Il y a deux façons de décomposer les rendements boursiers. Nous pourrions tout d’abord séparer le rendement provenant des dividendes de celui provenant des gains en capitaux. Au cours des 50 dernières années, environ 95% du rendement est provenu des dividendes et le reste des gains en capitaux. À cet égard, les gains en capitaux ont résulté d’une graduelle expansion du niveau d’évaluation des actions reliée au fait que les actions ont gagné « des parts de marché » en tant qu’investissement. Ces gains ont été réalisés notamment grâce à l’expansion substantielle de l’industrie des fonds communs de placement, rendant la bourse accessible au commun des mortels, ainsi qu’à l’avènement du courtage à escompte.
La démographie joue aussi un rôle à ce niveau puisqu’une population vieillissante aura plutôt tendance à se tourner vers les obligations. Cette tendance est d’ailleurs observable présentement et contribue à faire baisser les taux d’intérêt.
L’autre manière de décomposer les rendements boursiers est de séparer le rendement réel et l’inflation. Vous devinez qu’une bonne partie des rendements boursiers n’est en fait que de l’inflation.
Voyons l’impact de l’inflation (supposons 5%) sur l’état des résultats d’une entreprise:
Avant | Après | Changement | |
Revenus | 100 | 105 | 5% |
Coûts d’opération | 50 | 52.5 | 5% |
Marge brute | 50 | 52.5 | |
Coûts d’administration | 10 | 10.5 | 5% |
Amortissement | 15 | 15 | 0% |
Profit avant intérêt et impôts | 25 | 27 | 8% |
Intérêts | 5 | 5 | 0% |
Impôts | 5 | 5.5 | 10% |
Profit net | 15 | 16.5 | 10% |
J’ai pris comme hypothèse que le volume de vente ne change pas et que les coûts augmentent au même rythme que les revenus, ce qui n’est évidemment pas le cas puisque les salaires vont généralement être en retard sur l’inflation. J’ai aussi pris comme hypothèse que la marge brute d’opération reste à 40%, ce qui ne serait pas le cas dans un environnement concurrentiel dans lequel les entreprises tenteraient de gagner des parts de marché. Notez que l’amortissement du capital ne change pas puisque le capital a été investi dans le passé. Il n’est donc pas influencé par l’inflation. Notre entreprise fictive réalise ici une croissance des profits de 10% grâce à un taux d’inflation de 5%.
Supposons que le marché boursier attribue une valeur de 12 fois les profits à cette entreprise, sa valeur boursière augmenterait de $180 à $198, un gain de 10%.
Vous comprenez maintenant pourquoi les institutions financières de Wall Street tiennent mordicus à ce que l’inflation soit positive et qu’ils s’attendent à ce que la banque centrale, qui leur appartient soit dit en passant, utilise tous les moyens à sa disposition pour générer de l’inflation puisque cela fait monter les cours boursiers et immobiliers.
Les banques bénéficient grandement des rendements boursiers. Tout d’abord, elles ont des investissements significatifs à la bourse au sein de leurs portefeuilles de titres.
Ensuite, les banques ont presque toutes une opération de gestion de patrimoine. Dans cette ligne d’affaires, les frais de gestion sont calculés en pourcentage des actifs sous gestion. Donc, si les actifs sous gestion augmentent de 10% grâce aux rendements boursiers, les revenus augmentent aussi de 10%.
Finalement, les banques génèrent une portion significative de leurs profits grâce à leur division de banque d’investissement. Par exemple, lorsqu’une entreprise veut émettre des actions pour $200 million, la banque va se charger d’effectuer l’émission et exigera des frais d’environ 5% de la valeur des actions émises. Vous devinerez que cette ligne d’affaires est très lucrative! Évidemment, plus le cours des actions émises est élevé, plus les frais seront élevés.
Il est donc clair que les profits des banques sont dopés à l’inflation et que celles-ci ont un très grand intérêt à ce que l’inflation demeure positive. Les lobbys des banques sont extrêmement puissants dans tous les pays et ceux-ci mettent énormément de pression sur l’État pour qu’il stimule l’inflation. Les banques figurent parmi les plus grands contributeurs aux campagnes électorales. Les « lieutenants » de l’industrie bancaire ont d’ailleurs profondément infiltré les gouvernements et peuvent influencer directement les politiques économiques de l’État (voir ceci et ceci).
Les théories de Keynes ont donc grandement servi la cause des banques, leur fournissant un cadre théorique permettant de justifier les politiques économiques inflationnistes auprès du public. La courbe de Philips, opposant l’inflation au chômage, a aussi été fortement utilisée à cette fin.
Pourquoi la bourse a-t-elle fortement augmenté au cours des deux dernières années malgré la faible inflation? Il y eu tout d’abord l’atténuation de la panique qui régnait durant la crise financière. Il y eu ensuite une reprise des profits grâce à d’importantes coupures de coûts et rationalisations au sein des entreprises. Finalement, il ne faut pas oublier que bien que l’inflation ait été faible récemment, elle est quand même restée positive (voir deuxième graphique ci-bas). Les économistes keynésiens préfèrent exclure la nourriture et l’énergie de l’inflation malgré le fait que ces deux éléments représentent une partie significative du budget des consommateurs.
Conclusion:
Si vous craignez l’inflation, les actions sont définitivement une classe d’actif préférable aux titres à revenus fixes puisque les entreprises peuvent repasser l’augmentation des profits résultant de l’inflation aux actionnaires sous forme de hausses de dividendes. Vous devez évidemment sélectionner des entreprises qui ont la capacité d’augmenter leurs prix au moins au même rythme que l’inflation.
Il est faux de dire que les actionnaires sont plus favorisés par l’inflation que les salariés. Il me semble que la plupart des études indiquent un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés dans les années 1970.
Par contre, il est vrai que ceux qui avaient accès crédit, soit à cause de régulations gouvernementales soit à cause de la nature de leur activité, étaient très avantagés par rapport au reste de la société.
Mais cela ne change pas le fait qu’une forte inflation gêne les gens pour comparer les prix ou faire de gros achats. (C’est sans doute l’inflation faible de ces dernières années qui a permis la baisse des taux et la montée de l’immobilier).
@fred
Je ne dis pas vraiment que les actionnaires sont plus favorisés, mais il y a un « lag » entre l’inflation et les hausses de salaires. Les entreprises profitent temporairement de cet écart.
@minarchiste
En préalable, je trouve la plupart de vos articles excellents, très clairs sans renoncer aux détails parfois complexes.
Toutefois, je pense qu’en ce qui concerne l’inflation, vous commettez une erreur de raisonnement. Vous n’augmentez pas le poste amortissement ce qui induit une hausse des profits et donc l’idée que les entreprises bénéficient de l’inflation. En regardant les cours des actions pendant les périodes d’inflation, vous verrez que c’est plutôt l’inverse, les entreprises en souffrent. En effet dans votre exemple l’entreprise amortit un capital investi dans le passé, mais l’entreprise va devoir réinvestir un jour ou l’autre (en moyenne 6 ans) et le prix de ce nouvel investissement en capital sera bien plus élevé que celui fait dans le passé. La hausse apparente des profits est en réalité une conséquence purement comptable.
L’inflation a de nombreux effets négatifs sur les entreprises, pour commencer cette comptabilité au coût historique qui induit un taux d’imposition sur des bénéfices virtuels, en réalité plus faibles, voire inexistants.
Par contre l’inflation a énormément favorisé tous les accédant à la propriété des années 70 qui n’ont pas supporté le coût de leur emprunt immobilier.
@Fabrice
Je ne suis pas en désaccord avec l’essence de votre commentaire. Il n’en demeure pas moins que pendant ces 6 ans, les entreprises empocheront des profits excédentaires.
Et les entreprises ne réinvestiront pas, sauf si le nouveau niveau de prix permet de réaliser un rendement intéressant.
Donc la hausse des profits réels n’est en effet pas permanente, mais cela ne veut pas dire que l’inflation est mauvaise pour les entreprises.
Et il y a des entreprises perdantes, soit celles qui n’arrivent pas à hausser leurs prix au même rythme que leurs coûts.