Ce billet fait suite aux deux précédents: partie 1 et partie 2.
L’art est plus souvent qu’autrement inspiré d’oeuvres passées; j’en ai relaté plusieurs exemples dans les deux premières parties. Une protection trop sévère des droits de propriété fait donc en sorte de limiter la création artisitique; le contraire de l’objectif de la loi.
Observez dans le vidéo ci-bas comment Girl Talk crée de la nouvelle musique à partir d’échantillonnages. L’argument de la dame du bureau des droits d’auteur est que ce n’est pas de la création puisque c’est fait à partir du matériel de quelqu’un d’autre. Il utilise parfois jusqu’à 21 échantillons dans une même pièce; il lui serait donc impossible de demander la permission à chacun d’eux (un seul d’entre eux pourrait faire échouer la composition) et il serait très dispendieux de payer chacun d’eux. En fait, on ne reconnaît absolument pas les oeuvres orginales dans le résultat final. Est-ce qu’on protège vraiment quoi que ce soit en empêchant Girl Talk de créer et commercialiser sa musique ou ne fait-on que brîmer la création artistique?
Ensuite, le documentaire traite d’une vieille chanson de blues chantée par les esclaves dans les champs de cotton. Une fois endisquée, celle-ci n’appartient qu’à celui qui a enregistré les droits d’auteurs le premier. Il pourrait récolter les royautés alors qu’il n’en est même pas l’auteur original. Ça a du sens?
Dans les années 1960s, les Rolling Stone ont copié une vieille chanson folk traditionnelle, qui servit de base à l’excellente chanson Bitter Sweet Symphony de The Verve. Les Rolling Stones ont poursuivi l’artiste et se sont approprié les droits d’auteurs qu’ils ont ensuite vendus à Nike pour une publicité. Les Stones se sont donc appropriés le passé, pour ensuite empêcher les autres de faire de même pour créer. Et ensuite vous me direz que les droits d’auteur sont dans l’intérêt de la création artistique?
Évidemment, ce ne sont pas les Rolling Stones eux-mêmes qui ont poursuivi The Verve, mais bien leurs compagnies de disques. Dans une entrevue de 1999, le magazine Q a demandé à Keith Richards s’il ne trouvait pas cela brutal de recevoir toutes les royautés pour la chanson. Il a répondu ceci:
« I’m out of whack here, this is serious lawyer shit. If The Verve can write a better song, they can keep the money. »
Steamboat Willie, Cendrillon, Pinocchio, Blanche Neige, Alice au pays des merveilles, Fantasia, Dumbo, Bambi, Song of the South, Robin Hood, Peter Pan, Lady and the Tramp, Mulan, Sleeping beauty, 101 Dalmatians, The sword in the stone, the Jungle Book, sont toutes des oeuvres de Disney inspirées de contes traditionnels des siècles précédents du domaine public. Disney empêche dorénavant les créateurs d’utiliser ses personnages. Disney a même déjà poursuivi une garderie pour avoir apposé des personnages de Disney pour décorer les murs. Pourtant, Disney est née en créant à partir d’oeuvres passées. En 1998, lors du 60e anniversaire de Mickey, la loi sur les droits d’auteur a été modifiée aux États-Unis, passant de 75 ans à 95 ans (pour une corporation). Mickey ne sera donc pas du domaine public de si tôt.
Selon les règles de l’OMC (dictées par les États-Unis), pour avoir le droit d’exporter, les pas membres devraient avoir des lois protégeant la propriété intellectuelle similaires à celles qui prévalent aux États-Unis. On exige donc de ces pays qu’ils se contentent de manufacturer, sans pourvoir développer leurs propres versions des produits. On permet ainsi aux multinationales américaines de garder le gros des profits et de protéger d’immenses parts de marché. Ceci est plutôt injuste puisque durant les 100 premières années de l’histoire des États-Unis, le pays ne reconnaissait pas les droits de propriété intellectuelles des autres pays. Cela a permi aux États-Unis de se développer beaucoup plus rapidement. Pourquoi ne pas donner cet avantage aux autres nations émergentes?
Des milliers d’américains sont poursuivis en justice chaque année pour piratage de musique ou de films, parfois pour une dizaine de téléchargement. Ces gens sont ciblés parce qu’ils n’ont pas les ressources financières pour se défendre face aux géants de l’industrie. Le cas de Jammie Thomas est probant, poursuivie pour $222,000 pour 24 chansons! Les huissiers pouvait saisir jusqu’à 25% de son salaire pour le remboursement, en plus de ses biens. En fait, les conséquences d’un simple téléchargement sont plus graves que de voler le CD au magasin!
En 2007, Radiohead a quitté son éditeur, EMI, et a distribué son nouvel album In Rainbow gratuitement sur internet. L’album a été téléchargé 1.2 millions de fois en trois mois et le don (volontaire) moyen a été de 1 Livre. Le disque a ensuite été distribué conventionnellement et s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires.
Au niveau littéraire, le roman Down and Out in the Magic Kingdom publié par Cory Doctorow en 2004 a été rendu disponible gratuitement sur l’internet en même temps qu’il était publié en librairies. Les ventes du livres ont été excellentes, au-delà des attentes de l’auteur; la première édition a été entièrement vendue.
En 2002, un étudiant nommé Jesse Jordan a bâti un moteur de recherche pour le réseau interne de son université. Cet outil permettait aux étudiants de trouver et télécharger facilement des fichier qui se trouvaient sur les serveurs de l’école. Environ 25% des fichiers téléchargés étaient de type musicaux. Quelques mois après la mise en service du système, Jesse a reçu une poursuite de la RIAA pour violation de droits de propriété. Le montant de la poursuite: $15 millions. Jesse aurait eu des chances de gagner sa cause devant les tribunaux, mais vu l’ampleur de la poursuite (et les poches profondes de la RIAA), il lui en aurait coûté $250,000 en frais judiciaires. La RIAA s’est alors informée de ses actifs: $12,000 économisés à l’aide de petits emplois pour payer ses études. La RIAA a donc offert à Jesse un règlement à l’amiable pour $12,000, qu’il a accepté.
En 2002, la RIAA a rapporté que les ventes de CD étaient en baisse de 8.9% (803 millions) et blâmait l’internet. Cependant, en 2002, le nombre de nouvelles sorties CD était en baisse de 20% par rapport à 1999 et au cours de cette période, le prix moyen d’un CD a augmenté de 7.2% ($14.19). De plus, l’industrie du disque devait de plus en plus compétitionner avec celle du DVD. Pourquoi payer $18.99 pour la bande sonore d’un film lorsque pour $19.99 on peut avoir le film entier sur DVD? Il y a donc plusieurs explications à cette baisse de ventes.
Au début du cinéma, c’était Thomas Edison qui contrôlait tout car il détenait les brevets. En 1909, des royautés devaient lui être payées chaque fois qu’un film était tourné et projeté. C’est alors que plusieurs indépendants, telle que la Fox, ont fui en Californie, où il n’y avait pas suffisamment de marshalls pour faire respecter ces lois fédérales. C’est donc de la piraterie que l’industrie du cinéma hollywoodien est née! De nos jours, cette même industrie a de puissants lobbys pour contrer la piraterie, n’est-ce pas ironique?
La radio aussi est née de la piraterie et constitue encore aujourd’hui un cas particulier. En effet, un auteur/compositeur ne peut empêcher une station de radio de diffuser sa pièce, aucune permission n’est requise. Cependant, la station de radio doit payer l’auteur/compositeur à un prix fixé par la loi. Personne ne peut vous obliger à vendre votre maison ou un quelconque bien, et personne ne peut vous imposer son prix. Telle est la nature de la propriété privée dans une société libre. On peut donc dire que le gouverment nie que la musique soit une « vraie » propriété puisqu’il ne permet pas aux auteurs/compositeurs de requérir leur permission pour diffuser leurs pièces et de négocier le prix à leur convenance.
Présentement, si vous tournez un documentaire et que dans votre film, on peut voir sur un téléviseur en arrière-plan un court extrait de 5 secondes d’un épisode des Simpsons, vous devrez obtenir la permission de Fox et payer leur tarif « éducatif » de $10,000. Vous pourriez bien entendu plaider l’usage loyal, mais il faudrait pour cela que vous engagiez un bon avocat pour faire face à ceux de la Fox. Les délais seraient catastrophiques pour votre échéancier et les frais juridiques seraient exhorbitants. Le processus de protection de la propriété intellectuelle n’est en fait qu’un (autre) bon moyen d’enrichir les avocats.
En 1831, le terme d’un droit de propriété intellectuelle a été augmenté de 28 ans (14 ans plus 14 années supplémentaires si renouvelé) à 42 ans (28 ans plus 14 années supplémentaires si renouvelé). Au cours des 40 dernières années, le terme a été augmenté 11 fois par le Congrès. Pour les personnes, c’est maintenant 50 ans après la mort et pour les corporations c’est maintenant 95 ans (Sonny Bono Act de 1998). D’autre part, les renouvellements ne sont maintenant plus nécessaires: ils sont dorénavant automatiques. En 1973, environ 85% des droits de propriété n’étaient pas renouvellés après le premier terme. Ce nouvel amendement retarde donc énormément le passage des oeuvres au domaine public. De nos jours, il n’est plus nécessaire d’enregistrer une création artistique auprès d’une quelconque autorité pour qu’elle soit protégée. Ces changements ont carrément mis un frein à l’expansion du domaine public. Si les termes de la propriété intellectuelle sont constamment rallongés, c’est effectivement équivalent à ce qu’ils soient illimités. La RIAA et la MPAA ont par conséquent réussi, par le lobbying intensif, à éradiquer le domaine public et à s’approprier la culture une bonne fois pour toute.
Depuis la création de la loi américaine protégeant la propriété intellectuelle, le domaine d’application de cette législation s’est beaucoup agrandit. Au début, la protection ne couvrait que les ouvrages commerciaux publiés. Au jourd’hui, elle inclut les productions non-commerciales, publiées ou non, et inclut aussi les transformations d’une oeuvre (traduction, adaptation cinématographique ou théâtrale, échantillonnage, etc).
Notez que la RIAA et la MPAA ont dépensé $1.5 million en lobbying pour faire passer le Sonny Bono Act de 1998 et contribué $200,000 en dons de campagne électorale pour 1998. Disney a versé $800,000 en dons de campagne électorale. Ces dons sont exclusivement allés aux supporteurs (13) du Sonny Bono Act.
Conclusion:
Les lois sur la propriété intellectuelle protègent davantage l’activité commerciale plutôt que la créativité des artistes. Cette protection préserve certaines formes de corporations, menacées par les développements technologiques. Ces innovations ne nuisent pas aux artistes, comme l’ont démontré Radiohead et Cory Doctorow; elles ne nuisent qu’à l’étanchéité du monopole étatique dont bénéficient ces grosses corporations. Ces corporations prétendent être propriétaires de la culture: à aucun moment de l’histoire la culture n’a été autant « propriété » et à aucun moment cette propriété n’a été autant concentrée que maintenant. Il est plus qu’évident que le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle nuit grandement à la création artistique (le contraire de ce qu’elle est sensé accomplir).
Pour approfondir vos lectures sur l’histoire de la propriété intellectuelle, je vous recommande fortement l’excellent ouvrage Free Culture de Larry Lessig, disponible gratuitement en ligne.
Le documentaire suivant, diffusé sur Canal D il y a quelques semaines, est aussi très intéressant:
Malgré le message de la fin anarcho-communiste, je suis d’accord avec l’essentiel du message. Disney fait preuve de la plus grande hypocrisie et de fachisme en s’appropriant l’oeuvre d’auteurs et en n’en bloquant l’accès. Peut-être l’internet va rendre l’application des lois tellement difficile qu’on n’aura le choix de les abandonner. Le piratage et l’espionage industriel c’est un excellente raison pour se débarasser de toutes les réglementations industrielles, spécialement sur les pharmaceutiques. Il faudrait simplement expliquer aux gens la différence entre la fraude ou la fausse représentation et la propriété intellectuelle. Heureusement que certaines choses ne sont pas sous contrôle de propriété intellectuelle, sinon certains concepts comme la roue ou le pont pourraient être possédés par des corporations.
C’est interessant de voir que sur certains sujet (contrôle des brevets, imperialisme militaire, subventions aux pétrolières et pharmaceutiques) l’opinion de la gauche rejoint celle des libertariens. Imaginez si les deux mettaient leurs efforts en commun pour travailler l’opinion publique et faire front commun sur ces sujets. Évidement, ca n’arrivera jamais, l’orgeuil est trop fort! ^_^
@Étienne
« Évidement, ca n’arrivera jamais, l’orgeuil est trop fort! »
Non, la gauche aime bien nier l’évidence si c’est pour donner raison aux libertariens.
Bon exemple (suivez ma conversation avec Jimmy sur ce post):
http://pourquedemainsoit.wordpress.com/2010/04/29/les-banques-pretent-de-l%E2%80%99argent-qu%E2%80%99elles-ne-possedent-pas/
J’ai lu une partie de l’obstinade…. Je ne comprend pas que tu perdes ton temps à essayer de convaincre ce genre de gens…. Tu perds ton temps. Laisse ceux qui veulent comprendre flâner sur ton blogue et oublie ceux qui ne veulent rien voir !!!!
Ataka, c’est beau de voir combien il a une vision totalement erronée de la réalité….
@Waried
Je trouve ça juste drôle qu’ils se soient aventurés sur un terrain qu’ils ne maîtrisent pas du tout (les banques et le système monétaire).
Il faut voir cet article de Sylvain Guillemette et surtout, l’excellente réponse de François J. dans les commentaires:
http://www.centpapiers.com/le-mythe-des-banques-canadiennes/17175/
Le massage de Guillemette est essentiellement: l’État permet aux corporations de tricher le libre-marché; la solution est de donner plus de pouvoir à l’État.
Mais tu as raison: ce type n’est pas sain d’esprit. Ça ne vaut pas le peine de discuter avec lui, mais je le fais pour ceux qui lisent.
C’était une critique générale dirigée vers les deux camps, pas seulement vers la droite, et certainement pas dirigée vers toi (ahem .. vous? monsieur? ^_^). De manière générale, j’ai l’impression que les deux camps sont assez fermé au dialogue, et ne parlons même pas de confiance ou d’intéret pour diriger un projet commun « gauche et droite contre l’establishement corporatif abuseur de gouvernement et de consomateurs ».
C’est simplement utopique d’imaginer ces deux camps main dans la main pour en finir avec les subventions aux pétrolières ou la guerre en Afghanistan. Utopique parce que je pense qu’on est trop occupé à combattre le capitalisme ou le socialisme en général, plutot que de régler des problèmes concrets un par un.
@ Étienne
Je pense (et je prêche pour ma paroisse) est que les libertariens sont très, très, très mal compris. Beaucoup de gens s’attaquent à nous sur ce qu’on est supposé dire, mais en réalité peu de gens comprennent vraiment bien la logique qui sous tend nos opinions.
Il faut comprendre que dans un monde libertarien, les corporations tel qu’on les connait n’existe pas. Le monde ne serait que des humains qui commercent avec d’autres humains. Pas des humains qui commerce avec une entité abstraite… Ça fait la différence du monde !!!!
@Waried
Dans un monde libertarien, il y aurait certainement des corporations, car cette forme d’organisation permet de réduire les coûts de transaction dans l’économie.
Cependant, celles-ci serait probablement plus petites et il y aurait davantage de coopératives.
Dans un monde libertarien, les corporations n’auraient pas la « responsabilité limitée », une forme de subvention étatique.
S’il est vrai qu’avec le web, il est possible de scanner un ouvrage entier ou d’uploader des musiques à foison, il n’est certainement pas difficile pour les producteurs et maison d’édition d’imaginer comment prendre cela à leur avantage. Je pense qu’ils devraient se servir du Web, non lui restreindre toutes ses possibilités.
Imaginons que l’achat d’un CD (single ou album) donne lieu à des bonus; chaque CD servira comme une clé d’accès à un site internet contenant des informations, des images, des vidéos et autres exclusivités…
L’achat d’un ouvrage (ou d’un CD) peut également être accompagné et agrémenté d’un poster, de porte-clés, ou de goodies. Avec éventuellement un système de points à collecter (pour chaque ouvrage acheté), qu’on pourrait troquer contre d’autres produits bonus là encore.
Tous ces petits « trucs » peuvent fortement inciter à l’achat plutôt qu’à la copie. Et je ne pense pas que ce soit très coûteux.
@MH
Je publierai au cours des prochaines semaines un article sur le livre « Against Intellectual Monopoly » de Boldrin et Levine, ainsi qu’un article synthèse sur la propriété intellectuelle, résumant tous les arguments de façon concise.