Dans un article publié en octobre 2009, j’avais démystifié les circonstances entourant la dérèglementation du marché californien de l’électricité ainsi que la crise énergétique de 2000-2001. Dans la même veine, le présent article traite de la dérèglementation réussie (le mot est faible) du transport ferroviaire américain suite au Staggers Rail Act de 1980.
En 1950, le transport de cargaisons par train avait une part de marché de 56%. En 1982, cette part de marché n’était plus que de 36%.
La règlementation des tarifs empêchait les compagnies ferroviaires de s’adapter aux changements de l’industrie du transport. Elle leur imposait aussi des coûts élevés et inutiles. Conséquemment, la condition financière de ces entreprises s’est mise à se détériorer. La Penn Central Railroad a fait faillite en 1970, suivie de plusieurs autres durant les années 1970s, incluant la Erie Lackawanna, la Lehigh Valley, la Reading et la Central of New Jersey.
Le Staggers Rail Act a été signé par le président Jimmy Carter le 14 octobre 1980 et a dérèglementé l’industrie américaine des chemins de fer, remplaçant le Interstate Commerce Act de 1887. Les six plus grands changements amenés par cette loi furent les suivant :
- Les tarifs maximums ne sont plus règlementés, sauf si a) il n’y qu’un seul fournisseur possible ou b) le tarif atteint dépasse le coût variable d’opération par plus de 80%. Les tarifs maximums alors autorisés ont été basés sur un rendement du capital investi jugé adéquat par les autorités.
- Les tarifs minimums ne sont plus règlementés, tant qu’ils couvrent au moins les coûts variables d’opération.
- Les compagnies ferroviaires sont maintenant autorisées à signer des contrats négociés avec les expéditeurs.
- Les compagnies ferroviaires sont exemptes de toute règlementation dans les juridictions / marchés dans lesquels elles n’ont pas d’influence.
- Les changements de tarifs peuvent maintenant être effectués trimestriellement.
- Les obligations bureaucratiques ont aussi été grandement réduites de même que les exigences reliées au maintient de lignes non-profitables.
Ainsi, les compagnies ferroviaires ont pu ajuster leur niveau de service et leurs tarifs de façon à mieux servir leurs clients et à être plus compétitifs. Voyons voir quelles ont été les conséquences sur l’industrie.
Suite à la dérèglementation, plusieurs fusions et acquisitions ont eu lieu, réduisant ainsi le nombre de concurrents dans l’industrie. Les autorités bureaucratiques étaient inquiètes que cela permette aux transporteurs d’augmenter leurs prix pour profiter de cette baisse du nombre de concurrents. Cette crainte n’était pas fondée puisque la concurrence est devenue très intense. La dérèglementation leur a donné la liberté et les incitatifs à faire ce qui est nécessaire pour réduire les coûts et améliorer la qualité.
Suite au Staggers Act, l’investissement s’est mis à augmenter dans les chemins de fer. Entre 1980 et 2002, ces investissements dans les infrastructures et l’équipement ont totalisé $364 milliards. Les améliorations apportées suite à la dérèglementation incluent :
- une plus grande utilisation du transport intermodal.
- le développement de wagons à deux étages.
- l’implantation de systèmes informatisés pour la gestion des cargaisons.
- le remplacement des systèmes de caméras par des détecteurs électroniques.
- l’amélioration des équipements de chemin de fer et des locomotives (qui étaient en piteux état auparavant).
Une étude a révélé qu’en 2002, les coûts d’opérations avaient diminué de 69% alors que les tarifs moyens avaient diminué de 65%. Les volumes ont augmenté de 43% durant cette période alors que la part de marché du transport ferroviaire a remonté à près de 42%. Le rendement des fonds propres est passé de 3% dans les années 1970s à 10.7% dans les années 1990s. La sécurité a aussi été grandement accrue, le taux d’accident diminuant de 68% en 20 ans.
La dérèglementation a donc fait en sorte que le réseau ferroviaire américain est le plus compétitif au monde, avec les plus bas tarifs par tonne/mille (selon The Economist, basé sur la parité du pouvoir d’achat).
Le résultat de la dérèglementation a beaucoup surpris les bureaucrates autocratiques. Le but initial du Staggers Act était de permettre aux compagnies ferroviaires d’améliorer leur rentabilité et de remettre leur condition financière sur pieds. Les fonctionnaires croyaient que cela allait se faire sur le dos des expéditeurs. Il n’en fut rien puisque la dérèglementation a engendré une situation « gagnant-gagnant », c’est-à-dire que tant les expéditeurs en ont presqu’autant bénéficié que les transporteurs ferroviaires (meilleure qualité de service et plus bas tarifs).
Le processus n’est cependant pas entièrement complété; il y a encore quelques règlementations contraignantes qui nuisent à la compétitivité de l’industrie. Cependant, le Staggers Act fut un pas de géant dans la bonne direction.
Lorsque l’État se retire et laisse le mécanisme de libre-marché fonctionner correctement, il ne peut en résulter que des gains d’efficience et de qualité. La dérèglementation du transport ferroviaire américain devrait selon moi être une source d’inspiration pour beaucoup d’autres domaines. Il n’y a rien à craindre de la dérèglementation lorsque celle-ci est bien effectuée.
D’ailleurs, pourquoi l’industrie était-elle si sévèrement règlementée selon vous? Pour protéger les consommateurs peut-être? Non! Pour protéger les amis du pouvoir au détriment des véritables entrepreneurs. Au début du 19e siècle, un entrepreneur du nom de James J. Hill a construit son propre réseau de chemin de fer, qu’il a financé de sa propre poche, sans subvention gouvernementale ni droit de passage public (expropriation). Le Great Northern était reconnu comme étant le réseau le mieux construit et le plus rentable, comparativement aux chemins de fer subventionnés comme la Union Pacific ou la Central Pacific. Grâce à un lobby efficace, ceux-ci ont obtenu leur revange. En 1887 et 1906, de nouvelles lois vinrent bannir la concurrence par le prix. Cela empêcherait un entrepreneur comme Hill de concurrencer efficacement en faisant baisser les coûts.
Ironiquement, Amtrak n’a pas connu un sort aussi joyeux.
On peut quasiment dire que c’est devenu un service de train touristique ultra-bureaucratisé mis-à-part sur la ligne du nord-est des États-Unis entre Boston et Washington.
Pour faire suer l’Américain moyen contre le gouvernement fédéral, parles-lui de Amtrak.
@matvail2002
Clique sur le lien qui mène à l’article de The Economist. C’est très intéressant au sujet de Amtrak.
1887 tout est dit.
…mais encore?
Sur le fond, l’article est intéressant, mais il faut le contextualiser.
Le sous-entendu de l’article est « regardez comment le libéralisme à l’américaine est plus efficace que l’étatisme à la française ». Mais il faudrait comparer ce qui est comparable avant d’en tirer des conclusions définitives et universelles.
La géographie américaine n’a tout d’abord rien à voir avec le contexte français ou européen. Les infrastructures ferroviaires coûtent bien plus cher ici que là-bas, compte-tenu des densités de populations et des organisations politiques. L’Europe compte par ex pas moins de 4 écartements de voies, des systèmes électriques très différents (6 tensions différentes au total) et une infinité de systèmes nationaux de contrôle et de signalisation. Impossible donc de raisonner sur les mêmes échelles, dans un secteur très capitalistique où le R.O.I. joue un rôle déterminant sur la rentabilité finale.
Il faut ensuite préciser que les groupes privés US se sont bien gardés de reprendre le trafic voyageurs, très déficitaire. Ils ont laissé ça à l’Amtrak, compagnie publique, qui doit donc gérer les branches mortes dont ne veut pas le Privé. Les compagnies européennes (SNCF ou DB par ex) gèrent tout (frêt et passagers) et assument directement ou indirectement une mission de service public (désservir des zones non rentables mais où vivent des citoyens).
Et l’analyse ne serait pas complète sans rappeler la taille des forces en présence : là où la SNCF réalise un CA de moins de 8 mds € dans le Frêt, la seule compagnie rachetée récemment par Warren Buffet pèse 18 mds de USD ! Et elles sont 7 à se répartir le marché US, estimé à 63 mds de USD.
Pour autant, il y a en effet probablement des choses à retirer de cette réalité américaine sur la manière de gérer le frêt de marchandises, mais certainement pas une leçon sur l’efficacité du libéralisme applicable à tous et à tout.
@Jo
Vous dîtes:
Le sous-entendu de l’article est « regardez comment le libéralisme à l’américaine est plus efficace que l’étatisme à la française ».
Rien de plus faux.
» mais certainement pas une leçon sur l’efficacité du libéralisme applicable à tous et à tout. »
Je ne suis pas d’accord. Cet exemple montre que le libéralisme permet d’augmenter le niveau de vie (dans ce cas-ci faire baisser les coûts). La concurrence combinée à la recherche du profit forment l’outil de développement économique le plus efficace qui soit.
C’était ça le but de l’article.