Depuis quelques semaines, le journaliste du magazine L’Actualité tient sur son blogue une véritable séance de défoulement relativement aux sables bitumineux Albertains, sur un ton écolo-indépendantiste de gauche.
Dans son premier billet, lequel forme la base de son argumentation, voici ce que dit M. Lisée, soudainement transformé en économiste :
« [le]développement pétrolier canadien: il a détruit, en cinq ans seulement, au Québec, 55 000 emplois manufacturiers (…) jusqu’à 54% des emplois manufacturiers perdus au Canada entre 2002 et 2007 l’ont été à cause du mal hollandais. Entre 2002 et 2007, le Québec a perdu 103 000 de ses 432 000 emplois manufacturiers. En appliquant la règle des auteurs de l’étude, c’est dire que 55,000 emplois ont été perdus à cause de la montée du dollar provoquée par le pétrole. »
À la lecture de l’étude en question, on constate que l’interprétation de M. Lisée est grossièrement erronée.
Premièrement, les chercheurs ne parlent pas des sables bitumineux spécifiquement, ni même du pétrole. Ils parlent des matières premières en général. Le Canada exporte effectivement du pétrole des sables bitumineux, mais aussi du pétrole conventionnel, du gaz naturel, de l’or, du cuivre, du bois, etc. Donc, attribuer les résultats de l’étude au « pétrole sale de l’Alberta » est plutôt malhonnête. L’appréciation du dollar canadien n’est pas attribuable qu’aux sables bitumineux spécifiquement, mais à plusieurs ressources exportées.
Deuxièmement, les chercheurs ont découvert que 54% de la variation du taux de change affectant l’emploi canadien est reliée à l’augmentation des prix des matières premières. Cette conclusion est fort différente de l’interprétation de M. Lisée! Les auteurs de l’étude ne parle pas du pourcentage des emplois manufacturiers canadiens perdus à cause du pétrole (ce que prétend M. Lisée), mais bien du pourcentage de la variation du taux de change affectant les pertes d’emplois reliées à l’augmentations des prix des matières premières. C’est deux mondes! Voici ce que ça donne dans leurs mots :
“ we find in the end that only 54% of the CAD/USD appreciation that affects Canadian employment might be ascribed to the rise in commodity prices.”
Troisièmement, quel a été l’impact réel de l’appréciation du dollar canadien sur l’emploi manufacturier au Québec? Les emplois ont pu être perdus pour toutes sortes de raisons (changements dans l’industrie, apparition de nouveaux compétiteurs, baisse de la demande globale, innovation, etc). À cet égard, je suis entièrement d’accord avec l’explication de David Gagnon de Antagoniste :
« Depuis 2002, on peut effectivement observer un déclin relativement important de l’emploi dans le secteur manufacturier au Québec. Par contre, le niveau de production (mesuré par le PIB) est resté relativement stable. Conclusion: on produit autant qu’en 2002, mais avec moins d’employés, autrement dit, la productivité a augmenté. En 2002, chaque travailleur dans le secteur manufacturier produisait 73 151$ et en 2007 on est passé à 83 294$. »
Ainsi, la hausse du dollar a forcé (voire permis à) certaines industrie à améliorer leur productivité et leur compétitivité plutôt que de se fier sur une devise faible pour masquer leur manque de compétitivité.
Quatrièmement, il ne faut pas oublier l’impact de la hausse du dollar sur notre pouvoir d’achat. Quand chaque dollar en notre possession peut acheter plus de biens, nous sommes automatiquement plus riches. De plus, l’appréciation du dollar canadien a permis aux entreprises canadiennes d’investir en acquérant de la technologie à l’étranger, ce qui explique sûrement la hausse de la productivité observée. D’ailleurs, il n’y a pas que le secteur manufacturier au Québec; certaines industries ont bénéficié d’une appréciation du dollar canadien.
Cinquièmement, M. Lisée oublie de comptabiliser les milliards reçus par le Québec en péréquation ainsi que les emplois créés au Québec par l’exploitation des sables bitumineux. Plusieurs généreux contrats ont été octroyés à des entreprises québécoises, notamment SNC et Genivar.
Dans un autre article, M. Lisée dénonce, avec raison, les subventions fédérales accordées à l’Alberta pour le développement des sables bitumineux, mais il oublie que le fédéral a aussi grandement subventionné le Québec dans d’autres industries.
Dans son article « un Québec vert dans un pays brun », M. Lisée dénonce que si l’Europe adopte des sanctions économiques envers le Canada en raison de son manque d’efforts pour réduire ses GES, cela affectera négativement le Québec, qui n’est pourtant pas responsable de la situation.
Ce qu’il faut réaliser est que ultimement, ceux qui polluent sont les consommateurs de ce pétrole. Les producteurs de pétrole ne font que remplir la demande. Or, le pétrole est déjà lourdement taxé à la pompe.
De plus, les Européens sont bien mal placés pour jouer aux libre-échangistes offensés. D’ailleurs, en imposant des tarifs douaniers sur nos importations, ce sont eux-mêmes qu’ils vont punir, s’obligeant à payer leurs biens plus cher.
Évidemment, il pourrait y avoir un mécanisme qui taxe différemment le pétrole selon son mode de production, mais cela ne regarde que nous les Canadiens. Nous ne devons pas élaborer nos politiques enrivonnementales en fonction de potentiels tarifs douaniers, mais bien en fonction de ce que la population canadienne désire. C’est à nous de déterminer si nous voulons faire partie de la « lutte » aux GES, dans quelle mesure et comment le faire. Lorsque la politique sera en place, l’industrie des sables bitumineux et l’économie canadienne s’adapteront. Ainsi, cet argument ne justifie certainement pas une politique visant à stopper l’exploitation des sables bitumineux.