lorsque le prix du pétrole augmente, le ROE des entreprises augmente, ce qui attire le capital vers cette industrie et incite les entreprises à investir davantage dans l’exploration et le forage. Ces investissements feront augmenter la production et donc baisser les prix dans le futur, ce qui ramènera le ROE à la baisse. En revanche, lorsque le prix du pétrole chute et que le ROE devient très bas, voire négatif, les flux de capitaux vers cette industrie cessent et les investissements de ces entreprises tombent en panne sèche. Nous avons d’ailleurs observé ces deux phases dans l’industrie pétrolière de 2013 à 2016.
C’est pourquoi on observe que le ROE fluctue en fonction des cycles économiques et des changements structurels d’une industrie, mais n’augmente pas à long terme! Observez le ROE moyen pour les entreprises du S&P500 par exemple et vous constaterez qu’il n’y a pas de tendance. Il oscille autour de 12% depuis des décennies. À ce niveau, cela permet de bien compenser les épargnants pour le risque qu’ils courent en achetant des actions, l’inflation, le passage du temps et le rendement réel.
On ne peut pas parler d’une constante fondamentale comme en physique, mais un ROE de 11% à 13% semble créer une situation d’équilibre où l’économie fonctionne bien. Quand on sort de ce corridor, à la hausse comme à la baisse, les problèmes émergent assez vite.
Les facteurs qui déterminent le ROE sont les prix, les coûts de production, les taux d’intérêt et le taux d’imposition. Les volumes quant à eux dépendent de la capacité de production de l’industrie (donc du niveau d’investissement). Parmi ces éléments, les entreprises n’ont le contrôle que sur les prix et leur niveau d’investissement. Elles peuvent aussi mettre en œuvre une restructuration pour réduire leurs coûts.
Une hausse des salaires?
Qu’arriverait-il si une loi venait forcer les entreprises à augmenter les salaires de 25%? Cela ferait évidemment diminuer le ROE significativement en bas de son corridor habituel. Dans ce contexte, on observerait alors une pression à la hausse sur les prix puisque les entreprises les augmenteraient autant que possible pour préserver leur rentabilité. À défaut d’être en mesure d’atteindre un ROE acceptable, on observerait alors une baisse des investissements, surtout s’il y a de la capacité excédentaire de production dans l’économie. On s’attendrait aussi à ce que l’entreprise procède à des licenciements.
Ainsi, on constate que des hausses de salaires drastiques pourraient engendrer un désastre économique en causant une panne sèche d’investissement. J’avais d’ailleurs publié un billet sur ce sujet il y a quelques années, prenant l’exemple de Gildan.
Une baisse les impôts?
Maintenant, si le gouvernement baisse le taux d’imposition corporatif, cela fait augmenter le ROE temporairement. Les entreprises vont d’abord considérer investir dans la production pour en profiter, mais pas si l’utilisation de la capacité existante est faible. Sinon, l’autre élément sur lequel les entreprises ont le contrôle est le prix de vente. C’est pourquoi les baisses d’impôt peuvent faire baisser les prix pour gagner des parts de marché et mousser les volumes de vente. C’est d’ailleurs ce que l’on a observé en partie depuis que le gouvernement fédéral canadien a réduit ses taux d’imposition corporatif ces dernières années : cela a engendré une pression déflationniste.
L’inverse est aussi valide : si les taux d’impositions corporatifs sont augmentés, les entreprises vont réduire leurs investissements, réduire leurs coûts (ce qui implique des mises à pieds) et augmenter les prix.
Et alors?
La plupart des gauchistes pensent qu’ils amélioreront le sort de la population en forçant des hausses de salaires et en augmentant les taux d’imposition corporatifs. Il n’en est rien. La réalité est que ces deux mesures réduiront le pouvoir d’achat des ménages puisqu’elles pousseront les entreprises à augmenter leurs prix. L’autre impact sera une réduction de l’investissement ainsi que des mises à pieds pour réduire les coûts et maintenir les marges de rentabilité.
Comme nous l’avons vu dans un billet précédent, les impôts corporatifs finissent par être payés par les particuliers à travers les prix à la consommation, l’imposition des dividendes et l’imposition des gains en capital. La réalité est que si on décrète des lois qui réduisent la rentabilité des entreprises à un niveau où les investisseurs ne sont pas suffisamment biens compensés pour les risques qu’ils subissent, les épargnants vont moins investir et thésauriser leur épargne. Cela aurait donc un impact économique néfaste.
Notez par ailleurs que les rentes règlementaires peuvent contribuer à maintenir le ROE d’une entreprise ou d’une industrie à un niveau bien plus élevé que ne le justifie le niveau de risque. La raison est que la règlementation excessive bloque les nouveaux entrants et les flux de capitaux, ce qui permet à la situation de perdurer. Cette situation constitue évidemment une destruction de richesse au profit des actionnaires qui bénéficient de ces rentes règlementaires.
Votre commentaire