“Fully Grown”, par Dietrich Vollrath, 2020.
Le taux de croissance du PIB par habitant des États-Unis a été en moyenne de 2.25% par année depuis 1950 jusqu’à 2000, mais de 2000 à 2016, il n’a été que de 1.00%. Cette différence de 125 points implique que le PIB est aujourd’hui 25% en-deçà de ce qu’il aurait été si la croissance n’avait pas ralenti. D’ailleurs, un ralentissement de croissance similaire a été observé dans la plupart des pays développés.
Beaucoup de gens s’inquiètent de cette situation, croyant qu’il s’agit d’un problème sociétal alarmant, et avancent différentes hypothèses quant à la cause de ce ralentissement : commerce avec la Chine, hausse des inégalités, manque d’investissement de la part des entreprises, comportement monopolistique de la part de certaines entreprises, etc.
Avant même de confirmer empiriquement si ces hypothèses sont valides, ces gens mettent diverses solutions à l’agenda politique, qui vont du protectionnisme au démantèlement des grandes entreprises, en passant par des hausses de taxation.
Dans cet excellent ouvrage, l’économiste Dietrich Vollrath de l’Université de Houston jette un regard objectif et empirique sur la question en se basant sur les plus récentes études sur le sujet. Le résultat est un ouvrage aussi limpide que révélateur quant à la vraie nature de ce ralentissement de croissance.
Le capital humain
L’un des phénomènes observés ces 20 dernières années est que le taux de participation de la main d’œuvre a diminué, ce qui a ralenti le taux de croissance du capital humain. Certains attribuent cette baisse comme étant un symptôme persistant de la Grande Récession de 2009. Cependant, les chercheurs Harris Eppsteiner, Jason Furman & Wilson Powell ont calculé qu’environ 80% du déclin du taux de participation de la main d’œuvre aux États-Unis entre 2007 et 2017 découle simplement du vieillissement de la population.
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Le vieillissement de la population est en fait la principale cause du ralentissement. Le principal facteur en jeu à ce niveau est une baisse marquée de la fertilité. Cette diminution résulte de décisions prises par les familles il y a 3 ou 4 décennies et reflète l’amélioration de la qualité de vie ainsi que l’utilisation accrue de la contraception.
L’apparition de certaines technologies (machine à lessive, lave-vaisselle, etc) ont permis de réduire le temps consacré aux tâches ménagères et ainsi permis aux femmes de plus facilement accéder au marché du travail. Cela a augmenté le coût d’opportunité d’avoir des enfants et causé une baisse de la fertilité, en plus d’un meilleur accès aux moyens de contraception.
Depuis 1990, il y a eu une forte augmentation de la proportion de travailleurs âgés de 45 à 65 ans, pour lesquels l’augmentation de productivité pour chaque année supplémentaire d’expérience est très faible comparativement à un travailleur dans la vingtaine. Donc, plus la main d’œuvre vieillit, plus la croissance du capital humain résultant des gains d’expérience diminue.
La scolarité entre aussi en jeu. Entre 1920 et 2010, le travailleur moyen est passé de 7 ans de scolarité à 13 ans, ce qui a résulté en une augmentation de 77% de capital humain par travailleur. Cependant, entre 1998 et 2016, il n’y a pas eu de croissance du stock de capital humain car le nombre d’années de scolarité n’augmente plus aussi vite.
Entre 1960 et 1980, la quantité de travailleurs avec un diplôme universitaire a cru au rythme de 3.77% par année, alors qu’entre 1980 et 2005, l’augmentation a ralenti à 2.0% par an. Cela n’est pas nécessairement un problème car ça reflète simplement que le taux de diplomation est déjà très élevé et il est donc normal qu’il augmente moins vite.
Donc, au total, c’est au moins 0.8% de la baisse de 1.25% du taux de croissance du PIB par habitant qui s’explique par le ralentissement de la croissance du capital humain par habitant. Le tableau ci-bas, tiré du livre, présente l’impact de divers aspects du capital humain sur la croissance pour différentes périodes. On constate que la contribution du capital-humain a été de 0,96% entre 1950-2000 alors que pour la période 2000-2016 elle a été de -0,15%. La contribution de l’éducation a été beaucoup plus faible, alors que la variable « workers », soit le taux de participation de la main d’oeuvre a été de -0,35 comparativement à 0,45. Le nombre d’heures travaillées n’a pas eu d’impact significatif.
Les heures travaillées
L’une des causes potentielles de la baisse de la croissance de la productivité pourrait être une diminution des heures travaillées, car si on travaille de moins en moins d’heures dans une année, on produit forcément moins.
Durant la période 2000-2016, le nombre moyen d’heures travaillées a diminué, mais le rythme de ralentissement n’a pas accéléré par rapport à ce qu’il fut observé durant le 21e siècle. Donc cela n’a pas accentué le ralentissement.
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Une économie de services
L’autre facteur qui entre en ligne de compte est la transition vers une économie de services plutôt que manufacturière. Les services affichent une croissance de la productivité plus faible que le secteur manufacturier.
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Un travailleur manufacturier peut devenir plus productif grâce à l’adoption d’une machine plus performante. Dans les services, cela est plus difficile. Qu’il s’agisse d’un chirurgien ou d’un coiffeur, les deux ne peuvent s’occuper que d’une personne à la fois. Certaines technologies peuvent les aider à être plus efficaces, mais la croissance de leur productivité sur le long terme sera très faible, voire nulle.
Cette transition est en bonne partie causée parce que les Américains dépensent une part grandissante de leurs revenus pour des services relativement à l’achat de biens, ce qui reflète l’enrichissement de la population. Par ailleurs, plus la productivité augmente dans la production de biens, moins ces biens sont dispendieux, ce qui laisse davantage de revenu disponible pour acheter des services.
Les gens ne dépensent pas moins d’argent qu’il y 20 ou 30 ans pour acheter des biens, au contraire ils acquièrent de plus en plus de biens. Ce qu’on observe est qu’une bonne part de l’augmentation du revenu disponible des ménages est dépensée pour obtenir des services qui, dans le passé, aurait possiblement été considérés comme du luxe. Cette transition est donc un signe de succès et résulte de la hausse du niveau de vie.
La transition vers les services explique à elle seule environ 50% de la baisse du taux de croissance de la productivité. Ce facteur explique jusqu’à 0.2% du ralentissement de 1.25% du taux de croissance du PIB par habitant.
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Le capital physique
La croissance du capital physique n’explique pas une part significative du ralentissement de la croissance du PIB par habitant. Les investissements des entreprises ne sont pas en cause. Dans ce tableau qui présente l’attribution de la croissance entre capital physique, capital humain et croissance résiduelle, on constate qu’au 21e siècle, la croissance du capital physique a été de -0,13% comparativement à -0,22% pour la période 1950-2000, donc n’a pas contribué au ralentissement (il s’agit même d’une accélération). Ce sont le capital humain et la croissance résiduelle qui explique le ralentissement.
Les autres causes possibles
La croissance résiduelle capture la croissance qui n’est pas attribuable à l’accumulation de capital physique et humain. On appelle souvent ce facteur comme étant de « l’innovation » au sens large du terme. Le ralentissement de la croissance de l’innovation ne signifie pas que les humains soient moins inventifs ou compétents. Le problème est plutôt que l’innovation est de plus en plus difficile.
Que ce soit en informatique, en agriculture, en pharmaceutique, la quantité d’intrants nécessaire à générer de l’innovation a augmenté significativement. Ceci dit, le taux de croissance de l’innovation a été constant au fil du temps. Même si les efforts et ressources nécessaires à innover ont augmenté, ces investissements ont été fait ce qui a permis de maintenir l’innovation constante. Donc, cet élément ne permet pas d’expliquer le ralentissement de la croissance.
La réallocation
Il existe des preuves empiriques que la majorité de la croissance de la productivité au sein d’une industrie est engendrée par la réallocation des facteurs de production, comme par exemple un travailleur qui change d’emploi, un restaurant qui change de propriétaire ou Best Buy qui achète d’anciennes succursales de Circuit City et les gère plus efficacement. Les données montrent que ces réallocations sont moins importantes depuis 20 ans, ce qu’on appelle une baisse du « dynamisme » de l’économie.
L’une des explications potentielles est que les entreprises aient augmenté leur pouvoir de marché, leur permettant de s’asseoir sur leurs lauriers et d’arrêter d’investir. Des études montrent que les entreprises qui font face à peu de concurrence investissent moins. L’autre preuve potentielle d’une baisse de l’intensité de la concurrence serait une hausse des marges de profit.
Les marges de profits ont effectivement augmenté au cours des dernières décennies, mais cela est surtout dû au fait que les gens dépensent davantage auprès d’entreprises qui ont des marges plus élevées, comme celles évoluant dans les industries des télécommunications, de la technologie de l’information, des soins de santé et de l’éducation (i.e. des services). Les marges au sein de ces industries n’ont pas vraiment augmenté.
Selon les économistes Baqaee et Farhi, la hausse des marges de profits ne reflète pas une situation abusive de la part des entreprises, mais plutôt la production de services à plus haute valeur ajoutée. En fait, il semble que ce phénomène soit fortement lié à la transition vers les services décrite plus haut.
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D’autre part, des chercheurs observent un lien fort entre les marges de profit par industrie et l’utilisation des brevets pour protéger la propriété intellectuelle. Les brevets réduisent l’intensité de la concurrence et permettent d’obtenir des marges de profit supérieures.
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L’un des éléments qui est important pour la croissance de la productivité est la réallocation des ressources entre les « établissements », ce que nous appelons souvent « destruction créatrice ». Ce phénomène se produit lorsqu’une entreprise fait faillite et que ses actifs sont repris par une autre entreprise gérée de manière plus compétente ou mieux organisée ou utilisant des technologies plus avancées.
L’auteur observe que depuis l’an 2000, les taux de création et de destruction d’entreprises ont chuté, ce qui limite les opportunités de réallocation entre établissements et nuit à la croissance de la productivité.
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Le taux de roulement de la main d’œuvre a aussi chuté, ce qui fait en sorte que de moins en moins de travailleurs quittent leur emploi pour accepter un emploi au sein d’une firme plus productive, augmentant du coup leur productivité. Cette baisse de mobilité des travailleurs influence à la baisse la croissance de la productivité.
L’une des causes possibles de cette baisse de mobilité est l’accès à la propriété dans les grandes villes. Les grandes agglomérations urbaines sont des foyers importants d’innovation et de productivité. Ce sont aussi des endroits où les contraintes règlementaires sur la construction résidentielle sont les plus élevées, ce qui réduit l’offre de logement et nuit à la mobilité de la main d’œuvre.
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La diminution des réallocations aurait impacté le taux de croissance de 0.15%, ce qui n’est pas négligeable.
Est-ce la faute de la Chine?
Selon une étude de Autor, Dorn & Hanson, l’emploi manufacturier a chuté de 7.1 millions d’emplois entre 1990 et 2007. Selon leur analyse, le commerce international (surtout avec la Chine) a réduit l’emploi manufacturier aux États-Unis de 1.5 millions d’emplois, donc n’explique que 21% de la baisse.
Sur une période de 17 ans, on peut conclure que l’impact du commerce avec la Chine sur l’emploi manufacturier n’a pas eu d’effet majeur sur la croissance économique américaine, soit moins de 0.1%. Il est faux de prétendre que les importations chinoises ont un effet négatif sur la croissance américaine.
Une solution évidente…
Dans les derniers chapitres du livre, l’auteur explore d’autres hypothèses potentielles, comme la hausse des inégalités de revenus et l’augmentation de la règlementation gouvernementale. Les dernières études sur ces sujets démontrent que ces éléments ne permettent pas d’expliquer une part significative du ralentissement.
Comme les principales explications de la baisse du taux de croissance économique découlent de changements positifs au niveau sociétal, il serait stupide de revenir en arrière et de renverser ces bienfaits, comme par exemple de forcer les femmes à quitter le marché du travail et à ne plus utiliser de moyens contraceptifs.
Tel que brillamment expliqué par Vollrath, le ralentissement est le résultat de succès économiques souhaitables et n’est donc pas un problème majeur. Ceci dit, il y a au moins un changement politique qui permettrait de stopper le déclin de la croissance et même de la réaccélérer.
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L’un des moyens de stopper le ralentissement de la croissance pour les États-Unis et la plupart des pays développés serait d’accueillir davantage d’immigrants pour rétablir le taux de participation de la main d’œuvre. L’auteur calcule pour les États-Unis qu’il faudrait 255,000 immigrants en âge de travailler de plus par année. Cela peut paraître beaucoup, mais en proportion de la population, cela représente beaucoup moins que le taux d’immigration observé aux États-Unis au début du 20e siècle.
En passant, la plupart des graphiques contenus dans le livres sont disponibles ici.
Bonjour,
Très heureux de voir que vous recommencez à écrire sur votre site web. Vos propos sont toujours pertinents et clairs pour des non-experts en économie. Quelle formation académique avez-vous eue et quel profession exercez vous pour cumuler autant de connaissances?
Merci et bonne fin de journée.
Dominique Desmet.
Merci! J’ai une Msc en finance, laquelle inclut une formation assez étendue en économie. Je travaille dans l’industrie de la finance. Ceci dit, mes connaissances proviennent beaucoup de mes nombreuses lectures, dont certaines sont présentées sur ce blogue.
Les auteurs auxquels vous référez vous sont redevables, c’est le moins que l’on puisse dire.
J’ai acheté au moins une dizaine de leurs livres à partir de l’information que vous transmettez dans vos chroniques, et je dois dire que je n’ai jamais été déçu.
Mon coup de coeur à ce jour: Thomas Sowell et son excellent «Economic Facts and Fallacies».