Le PDG de la Banque Nationale du Canada, Louis Vachon, a récemment prononcé une allocution devant le Empire Club du Canada à Toronto, mentionnant que le système bancaire canadien bénéficierait de l’existence d’un plus grand nombre de petite entreprises de services financiers pour comlémenter et/ou concurrencer l’oligopole des grandes banques.*
En fait, les six grandes banques canadiennes manquent cruellement de concurrence; comme nous le verrons plus loin, les rendements de l’industrie sont démesurés et indiquent un manque de concurrence. Mais si les rendements sont si bons, pourquoi n’y a-t-il pas plus de nouveaux entrants sur le marché? Selon M. Vachon, c’est en raison de l’énormité et du coût élevé de la règlementation du système financier canadien, un fardeau insurmontable pour les plus petites entreprises.
L’une des institutions que j’aime bien est Home Capital Group. Cette simili-banque est très petite en comparaison aux six grandes. Son créneau consiste à prêter à des gens qui sont systématiquement rejettés par les mécanismes automatisés d’approbation de crédit des grandes banques. En se donnant la peine de creuser un peu plus, HCG arrive à trouver de bon dossiers. Elle se finance essentiellement par des dépôts à terme, son ratio de réserves est par conséquent très élevé (près de 100%). L’un des avantages indéniables des grandes banques est qu’elles ont un réseau de succursales et de guichets automatiques d’envergure. HCG n’a aucune succursale ni guichet automatique. Elle obtient ses dépôts auprès de grossistes et octroie ses prêts par l’entremise de courtiers hypothécaires.
HCG possède un capital-action de $683 million présentement. Avec un ratio de capital tier 1 cible de 10%, ce capital lui permettrait de supporter des actifs pondérés par le risque de $6.83 milliard**. J’ai donc utilisé les chiffres de HCG pour créer une banque fictive. Dans mon exemple, j’ai supposé un portefeuille de prêts constitué à 70% d’hypothèques (à 5.5% d’intérêt en moyenne), à 20% de prêts personnels (à 8% d’intérêt en moyenne) et à 10% de prêts commerciaux (à 7% d’intérêt en moyenne). J’ai aussi supposé que cette banque garderait $1 milliard en encaisse et obligations gouvernementales comme réserves. Pour financer ce portefeuille, la banque devrait recueillir $26.75 milliard en dépôts à terme (j’ai supposé une maturité moyenne de 3 ans, donc un taux à 2.75%, plus une commission de 0.25% au courtier).
Comme le tableau ci-bas le démontre, en déduisant les autres dépenses de HCG (chiffres de 2010), j’obtient un profit net de $418 million, pour un rendement de l’avoir des actionnaires (ROE) de 61.2%. En guise de comparaison, les entreprises oeuvrant dans une industrie compétitive ont généralement un ROE situé entre 10% et 13%. La Banque Royale du Canada réalise un ROE de 35% sur ses activités bancaires canadiennes. Pour Manuvie, une compagnie d’assurance qui a récemment lancé une programme de services bancaires (Manuvie Un), le ROE de ses activités bancaires est de 26%. L’industrie bancaire est par conséquent peu concurrentielle et se conduit tel un véritable cartel. En fait, pour obtenir un ROE de 11%, HCG pourrait réduire ses taux demandés de 33%. Une hypothèque s’obtiendrait donc à 3.7% plutôt que 5.5% présentement! Le taux d’intérêt moyen, tous prêts confondus, passerait de 5.7% à 3.8%.
Il y a plusieurs bémols à cette histoire. Comme HCG oeuvre dans une niche, soit les prêteurs refusés par les grandes banques, elle n’a pas besoin de faire beaucoup de publicité pour obtenir des clients. Deuxièmement, HCG n’offre pas les services de compte-chèque et de carte de débit. Finalement, les actionnaires de HCG n’ont fourni que $24 million de son capital action, le reste du capital-action provient des profits passés. Avec un capital de seulement $24 million, HCG ne serait pas rentable vu ses infrastructures et coûts fixes actuels.
Ainsi, un nouvel entrant désirant gagner des parts de marché de HCG aurait besoin de $150 million de capital-action pour offrir des taux de 10% inférieurs à ceux de HCG et réaliser un ROE de 13%. Ça vous tente?
Comment démarrer une banque?
C’est le Bureau du Superintendant des Institutions Financières (BSIF, voir ce guide) qui vous octroie une charte bancaire une fois que vous avez rempli toute la paperasse. Il vous faudra être membre de la Société d’assurance-dépôt du Canada ainsi que de l’Association Canadienne des Paiements. Le capital minimum pour démarrer une banque a été réduit de $10 million à $5 million. Les entités contrôlées par des gouvernements étrangers (incluant les fonds souverains) ne peuvent opérer une banque au Canada.
Le processus prendra généralement au moins 6 mois et sera passablement coûteux en frais légaux. Vous devrez entre autres fournir un plan d’affaires détaillé de trois ans incluant une analyse des marchés cibles, des concurrents et une présentation de votre stratégie. Il vous faudra décrire en détails les produits et services que vous offrirez et présenter des états financiers prévisionnels, incluant une analyse de sensibilité à différentes variables. Vous devrez décrire vos politiques de prêts et vos processus de gestion des liquidités et de gestion des risques. Vous devrez présenter un arbre organisationnel, incluant une biographie détaillée de tous les dirigeants ainsi que des membres du conseil d’administration. Vous devrez décrire vos systèmes de contrôle internes et de conformité ainsi que votre plan de continuité des affaires advenant un événement extraordinaire. Vous devrez ensuite annoncer votre candidature dans un journal distribué dans la région de votre siège-social, permettant au public de s’opposer à la création de votre banque. Après tous le processus, le Superintendant vous remettra un ordre vous permettant de lancer votre banque en affaires, mais pour cela il faudra que votre banque fasse son affaire. Si le BSIF n’aime pas un de vos dirigeants, trouve que votre conseil n’a pas assez de membres ou trouve que votre stratégie n’est pas viable, il pourra refuser votre candidature, vous occasionnant des coûts et des délais supplémentaires.
Il est évident qu’au fil de ce processus, les banques actuelles auront eu le temps de s’ajuster et de vous rendre la tâche plus difficile. Celles-ci bénéficient d’une clientèle établie qui ne changera pas facilement de banque, surtout pour une nouvelle entrante. Elles possèdent aussi un réseau de succursales et de guichets automatiques difficile à répliquer sur un grand territoire. Au Canada, il n’y pratiquement pas de nouveaux espaces de qualité disponibles pour le commerce de détail, le taux d’inoccupation étant en-deçà de 5% dans les grands centres urbains, il est donc presque impossible d’ouvrir de nouvelles succursales dans des endroits attrayants pour la clientèle. En raison de ces barrières pratiquement insurmontable, l’oligopole du « Big 6 » est donc pratiquement intouchable, d’autant plus que ces six grandes banques ne peuvent être achetées, ni par leurs concurrentes canadiennes, ni par une banque étrangère. Aucun actionnaire ne peut détenir plus de 10% de ces banques pour prendre le contrôle et forcer les dirigeants à adopter une stratégie plus concurrentielle. Elles peuvent donc s’asseoir sur leurs lauriers et regarder les coffres se remplir.
Le cartel du Big 6:
L’industrie bancaire canadienne manque de concurrence en raison de la lourdeur de la règlementation, c’est indéniable. Ceci étant dit, la présence de six gros concurrents devrait tout de même assurer un niveau suffisamment intense de concurrence. Rien n’empêcherait la Banque TD de diminuer ses taux d’intérêts de 20% pour augmenter ses parts de marché ou encore d’éliminer vos frais bancaires à condition d’avoir une hypothèque et un compte chèque avec elle. Pourquoi ne le fait-elle pas?
Pour moi, il est évident que ces six banques ont conclu une trêve. Elles sont d’accord pour se concurrencer sur le service, les heures d’ouverture, le design des produits et plusieurs autres aspects, mais pas sur les prix! Ce comportement de cartel est typique d’une industrie fortement règlementée et protégée par des mesures anti-concurrence.
Autrement dit, les rendements indécents de l’industrie bancaire canadienne ne résultent pas de l’infâme avarice de vilants capitalistes assoiffés de profits, mais bien d’une lourde règlementation et, sans oublier, des subventions indirectes dont ces banques bénéficient grâce à la Banque du Canada, l’assurance-dépôt, la SCHL et l’habileté des banques à prêter leurs dépôts à vue pour créer de la monnaie ex nihilo. Les ROE de 35% et plus ne seraient pas soutenable sur un véritable libre-marché.
La solution?
Pour contrer ce problème et permettre à la concurrence de briser le cartel, il faudrait dérèglementer l’industrie. Il faudrait permettre à des étrangers de détenir plus de 10% des grandes banques et d’en acquérir. Il faudrait aussi permettre aux banques existantes de s’acquérir entre elles. Finalement, il faudrait réformer le système monétaire tel que souvent énoncé sur ce blogue (en bref éliminer la banque centrale et le système bancaire à réserves fractionnaires).
L’autre alternative réside dans les coopératives de crédit. Elles opèrent avec des ratios de réserves bien en-deçà de 100%, mais au moins les profits de cette arnaque sont redistribués aux clients. Le problème est que leurs employés ont tendance à se syndiquer, ce qui fait augmenter les coûts significativement. D’autre part, leur niveau de service est souvent médiocre et les heures d’ouverture tronquées, ce qui ne convient pas à beaucoup de personnes. Ces institutions sont règlementées au niveau provincial (plutôt que par le BSIF), mais les barrières à l’entrées sont quand même imposantes.
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*Voici la citation exacte de M. Vachon:
« Canada’s banking system would be better served if a greater number of small upstart financial services players were working alongside the major banks, says the head of National Bank of Canada. Louis Vachon, chief executive officer, said the financial services industry needs more up-and-coming companies, from banks and brokers to hedge funds and back office suppliers. « I am strongly convinced that our financial system would be healthier if we had more small and mid-cap financial services players, » Mr. Vachon said during a speech in Toronto the Empire Club of Canada. Part of the problem holding back new financial players is a costly regulatory and compliance system in Canada, he said, which can be onerous for smaller entrepreneurial companies. National Bank and others would benefit by a proliferation of firms, since the bank would gain more clients – but also more growth opportunities, he noted. »
**Notez que HCG maintient présentement un ratio tier 1 de 18%. Elle ne réalise donc pas son plein potentiel de profit. Son ROE a tout de même été de 27.2% en 2010.
Excellent article! J’ai beaucoup aimé la simulation avec HCG.
Je n’ai jamais fait affaire avec ING Direct, mais en regardant leur site, il me semble qu’ils offrent un service de « Checking Account » intéressant même en étant une banque non-physique et il ne semble pas y avoir de frais de transactions démesurés comme dans les « Big 6s ». Bref, leur service semble concurrentiel et je n’ose pas imaginer leur ROI étant donné que leurs frais sont minimums versus les banques physiques.
http://www.ingdirect.ca/en/chequing/index.html
Je me suis même surpris à songer à m’ouvrir un compte. 😛
@Libre-Appreneur
« Je me suis même surpris à songer à m’ouvrir un compte. »
J’en ai un depuis longtemps.
Excellent la nouvelle image dans le haut en passant. Ça rend l’arrivé sur le site plus agréable. 🙂
@Libre-appreneur
L’image aurait toujours dû être là, c’était un « bug » dans WordPress qui l’avait fait disparaître. J’ai récemment fini par trouver comment la remettre en place.
C’est tout à fait ça. La liberté d’ouvrir des succursales stabilise le système monétaire. La raison tient du fait que la confiance dans la monnaie, scripturale disons, décroit avec les distances. Les succursales permettent aux billets d’être plus largement acceptés. Une banque privée de succursale (HCG) ne peut pas renverser un cartel (Big 6).
D’une certaine façon, c’est comme le salaire minimum qui agit tel un coût fixe pour les petites entreprises ne pouvant pas fixer un taux de salaire au niveau de celui des grandes entreprises qui, elles, ont tout intérêt à encourager des hausses de salaire minimum.
Vers le 18-19ème siècle, les banques écossaises avaient plus de succursales que les banques anglaises et leur cher système centralisé. En Angleterre, le nombre des actionnaires (partnerships) était limité à 6; il n’y avait aucune limite en Ecosse. De cette façon, la « responsabilité illimitée » a protégé le système écossais des ‘runs’ et des ‘panics’. La faillite de Ayr Bank (qui représentait 25% de la circulation de bank note si l’on en croit Hugh Rockoff) en 1772 n’a fait aucune victime : les actionnaires ont ‘remboursé’ les épargnants jusqu’aux dernier centime. Si Adam Smith était encore vivant, il vous le confirmera. Il en était actionnaire.
Le système bancaire anglais, privé de succursales et de partnerships, mais aussi et surtout, de la liberté d’émission monétaire (monopolisée par la Bank of England), a été secoué par toute une série de crise.
C’était la même chose pour le « Free Banking Era » de 1837–1862 aux USA : l’absence de succursales, et la contrainte d’acheter des obligations d’Etat pour être autorisé à émettre de la monnaie, toutes ces contraintes ont conduit aux multiples faillites que l’on connaît.
Finalement, si la HCG détient près de 100% de réserves (c’est du moins ce qui semble être mentionné), c’est probablement parce que l’absence de succursale l’a obligé à tenir un ratio plus élevé que ses concurrentes. Je ne vois pas d’autre explication.