Pour beaucoup de gens, le niveau de vie des classes moyennes et plus pauvres n’a pas beaucoup augmenté depuis plusieurs décennies, alors que seuls les plus riches auraient vu une amélioration substantielle.
Dans le rapport du Budget Office (CBO) de novembre 2018, il est mentionné que les revenus en dollars constants du premier quintile a augmenté de 101% entre 1979 et 2015, tandis que pour le dernier quintile, ils n’ont augmenté que de 32%. Pour le quintile du milieu (le 3e), les revenus ont aussi augmenté de 32%. On pourrait croire que les plus riches obtiennent une part disproportionnée de la croissance économique, comme l’affirme Thomas Piketty et ses acolytes.
Par contre, ces chiffres ignorent l’effet des taxes et impôts, ainsi que les transferts gouvernementaux (sécurité sociale), tout comme ceux de Thomas Piketty. Lorsque le CBO ajuste les chiffres pour ces éléments, l’augmentation des revenus devient 103%, 46% et 79% respectivement pour les quintiles 1, 3 et 5. On constate donc que même aux États-Unis, les plus pauvres se sont enrichis presqu’autant que les plus riches une fois la fiscalité prise en compte.
Mais ce n’est pas tout. L’autre distorsion est que ces chiffres sont calculés en utilisant l’indice des prix à la consommation (IPC) pour ajuster les revenus pour l’inflation. Cependant, le consensus actuel des économistes est que l’IPC surestime l’inflation de 0.8% à 0.9% (selon l’économiste Michael Boskin de l’université Stanford). Si on corrige les données pour cette distorsion, on obtient une croissance des revenus de 168% pour le premier quintile et 136% pour le dernier quintile.
Il y a quand même une inégalité dans la croissance de ces revenus réels entre les mieux nantis et les plus pauvres. Il est par contre évident que le niveau de vie de ces derniers a considérablement augmenté depuis 50 ans, voire même qu’il a plus que doublé pour les plus pauvres.
D’où provient la distorsion de l’IPC? La cause est surtout le changement technologique. Même en excluant les vêtements, environ 44% des ventes en ligne ont impliqué des biens qui n’existaient pas l’année précédente. Donc comment faire pour calculer la variation de prix annuelle? D’autre part, les prix des meubles et de la literie ont chuté de 12% en ligne entre 2014 et 2019, alors qu’ils n’ont chuté que de 2.1% selon l’IPC. La différence est qu’on peut maintenant trouver ces biens facilement en ligne pour moins cher.
D’autre part, plusieurs plateformes comme Netflix et Spotify offrent du contenu illimité qui était jadis vendu à l’unité. Des économistes nommés Byrne & Corrado ont construit un indice de prix ajusté pour la qualité pour les services digitaux. Cet indice qui reflète mieux la réalité montre une baisse de 21% des prix entre 2007 et 2017, alors que l’IPC officiel montre une hausse de 4.5%. Puis, il y a tous ces services qui étaient jadis payants, mais qui sont dorénavant offerts gratuitement. Tous ces changements technologiques font en sorte que l’inflation est surestimée.
Ceci dit, il y a une autre distorsion dans l’IPC: le coût du logement. Le problème est que l’IPC aux États-Unis et au Canada mesure le coût équivalent du loyer (« owner-equivalent rent ») pour ce qui est du coût du logement. Cette mesure implique que les habitants d’une résidence qui en sont propriétaires loue cette résidence à eux-mêmes. Lorsqu’on compare cette mesure aux prix des maisons dans les villes, on constate que l’IPC sous-estime l’inflation d’environ 1% par année. Par contre, cette observation est surtout valable pour les villes, ou les gens ont des revenus supérieurs qui ont plus augmenté que dans les régions rurales, ou les prix des habitations n’ont autant augmenté. Donc, il est peu probable que cette distorsion affecte la dispersion des revenus réels de manière significative.
En Europe, le calcul de l’inflation n’inclue que les loyers pour les appartements locatifs, il n’y a pas de « owner-equivalent rent », chose que Christine Lagarde, qui est dorénavant à la tête de la Banque Centrale Européenne, aimerait changer pour mieux mesurer l’inflation et gérer la politique monétaire. Des études montrent qu’en Europe, ajouter un indice de coût des résidences en plus de mesurer l’inflation des loyers ferait augmenter l’inflation d’environ 0,2% ou 0,3%. Cet effet est nettement insuffisant pour annuler la sous-estimation décrite plus haut.
Article connexe: Les prix des habitations sont gonflés par l’état.
Ainsi, lorsqu’on parle de revenus réels, il faut faire attention à l’indice qu’on utilise pour faire le calcul. Avec tout cela, il est bien difficile de mesurer le véritable pouvoir d’achat et il est bien facile de tomber dans le piège d’affirmer que le niveau de vie n’augmente pas sauf pour les riches…
Ce graphique du CBO montre l’évolution du coefficient de Gini avant l’impact des impôts et transferts (vert) et après (mauve):
Ce graphique montre l’évolution des revenus par quintile avant les impôts (gauche) et après les impôts (droite). L’écart entre les riches et les pauvres est bien moindre après impôts.
Dans ce graphique, on constate qu’aux États-Unis, le système fiscal fédéral est très progressif:
Le premier graphique ci-bas montre l’évolution de l’inflation des coûts du logement (rouge) comparativement à l’indice des prix des habitations (bleu). On constate que l’IPC sous-estime nettement cette composante de l’inflation.
Ce graphique montre ce qu’aurait été l’inflation totale si on remplaçait le « owner rent equivalent » dans l’IPC par l’indice des prix des maisons. La différence moyenne est d’environ 1%. Chose à noter par contre est que l’IPC tient aussi compte des taux d’intérêt hypothécaires, qui ont diminué, ce qui atténue l’inflation.
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