On dit souvent que le capitalisme est un système économique qui favorise la cupidité au détriment des humains et de l’environnement. En fait, le capitalisme n’est qu’un outil de coopération économique entre les humains. Le capitalisme n’a pas de valeurs morales qui lui sont propres, il ne fait que refléter les valeurs humaines, et ces valeurs évoluent dans le temps.
On sait aussi que l’humain n’est pas un homo economicus parfaitement rationnel et motivé à 100% par l’argent, surtout à une époque où les pays développés ont atteint un niveau de richesse sans précédent. Or, le capitalisme est un système tout à fait apte à tenir compte d’aspects intangibles et non-monétaires.
En fait, il existe un moyen de faire en sorte d’introduire de nouvelles valeurs plus « progressistes » dans le capitalisme : l’investissement responsable.
L’une des tendances dominantes de l’investissement responsable est l’ESG (investissement soumis à des considérations environnementales, sociales et de gouvernance). Le premier volet, celui de l‘environnement, vise à évaluer les externalités engendrées par les activités de l’entreprise et leur influence sur l’environnement. Le volet social s’attarde aux aspects de diversité, inclusion, droits humains, protection des consommateurs et traitement des animaux. Le volet de gouvernance analyse les procédures de contrôle interne, les relations avec les travailleurs, la qualité et la structure du conseil d’administration et la rémunération des dirigeants.
En 2005, l’ONU a établit l’initiative Principles for Responsible Investment (UNPRI), ayant comme objectif d’encadrer les pratiques reliées à l’investissement ESG. Il y a présentement 1,877 signataires à cette initiatives, donc la plupart sont des gestionnaires de fonds, mais aussi des caisses de retraites et fondations qui sont les propriétaires des actifs.
L’investissement responsable a atteint US$23 billions d’actifs en 2016 et est en croissance fulgurante. Il existe présentement au-delà de 2,000 fonds d’investissement ESG dans le monde. Cette croissance résulte du fait que des fondations et caisses de retraites exigent de plus en plus de leurs gestionnaires de fonds qu’ils investissent en fonction de critères ESG. Il y a aussi bon nombre de riches entrepreneurs qui ont décidé d’investir leur patrimoine de cette manière. Finalement, de nombreux produits d’investissement au détail accessibles à tous incorporent des critères de placement basés sur les considérations ESG.
Ce qui est devenu évident ces dernières années est qu’avec plus de 20% des actifs mondiaux investis de manière à tenir compte des principes d’investissement responsable, les entreprises (et leurs dirigeants) ne peuvent plus se permettre d’ignorer ces considérations dans la manière d’opérer l’entreprise et ne se concentrer que sur le profit uniquement.
Comment performent les investissements ESG?
Plusieurs études démontrent que les placements ESG arrivent à égaler et même excéder les rendements du marché boursier dans son ensemble. En fait, par construction, les entreprises qui ont des scores ESG élevés sont moins risquées et particulièrement moins enclines à faire face à des désastres financiers.

Ce graphique provient d’une étude de MSCI démontrant que des portefeuilles surpondérés en actions ayant un score ESG élevé (ligne bleue) surperforment le marché boursier. La ligne jaune présente une stratégie axée sur les actions d’entreprises dont le score ESG est en augmentation.

Ce graphique provient d’une étude de Bank of America ML et présente la performance de portefeuilles d’actions dont le score ESG est dans le premier tiers, relativement à celles se situant dans le dernier tiers. L’aspect gouvernance (ligne bleue) perforée le mieux, mais les facteurs environnementaux et sociaux contribuent aussi à la surperformance des titres à score ESG élevé.
On peut penser aux problèmes de gouvernance de Volkswagen, aux lacunes de la cybersécurité d’Équifax ou encore aux risques environnementaux prix par BP Plc. En évitant des entreprises dont l’action risque de s’écrouler parce que certains aspects de sa gestion sont insoutenables, on se retrouve à améliorer le rendement global du portefeuille.
D’autre part, il est très intéressant de constater que les entreprises qui ont un score ESG plus élevé ont vu leurs multiples d’évaluation augmenter relativement à leurs pairs. Cela signifie que leur coût du capital diminue et qu’elles peuvent donc occuper une plus grande place dans l’économie au détriment des entreprises moins responsables.
Cela est en partie une prophétie auto-réalisante, puisque plus il y a d’argent investi en fonction de critères ESG, plus les entreprises ayant un score élevé seront évaluées à la hausse (c’est simplement l’offre et la demande affectant le marché boursier). Mais je pense que cela démontre aussi que le marché reconnaît les risques encourrus par certaines entreprises négligentes envers leur empreinte environnementale, leurs relations avec leurs travailleurs ou leurs interactions avec des politiciens potentiellement corrompus dans des pays sous-développés.
Cela incite les dirigeants d’entreprises à entreprendre des initiatives visant à améliorer leur bilan ESG, pour que leur score augmente et que davantage d’investisseurs achètent leurs actions, les poussant à la hausse. Un cercle vertueux démarre alors, déclanchant une course à l’amélioration. Les concurrents doivent suivre la cadence au risque de perdre des parts de marché, souffrant d’un coût du capital plus élevé.
L’industrie de la gestion de patrimoine s’adapte
On constate aussi que certains gestionnaires de fonds vont entâmer un dialogue avec les entreprises qui ont un score moins élevé, de manière à les inciter à améliorer leurs pratiques.
Il y a présentement 4 types de gestionnaires de fonds, qui sont catégorisés en phases :
– Phase 1 : ignore les critères ESG dans son processus de placement.
– Phase 2 : intègre quelques fois l’ESG dans ses analyses de placement, mais de façon informelle.
– Phase 3 : l’ESG fait partie du processus, mais demeure une considération secondaire.
– Phase 4 : l’ESG est partie intégrante du processus et un score élevé est une condition primordiale avant l’investissement.
Les gestionnaires de fonds ont réalisé ces dernières années que leurs chances de gagner de nouveaux mandats institutionnels auprès de caisses de retraite, de fondations et d’agences gouvernementales sont très faibles s’ils n’incorporent pas l’ESG à leur processus d’investissement. Pour eux, la phase 1 n’est plus envisageable et la phase 2 apparaît de plus en plus insuffisante aux yeux des clients potentiels.
Conclusion
Je rappelle souvent aux gens que les profits des entreprises ne bénéficient pas qu’aux riches. Tous les citoyens ont des investissements à la bourse, que ce soit directement dans leurs épargnes personnelles, dans leurs régimes de retraite de l’employeur ou par l’entreprise du gouvernement. Or, il n’y a pas de raison pour que vos avoirs ne soient pas investis selon vos convictions, c’est vous le patron au final!
Si vous souhaitez que votre argent soit investi de manière plus responsable, dans des entreprises qui font des efforts pour réduire leurs externalités environnementales, qui traitent leurs travailleurs humainement et qui ont une gouvernance irréprochable, il y a plusieurs choses que vous pouvez faire :
– Investir vos épargnes personnelles dans des fonds qui incorporent les critères ESG à leur processus d’investissement.
– Vous impliquer au niveau du conseil d’administration de votre régime de retraite collectif, de manière à ce que des placements ESG soient disponibles (cotisations déterminées) ou à ce que le conseil sélectionnent des gestionnaire de phase 3 ou 4 (dans le cas de régimes à prestations déterminées).
De cette manière, le capitalisme se mettra à davantage refléter les valeurs que vous chérissez. Ce système continuera de maximiser la richesse de la société en recherchant le profit le plus élevé possible, mais il le fera avec certaines contraintes au diapason des valeurs de la population.
Ce qui est bien est que ces contraintes n’auront pas été imposées par la force de l’État, mais bien par un consensus libre et privé. L’investissement responsable pourrait donc devenir un mécanisme d’auto-régulation du capitalisme librement consenti…j’aime bien cette idée…
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