“American Nations: A History of the Eleven Rival Regional Cultures of North America”, par Colin Woodard.
Les États-Unis ne forment pas une nation uniforme, cela n’est un secret pour personne. Mais selon Colin Woodward, le pays est beaucoup plus diversifié qu’on ne le croit en général. Les États-Unis constituent en fait une fédération comprenant onze nations distinctes. L’analyse de ces nations permet de beaucoup mieux comprendre le paysage politique Nord-Américain.
Les colonies originelles furent peuplées de gens provenant de diverses régions des îles Britanniques, de France, des Pays-Bas, d’Espagne et de l’Allemagne, ayant des caractéristiques ethnographiques forts différentes ainsi que des valeurs tout aussi différentes. Ces différences marquées sont encore visibles aujourd’hui…
El Norte
Cette nation a été peuplée par des migrants de l’empire Hispano-Américain, en provenance du Mexique. La région comprend maintenant le Sud du Texas, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et une portion de la Californie. C’est la plus vielle nation d’Amérique du Nord (outre les Amérindiens). Les colons Espagnols ont établis des missions religieuses dans le Nord du Mexique/Sud des États-Unis, où ils ont converti les Amérindiens au catholicisme, leur ont appris l’espagnol et les ont aidé à bâtir des villages. Comme les colons et soldats Espagnols étaient tous masculins, ils ont pris des Amérindiennes comme épouses, donnant lieu à l’apparition de métisses, qui en sont venus à former la majorité de la population au début du 18e siècle.
La fameuse culture du “cowboy” si chère aux Américains vient en fait d’Espagne. Ce sont les Espagnols qui ont introduit les chevaux, vaches, moutons et agneaux en Amérique, tout comme les vêtements (chaparreras), outils (lazo) et techniques utilisées pour les élever (mener le troupeau à dos de cheval). Même le fameux chapeau de cowboy est un dérivé du sombreros. Les mots tels que rodeo, bronco, mustang, stampede et ranch sont directement dérivés de la langue espagnole.
Dans le Far West, les cultures propices à l’esclavages ne pouvaient pas pousser, ce qui limitait les possibilités d’expansion du Deep South après 1850, comparativement aux autres nations, ce qui affaiblirait leur pouvoir politique au niveau fédéral. Ils ont donc envahi le Texas des Nortenos; la portion Est pour Deep South et le Nord/centre pour les Appalachiens. La frontière de l’El Norte a donc été repoussée vers le Sud (entre San Antonio et Corpus Christi). Durant la Guerre Mexicano-Américaine menée par l’initiative de Deep South et Appalachia, les États-Unis ont annexé les territoires aujourd’hui connu comme étant l’Arizona, le Nouveau-Mexique, la Californie, le Nevada et l’Utah.
De nos jours, El Norte s’étend des deux côtés de la frontière Américano-Mexicaine. En 2008, il y avait 12.7 millions de Mexicains aux États-Unis, soit 11% de la population native du Mexique sur la planète et 32% de la population immigrante des États-Unis (la même proportion que les Irlandais en 1866). La grande majorité habitent l’El Norte. Les Mexicains du Nord ont davantage d’affinité avec les Nortenos qui habitent aux États-Unis qu’avec les Mexicains du reste du Mexique. Woodward pense qu’El Norte pourrait former un nouveau pays dans quelques décennies.
Tidewater
Ces colons arrivèrent en Virginie et fondèrent Jamestown. Au Maryland, en Caroline du Nord et en Virginie, les protestants ont tenté de recréer une aristocratie à l’Anglaise, où les paysans sont au service des propriétaires terriens, lesquels maîtrisent l’appareil politique à leur profit. D’ailleurs, c’est cette nation qui a produit les plus grand champions du républicanisme, tels que Thomas Jefferson, George Washington et James Madison. Leur vision de la liberté ressemblait davantage à celle de l’ancienne Rome, alors que Yankeedom et Midland ont plutôt embrassé le concept germanique de liberté.
Comme toute aristocratie, les riches de Tidewater avaient besoins de main d’œuvre abordable, d’où l’intérêt d’importer des esclaves, mais aussi des immigrants asservis en provenance d’Europe, qui acceptèrent de servir d’esclaves pendant quelques années en échange de leur droit de passage. Cette nation n’a pas réussi à prendre beaucoup d’expansion et a aujourd’hui moins d’influence, ayant été entourée par Deep South et Appalachia.
Yankeedom
Arrivant à bord du Mayflower en 1620, les colons Pèlerins ont fondé Plymouth. Yankeedom est située dans le Nord-Est de New York City et s’étendant à travers le Michigan, Wisconsin et le Minnesota. Les Pilgrims et les Puritains sont arrivés en Amérique pour y créer une utopie religieuse, une nouvelle société basée sur les enseignements de John Calvin. Dès le début, ils mirent l’emphase sur l’éducation publique, l’interventionnisme gouvernemental pour améliorer la société et la poursuite du bien commun au détriment de l’individu.
Les Yankees ont mis en place l’infrastructure culturelle d’une grande partie de l’Ohio, de certaines portions de l’Iowa et de l’Illinois et presque l’entièreté du Michigan, du Wisconsin et du Minnesota. Chicago est à la frontière entre Yankeedom et Midland dans le Midwest. Mais leur berceau est essentiellement situé en Nouvelle-Angleterre.
New Amsterdam
Assise entre Yankeedom et Tidewater, la ville est devenu une place commerciale pour ces deux nations. Sa population était très diverse (Belges, Polonais, Finnois, Suédois, catholiques Irlandais et Portuguais, Anglicans, Puritains et Quakers de Nouvelle-Angleterre, Juifs, Amérindiens et Africains). Il y régnait une culture de tolérance, de mobilité sociale et d’entreprise privée, des valeurs désormais considérées comme purement américaines, mais qui à l’époque caractérisaient surtout (voire exclusivement) New Amsterdam. Son administration était par contre très autocratique.
Une fois envahie par les Anglais, les Hollandais ont négocié un reddition un peu inhabituelle pour s’assurer de la survie de leurs valeurs à New Amsterdam. Ils ont pu conserver leurs lois, propriété, églises, langage et même les fonctionnaires locaux.
Ayant été fondée par des Hollandais, New York dispose encore aujourd’hui d’une culture fort distinctive, et ce même si les ancêtres d’Hollandais ne représentent plus que 0.2% de la population!
Midlands
Les Midlands furent colonisés par des Quakers Anglais (mais les Allemands sont devenus majoritaires au 17e siècle) et se situent dans une portion du New Jersey, en Pennsylvanie, Ohio, Indiana, Illinois, Missouri, Iowa, Kansas et Nebraska. La population est dorénavant ethniquement diversifiée (Anglais, Irlandais, Allemands et Hollandais) et prône le pacifisme et la tolérance. La colonie fut fondée lorsque le fils de l’Amiral britannique William Penn se tourna vers la secte des Quakers. À la mort de son père, il troqua une dette que le Roi Charles avait envers son père en échange d’un territoire de 45,000 miles-carrés entre le Maryland et New York. Cette province fut nommée Pennsylvanie et devint un eldorado pour les Quakers d’Europe.
Les habitants des Midlands croient en général que la société devrait être organisée en fonction du bien commun de la population (comme les Yankees), mais sont réticents face à l’intervention gouvernementale pour y arriver.
Deep South
Vers la fin du 17e siècle, la Barbade était la plus vieille, la plus riche et la plus densément peuplée colonie britannique en Amérique. La richesse y était concentrée entre les mains d’une poignée de planteurs oligarchiques, qui avaient acquis une réputation au sein de l’Empire Britannique pour leur immoralité, leur arrogance et leur vanité. Ce sont ces oligarques qui vont migrer vers le Nord et peupler ce que l’on appelle désormais le Deep South. Le Deep South est présentement constitué de l’Alabama, de la Floride, du Mississippi, de l’Est du Texas, de la Georgie et de la Caroline du Sud.
En 1670, toutes les colonies américaines toléraient l’esclavage, mais la plupart étaient des sociétés modérément peuplées de quelques esclaves, alors que le Deep South était une société entièrement basée sur l’esclavage et où les esclaves étaient plus nombreux que le reste de la population. Les habitants sont les défenseurs de l’autonomie des états contre le gouvernement fédéral, ils sont contre la règlementation tout azimut (incluant le contrôle des armes à feux), ils sont foncièrement belligérants et violents, tant au niveau domestique qu’au niveau politique étrangère, sans oublier qu’ils ont restés racistes malgré l’abolition de l’esclavage qui leur a été imposée.
Greater Appalachia (les Borderlanders)
Cette région n’a jamais vraiment été une colonie. Elle a plutôt été peuplée, au début du 18e siècle, par les Borderlanders, des Écossais, Irlandais, Britanniques du Nord qui sont venus en quête de meilleures circonstances économiques alors que leurs terres d’origines étaient ravagées par les guerres. Ils sont arrivés à travers diverses colonies (surtout Midlands car les Quakers acceptaient les immigrants de toutes les nations), mais se sont établis dans les montagnes, à l’écart des centres urbains.
Ils allaient éventuellement fonder les états de Kentucky, Tennessee, Virginie Occidentale, Arkansas, Oklahoma, mais sont aussi présents en Indiana, au Missouri, en Illinois et au Nord-Ouest du Texas. On les caractérise souvent de « rednecks » et de « hillbillies ». Ils étaient généralement pauvres et illettrés. Ils détestent les aristocrates de tous genres et les réformateurs sociaux, ce qui les place en conflit avec les Yankees, Tidewater et Deep South. Ils ont des affinités avec Deep South pour la violence et l’opposition à la règlementation. Le Klu Klux Klan a été fondé en Appalachia, parce que les esclaves noirs affranchis entraient en concurrence avec les Borderlanders blancs pauvres et peu éduqués.
Andrew Jackson fut le premier président Appalachien. Il a remporté l’élection avec le support de Tidewater et Deep South avec une plateforme de gouvernement minimal, expansion militaire agressive, suprématie de la race blanche et indépendance des nations. Il a mis en place une politique de nettoyage ethnique des Cherokees, Creeks et Chicksaws, même si la Cour Suprême l’a jugée inconstitutionnelle.
Sous Woodrow Wilson, un président du Sud d’Appalachia, la ségrégation pris de l’ampleur. Il purgea les agences fédérales de leurs administrateurs noirs et mis en place des salles de bain séparées pour les noirs dans les édifices gouvernementaux. Wilson accéda au pouvoir parce que Teddy Roosevelt a eu comme impact de scinder le vote de l’Alliance du Nord en fondant son Parti Progressiste.
La Left Coast
Les premiers colons de la côte Ouest américaine étaient des Yankees arrivés par bateau espérant fonder une seconde Nouvelle-Angleterre. Ils se sont établis autour de Santa Barbara et Monterey, ont appris l’espagnol, se sont convertis au catholicisme, ont marié des épouses Mexicaines et ont changé leur nom pour leur version espagnole. Des Appalachiens sont aussi arrivés de l’intérieur du continent (Far West) à la recherche d’or (les Forty-Niners), apportant avec eux une culture un peu libertarienne et la méfiance de l’autorité.
Dans les années 1950s, les « bohémiens » de Greenwich Village, à New York, ont commencé à migrer vers la Left Coast, consolidant l’affinité cette région avec l’Alliance du Nord (Yankeedom et New Netherlands). La Left Coast comprend dorénavant la Californie côtière, l’Orégon, l’état de Washington et la côte de la Colombie-Britannique.
Le Far West
Les premiers habitants du Far West sont arrivés en deux vagues distinctes entre 1847 et 1850. Les premiers furent les Mormons, qui se sont établis en Utah et en Idaho en provenance de Yankeedom. Les second furent les « Forty-Niners », des Appalachiens individualistes en quête de gisements aurifères. Les Mormons ressemblent aux Yankees de par leur communautarisme, leur emphase sur la moralité et les bonnes œuvres et leur désir d’assimiler les autres. Ils sont à l’origine des tendances socialistes de la région avant la Seconde Guerre mondiale.
Cependant, suite à ces deux vagues, le Far West a surtout été colonisé grâce aux investissements des industrialistes de la côte Est dans les mines et le transport ferroviaire. Le système politique a été usurpé par ces intérêt externes. La plupart des sénateurs et représentants du Far West reçoivent leur financement politique d’individus et entreprises situés hors de la région et ont adopté une attitude très corporatiste. D’une part, ils s’opposent à centralisation des pouvoirs au niveau fédéral et à l’interventionnisme étatique (leur donnant une allure quasi-libertarienne), mais d’autre part souhaitent bénéficier des largesses gouvernementales pour aider leurs entreprises, par des subventions et investissements en infrastructures.
La Nouvelle-France et le Canada
La différence majeure entre la colonie de Nouvelle-France au Québec et les colonies Anglaises des États-Unis est que les Canadiens-Français ont fait symbiose avec les Amérindiens plutôt que de les combattre. La Nouvelle-France s’étend dans les provinces maritimes et comporte aussi une enclave en Louisiane.
Selon Woodward, les études sociologiques démontrent que la Nouvelle-France est la nation la plus post-moderne d’Amérique du Nord. C’est la région avec la plus faible proportion de gens qui croient au diable (29%) et à l’enfer (26%), qui pensent que le père de famille doit être le maître dans sa maison (15% au Québec versus 29% en Nouvelle-Angleterre et 71% en Alabama/Mississippi/Tennessee). Les Québécois sont plus tolérants de l’homosexualité, de la prostitution, de l’avortement et du divorce. Montréal combine la tolérance d’Amsterdam, l’élan de Paris et les bons restaurants de San Francisco, avec un grand quartier bohémien (le Plateau) rappelant Greenwich Village d’antan.
Le mythe fondateur du Canada-anglais est qu’il a été formé d’environ 28,000 réfugiés loyalistes qui ont fui les États-Unis vers la fin de la Révolution Américaine, lesquels préféraient rester fidèles à la Couronne Britannique. La plupart des soi-disant “loyalistes » qui ont migré vers l’Ontario n’étaient pas d’origine britannique, mais plutôt des Allemands et des Quakers de Midland ainsi que des Hollandais de New Amsterdam, qui n’avait rien à faire des Britanniques, outre leurs offres de terres à rabais, de faible taxation et de plus grande liberté de religion. L’héritage culturel du Canada anglais était donc Yankee à l’Est du Québec et Midlander à l’Ouest.
Le Far West Canadien et ses valeurs plus libertariennes couvre la Saskatchewan, l’Alberta, l’intérieur de la Colombie-Britannique et le Sud du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. La côte de la Colombie-Britannique a plus d’affinité avec la Left Coast qu’avec le reste du Canada.
De nos jours, le Canada serait, selon Woodward, la plus stable des trois fédérations Nord-Américaines, surtout parce que ses nations ont fait d’importants compromis les uns envers les autres.
Révolution Américaine
Selon Woodward, la véritable révolution américaine n’est pas survenue durant les années 1770s, mais plutôt à partir des années 1680s, sous la forme d’une série de rebellions séparées dans le but de préserver la culture distincte de chaque nation. Woodward affirme que les conflits de 1775-1782 ne furent pas une guerre entre les Britanniques et les Américains dans le but de créer une république unie où tous les hommes sont considérés égaux et se voient garantir la liberté de parole, de religion et de presse. Ce fut plutôt une alliance faible de différentes nations, dont chacune cherchait à conserver le contrôle de sa culture et de son système politique face à l’Empire Britannique. Ce ne fut pas vraiment une révolution, mais plutôt des guerres séparées de libération coloniale.
Les colonies américaines n’ont pas été établies par le gouvernement britannique, mais plutôt par des entreprises privées, de riches aristocrates poursuivant une utopie et des sectes religieuses cherchant plus de liberté de croyance. Ce manque de poigne de l’Empire a permis aux dites colonies de se développer de manière à former des cultures distinctes et indépendantes.
Vers les années 1680, quand la Couronne a cherché à imposer une certaine uniformité et à centraliser le pouvoir politique, il était déjà trop tard. Certaines des nations en étaient à leur 7e génération. Cette menace est arrivée avec le couronnement du Roi James II en 1685. Les quatre nations qui se sont initialement rebellées à la fin du 17e siècle, Yankeedom, Tidewater, Greater Appalachia et Deep South, avaient peu en commun et ne se faisaient pas confiance. C’est Yankeedom qui a d’abord mené le bal. Mais en 1688, suite à un troisième coup d’état (la Révolution Glorieuse), James dû s’exiler en France, après quoi les efforts de centralisations furent stoppés, mais pas renversés.
Environ 80 ans plus tard, durant les années 1770s, une autre génération d’aristocrates britanniques ont tenté de mettre les États-Unis à leur main en centralisant encore le pouvoir politique. Ils commencèrent par augmenter les taxes sur à peu près tout et à installer des gouverneurs pour usurper le pouvoir politique. Quand les guerres de la révolution ont débuté, la seule structure politique qui unissait les colonies était le Congrès Continental. Cette entité disposait d’une armée, qui fut placée sous le commandement de George Washington.
Yankeedom s’est rebellée non pas pour préserver l’égalité et la liberté du pays, mais bien pour préserver sa façon de vivre et son pouvoir politique. New Amsterdam ne s’est pas jointe au mouvement. Les Midlands ont tenté de rester neutre, mais des représentants de Yankeedom, Tidewater et Deep South ont sanctionné un coup d’État contre le gouvernement de Pennsylvanie. Ce sont les Boderlanders de l’état qui ont alors pris le pouvoir, et eux souhaitaient l’indépendance non seulement des britanniques, mais aussi des Midlanders. Le reste de Greater Apalachia était divisé sur le conflit et ont combattus de part et d’autre.
Deep South a décidé de combattre les britanniques pour pouvoir préserver leur système d’esclavage. Même chose pour Tidewater, qui s’est libérée en premier et sans trop de résistance. C’est un aristocrates de Tidewater, George Washington, qui allait d’ailleurs prendre la tête de l’armée Continentale et mener les combats sur les autres fronts.
La Constitution
En juillet 1776, John Dickinson de (Midland) Pennsylvanie craignait que la Nouvelle Angleterre ne devienne indépendante de l’Union, affaiblissant grandement l’alliance entre les colonies, les rendant vulnérables. De son côté, Richard Henry Lee, de Virginie (Tidewater), croyait qu’une union formelle était nécessaire au maintien de la paix entre les colonies. C’est pour contrer ces peurs que la première constitution des États-Unis, les Articles de Confédérations, furent rédigés, lesquels ne furent ratifiés qu’en 1781.
On peut considérer la constitution américaine comme étant une forme d’alliance volontaire entre des nations qui ont accepté de déléguer certains pouvoirs à une administration gouvernementale commune. Les Appalachiens ont été exclus des discussions. Les Néo-Hollandais ont refusé de voter à son égard jusqu’à ce que le Congrès ajoute 13 amendements inspirés des droits et libertés civiles énumérés dans le document de capitulation de New Amsterdam conclu avec l’Angleterre en 1664.
Au bout du compte, la constitution américaine a été le fruit d’un compromis difficile entre nations rivales. Pour plaire aux aristocrates de Tidewater et Deep South, il fut convenu d’avoir un président puissant élu par un collège électoral (et non par les gens ordinaires). Le Bill of Rights fut inclus à la demande de New Netherlands, pour assurer liberté d’expression, de religion et d’association. Midland a insisté pour que les états demeurent souverains pour se protéger de l’interférence des Yankees. Les Yankees se sont assurés que tous les états aient un nombre égal de représentants au Sénat plutôt qu’une représentation proportionnelle.
Selon Woodward, les fameux « Pères Fondateurs » ne cachaient pas leur dédain pour la démocratie. Selon eux, le Sénat allait contrer « l’imprudence de la démocratie » (selon Alexander Hamilton) et stopper « les turbulences et folies de la démocratie » (Edmund Randolph). Les grands districts fédéraux serviraient à « diviser les communautés pour se défendre contre les inconvénients de la démocratie » (James Madison).
La Guerre Civile
La Guerre Civile Américaine est souvent décrite comme un conflit entre le Nord et le Sud, deux regions qui n’ont jamais existé, tant culturellement que politiquement. Il s’agissait plutôt d’un conflit entre deux coalitions. D’un côté Deep South et Tidewater, de l’autre Yankeedom.
À chaque année qui passait après 1850, les nations de Yankeedom, Midland et New Netherland augmentait leur proportion de la population nationale, ce qui faisait aussi augmenter leur nombre de siège à la Chambre des Représentants, d’autant plus que la nouvelle Left Coast était sous influence Yankee. En 1860, Yankeedom a fait élire Abraham Lincoln, un Républicain de l’Illinois qui s’opposait à la création de nouveaux états esclavagistes, ce qui allait définitivement empêcher le Dixie-Bloc d’avoir davantage de pouvoir politique au niveau fédéral.
Après la victoire de Lincoln, la Caroline du Sud fut le premier état à quitter l’Union. Elle fut suivie du Mississippi, de l’Alabama, de la Georgie, de la Floride, de la Louisiane et du Texas. En février 1861, ils s’assemblèrent en Alabama pour former un nouveau gouvernement. Les états Appalachiens et de Tidewater ne se joignèrent pas à eux et décidèrent de former leur propre confédération.
C’est pour empêcher cette sécession que la Guerre Civile a eu lieu.
Les vagues d’immigration
Entre 1830 et 1924, environ 36 millions de personnes ont émigrés vers les États-Unis. Ils sont arrivés en trois vagues distinctes : 1) environ 4.5 millions d’Irlandais, Allemands et Britanniques entre 1830 et 1860, 2) environ 9 millions de ces mêmes pays en plus de Scandinavie et de Chine entre 1860 et 1890, 3) entre 1890 et 1924, 18 millions d’immigrants surtout de l’Europe de l’Est et du Sud (particulièrement de la Grèce, de l’Italie et de la Pologne), mais aussi de Chine. En 1924 des quotas d’immigration furent imposés par le Congrès. Ces immigrants se sont établis à New Netherland, les Midlands, Yankeedom et Left Coast, et se sont concentrés dans certaines villes telles que New York, Philadelphie, Boston, Chicago et San Francisco. Très peu allèrent vers Tidewater, Appalachia, Deep South ou El Norte.
Selon Woodward, les immigrants d’une même communauté ont parfois réussi à dominer certains quartiers (les Irlandais à Boston ou les Italiens à New York par exemple), mais le système politique qu’ils ont pris en charge était le produit de la culture régionale qu’ils ont adoptée. Les immigrants n’ont pas altéré la « Culture Américaine », ils n’ont fait qu’influencer certaines des nations et leur culture régionale. Si les États-Unis avaient scellé les frontière en 1790, la population aurait atteint 125 million à l’an 2000 (plutôt que 250 millions).
Le clash politique actuel
Au niveau politique, le 20e siècle fut marqué qu’une grande différence entre le Dixie-Bloc (Deep South, Tidewater, Southern Appalachia) et l’Alliance du Nord (Yankeedom/Midlands/New Netherlands/Left Coast). Le Dixie-Bloc a mis l’emphase sur la responsabilité individuelle pour améliorer son sort dans la vie, alors que les autres nations croient plutôt en l’utilisation du gouvernement pour améliorer la société. L’Alliance du Nord est plutôt multi-culturaliste et égalitaire, alors que le Dixie-Bloc est raciste et élitiste.
Le Dixie-Bloc est aussi plus religieux. En 2008, un sondage Gallup demandait à 350,000 Américains si religion avait une place importante dans leur vie quotidienne. Le top 10 des états ayant répondu dans l’affirmative était constitué en entier d’états où les nations du Dixie-Bloc sont dominantes, alors que 8 des états du top 10 ayant répondu non étaient dominés par la nation Yankee.
Après l’élection de l’an 2000, le Dixie-Bloc a pris le contrôle à la fois de la Maison Blanche, du Sénat et de la Chambre des Représentants pour la première fois en 46 ans. C’est alors que la fédération a pris une trajectoire différente, selon Woodward, surtout quant à sa politique étrangère, qui est devenue plus agressive.
Woodward fait aussi référence au « flip-flop » qui a fait en sorte que le Parti Démocrate est devenu le parti de la Northern Alliance, tandis que le Parti Républicain est devenu le véhicule des blancs du Dixie-Bloc. Ce changement a été surtout causé par le mouvement des Droits Civils durant les années 1960s, alors que des Présidents démocrates se sont dressés devant la ségrégation raciale, s’aliénant le Dixie-Bloc à jamais. Sous George W. Bush, les Républicains de la Northern Alliance furent éradiqués. Par exemple, après le massacre de Newton, la sénatrice Républicaine du New Hampshire, Kelly Ayotte, fut l’un des seuls votes « contre » au sein du territoire de la Northern Alliance concernant une nouvelle loi sur le contrôle des armes à feux (et sa popularité locale en a pris un coup).
Lors du vote de 2010 sur Obamacare, les représentants Yankees ont voté en faveur (62-21), tout comme les Néo-Hollandais (24-6) et la Left Coast (21-2). Lorsque des Républicains font défection lors d’un vote, ils sont toujours originaire de la Northern Alliance ou de Midlands, comme par exemple les 4 Républicains qui ont voté contre la destitution de Bill Clinton et les 3 Républicains qui ont voté en faveur d’Obamacare.
Les nations de Midlands, Far West et El Norte agissent souvent comme un pivot décisif lors d’élections. Entre 1877 et 1933, Midlands et le Far West ont permis à la Northern Alliance de contrôler la fédération. De 1980 à 2008, ce fut le Dixie-Bloc qui bénéficia de leur appui, incluant le fait que Barry Goldwater, Richard Nixon et Ronald Reagan sont originaire d’El Norte. Ce sont sur les territoires de ces nations que ce situent la plupart des fameux « swing states » lors des élections (c’est aussi pour cela que les caucus des primaires ont lieu entre autres en Iowa, un état pourtant peu populeux).
À l’élection de 2016, Clinton a remporté Yankeedom, New Netherland et la Left Coast par une marge considérable. Elle a aussi remporté, comme Obama l’avait fait, Tidewater et El Norte (incluant la pointe Sud de Floride). Trump a remporté Deep South, Greater Appalachia, le Far West et l’enclave de Nouvelle-France en Louisiane comme les quatre candidats Républicains précédents. C’est dans le Midlands que le nombre de contés Démocrates a chuté, alors qu’Obama l’avait emporté par 11% en 2008 et 6% en 2012, Clinton n’a gagné que par 0.4%. Le clan Démocrate a aussi perdu des siège au sein de Yankeedom, surtout en milieu rural, ce qui a été décisif.
Conclusion
Non seulement les États-Unis sont un pays constitué d’une panoplie de nations à la culture et aux valeurs fort différentes, mais en plus le pays est de plus en plus polarisé. Les gens déménagent de plus en plus dans des contés où les habitants partagent leurs convictions politiques. Le nombre de citoyens vivant dans un conté où un parti remporte l’élection fédérale par plus de 20% de marge a augmenté de 26.8% en 1976 à 48.3% en 2004.
Pour cette raison, le pays est politiquement bloqué et ne réussit pas à faire avancer quoique ce soit car les alliances de nations ont un droit de veto effectif sur presque tout. Pour que les Démocrates prennent davantage de galon, il faudrait que le Far West penche en leur faveur; c’est d’ailleurs là que le prochain candidat succédant à Hillary Clinton devrait concentrer ses efforts…
L’un des éléments qui est ahurissant est à quel point les américains sont inconscients de leurs origines. S’il y a une chose que l’on retrouve tant à San Francisco qu’à Atlanta, c’est un fort sentiment de patriotisme. Mais réalisent-ils qu’en fait, pratiquement rien ne les unit? En ce sens, Woodward en conclue qu’au cours du prochain siècle, certaines portions du pays pourraient faire sécession, notamment El Norte, mais peut-être aussi le Dixie-Bloc.
En terminant, voici une estimation des populations actuelles de chaque nation aux États-Unis seulement.
Greater Appalachia 56.56 million
Yankeedom 55.06 million
Deep South 41.36 million
Midlands 37.05 million
El Norte 31.54 million
Far West 27.81 million
New Netherland 18.07 million
Left Coast 16.96 million
Tidewater 11.93 million
New France 2.76 million
First Nation 0.06 million
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https://minarchiste.wordpress.com/2016/11/18/la-deterioration-des-institutions-politiques-12/
Ressources complémentaires:
http://emerald.tufts.edu/alumni/magazine/fall2013/features/up-in-arms.html
https://img.washingtonpost.com/blogs/govbeat/files/2013/11/upinarms-map.jpg
http://www.pressherald.com/2017/01/06/the-american-nations-in-the-2016-presidential-election/
http://washingtonmonthly.com/magazine/novdec-2011/a-geography-lesson-for-the-tea-party/
Comme complément d’information, à lire cet article très intéressant sur le même sujet: http://m.slate.fr/story/128699/trump-president-etats-unis-nations-rivales