Lors de l’élection fédérale canadienne de l’automne dernier, le premier ministre Justin Trudeau a promis de mettre le Canada sur une trajectoire qui permettrait d’atteindre la carbo-neutralité d’ici 2050. Mais est-ce que cela sera possible?
Quelques compagnies pétrolières Canadiennes ont fait des engagements qui peuvent sembler prometteurs en ce qui concerne leurs propres émissions générées par leurs opérations, sans toutefois s’attaquer aux émissions générées par la consommation du pétrole (qui représentent environ 80% des émissions liées au pétrole).
Suncor, la plus grande pétrolière Canadienne, vise une diminution de 30% de l’intensité de ses émissions de GES d’ici 2030 par rapport au niveau de 2014. L’intensité est calculée en divisant les GES émis par la quantité de barils-équivalents produits durant la période. En 2014, l’entreprise a émis 20.5 millions de tonnes de CO2 pour une production de 535 milles barils équivalent par jour (BOE). En 2018, les GES avaient augmenté à 22.1 millions pour une production de 732 milles BOE.
Si Suncor augmente sa production de 3% par année, elle atteindra 1 million de barils en 2030. Si elle réduit son intensité GES de 30% par rapport à 2014, elle émettra 26.8 millions de tonnes de GES, une augmentation de 31% par rapport à 2014. On voit donc que cet engagement de Suncor n’aidera pas du tout le Canada à atteindre la carbo-neutralité même s’il est atteint…et Suncor mentionne que son atteinte sera ardue et incertaine!
En janvier 2020, la minière canadienne Teck Resources a annoncé son intention de réduire à zéro ses émissions nettes de GES d’ici 2050. La compagnie a remplacé une centrale électrique au Chili par de l’électricité renouvelable. Elle a aussi remplacé des autobus au diesel par des électriques. L’entreprise songe aussi à remplacer d’immenses camions diesels par des convoyeurs électriques. En 2018, Teck a émis 2.9 millions de tonnes de GES.
En février, Teck annonçait l’annulation de son projet de sables bitumineux Frontière, qui était en attente d’approbation, citant des pressions environnementales, notamment de la part des premières nations. En fait, Teck aurait besoin d’un partenaire financier, d’un prix de pétrole plus élevé et de davantage de capacité d’exportation par oléoduc, trois choses qui ne sont pas à sa disposition en ce moment. Néanmoins, cet abandon favorisera l’atteinte de ses objectifs de GES, puisque le projet aurait engendré 4 millions de tonnes de CO2 par an.
Même son de cloche du côté de Cenovus (qui a émis 8.8 millions de GES en 2018) et de Meg Energy. Cenovus veut, tout comme Suncor, réduire l’intensité de ses émissions de 30% d’ici 2030, mais en n’augmentant pas ses émissions totales, ce qui signifie que la diminution de l’intensité annulera l’effet de la croissance de production, sans toutefois réduire les émissions totales. Cenovus a déjà accompli une réduction de 27% de l’intensité de ses émissions au cours des 15 dernières années. Cependant, pour ce qui est de la période 2030-50 durant laquelle Cenovus devra éliminer 8.8 millions de tonnes de GES pour devenir carbo-neutre, l’entreprise mise sur la capture du carbone, qui consiste à injecter le CO2 émis dans les puits de pétrole pour qu’il reste sous terre. L’entreprise est consciente que cette pratique n’est actuellement pas rentable et comporte de nombreux défis technologiques, ce qui s’explique par la très faible taxe carbone qui prévaut au Canada.
Pour ce qui est de Canadian Natural Resources Ltd (CNRL), qui a émis 25 millions de tonnes de GES en 2018, l’entreprise a aussi annoncé une cible de « net zero » sans mentionner de date, encore une fois en utilisant des technologies de capture du carbone, l’utilisation d’électricité renouvelable et en réduisant les fuites de méthane.
Les cibles des compagnies européennes sont plus ambitieuses, mais irréalistes.
Les grandes pétrolières Européennes ont adopté des cibles beaucoup ambitieuses que les Canadiennes, mais sont-elles vraiment atteignables? L’entreprise espagnole Repsol, qui produit de l’énergie notamment au Canada, a annoncé en décembre dernier une cible d’éliminer ses émissions globales nettes de GES (22.3 millions de tonnes en 2018) d’ici 2050 en utilisant des technologies, la production de biocarburants et l’utilisation d’électricité plus propre dans ses opérations. Elle souhaite aussi éliminer les GES des produits qu’elle vend (émissions de type 3), ce qui laisse plutôt perplexe quant à sa faisabilité.
Puis c’est British Petroleum qui s’est jointe à la parade le 12 février dernier, avec une cible nette de zéro d’ici 2050 comparativement à des émissions de 52.2 millions de tonnes en 2018. Cependant, tout comme Repsol, elle veut aussi s’attaquer aux émissions générées par les consommateurs de l’énergie qu’elle produit (type 3), lesquelles totalisent 415 millions de tonnes! Cette cible semble complètement loufoque et d’ailleurs, l’entreprise n’a donné aucune indication quant à la manière de l’atteindre.
De son côté, Shell avait déjà annoncé en 2018 vouloir réduire l’empreinte de GES des produits qu’elle vend de 50% d’ici 2050, c’est-à-dire l’intensité mesurée en CO2 par joule d’énergie, en vertu de son « Sky Scenario ». En 2018, les produits vendus par Shell ont généré 1.7 milliards de tonnes de CO2. Pour y arriver, elle entend réduire ses ventes de pétrole et se repositionner vers le gaz naturel, les biocarburants, l’hydrogène et l’électricité renouvelable. Encore une fois, si la croissance de la consommation d’énergie excède 50% d’ici 2050, les émissions totales provenant des produits de Shell augmenteront! Shell estime qu’en 2070, le monde va utiliser 50% plus d’énergie qu’en 2020! D’ici 2050, cette augmentation sera d’environ 30%. Les cibles de Shell impliquent donc une faible réduction des GES générés par la consommation de ses produits. Shell souhaite tout de même être carbo-neutre en 2070, incluant les émissions de type 3 (i.e. à la consommation).
Statoil, qui se nomme maintenant Equinor, a aussi adopté une cible de réduction de l’intensité des émissions de GES des énergies qu’elle vend de 50% d’ici 2050. Ses opérations deviendront carbo-neutre d’ici 2030, une réduction de 14.4 millions de tonnes de CO2 par an (2018).
La capture du carbone : une technologie incertaine.
Le scénario Sky de Shell implique qu’à partir de 2070, le monde va séquestrer 11 milliards de tonnes de CO2 par année, soit 1.7x les émissions totales des États-Unis à présent et le tiers des émissions mondiales actuelles (ici). Est-ce réaliste?
Au Canada, le projet Quest complété en 2015 séquestre 1 million de tonne de CO2 par année. Le Alberta Carbon Trunk Line est aussi en cours de construction au coût de $900 millions et permettra de séquestrer jusqu’à 14.6 millions de tonnes de CO2 par année à partir de sa mise en service en 2020, il s’agit du plus gros projet de CCS au monde. On constate donc qu’il faudra des investissements massifs pour atteindre l’objectif de 11 milliards de tonnes du Sky Scenario de Shell, qui implique la construction de 753 projets comme le ACTL au coût total de $678 billions!
Shell, Statoil et Total ont formé un partenariat en Norvège concernant un projet de CCS dont la première phase permettra d’entreposer 1.5 millions de tonnes de CO2 par année, qui proviendra de sources industrielles, dont surtout des cimenteries. Selon les responsables de Statoil, il serait impossible d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sans la capture et l’entreposage du carbone. Ce projet est financé par une entité gouvernementale.
Pour améliorer son bilan carbone, la gigantesque pétrolière américaine Exxon compte aussi investir dans le CCS et dans les bio-carburants à base d’algues. Selon un gestionnaire de l’entreprise (ici), pour que le CCS soit rentable, il faut une taxe carbone de $100. Pour le carburant d’algues, il faut beaucoup plus. L’entreprise a écrit une lettre à la Maison Blanche en faveur d’une taxe carbone, mais n’a fait aucun lobbying en ce sens, sachant bien que le Congrès Républicain ne fera rien en ce sens. Exxon pense que les émissions de CO2 vont plafonner en 2035 à un niveau qui sera de 5% supérieur à celui de 2017, mais l’entreprise n’a émis aucune cible de réduction de ses GES, ni de ceux émis à la combustion de ses produits.
Conclusion
Les compagnies pétrolières de par le monde ont émis des cibles de réduction des GES qui ne leur causeront pas trop de torts d’ici 2030 et leur permettront d’épuiser les gisements déjà en opération sans avoir à les radier. Par contre, plusieurs d’entre elles ont aussi émis des cibles pour la période 2030-2050 qui sont complètement irréalistes et vide de sens puisque les technologies qui permettront de les atteindre n’existent pas. Ces cibles sont évidemment alignées avec l’Accord de Paris, laissant croire que l’industrie supporte ces engagements.
Ces cibles ne sont que du marketing visant à apaiser l’opinion populaire et à donner aux politiciens la couverture nécessaire à maintenir un agenda de « business as usual » en ce qui concerne les changements climatiques. Cependant, plusieurs de ces entreprises militent ouvertement pour une augmentation des taxes carbones, qui leur permettront de rentabiliser leur transition, et qui feront beaucoup augmenter les coûts de l’énergie pour les consommateurs.
Au final, ces grandes pétrolières utiliseront leur expertise en matière de gestion de projet à grande échelle et en gestion d’opérations pour développer les infrastructures nécessaires à la production d’énergies plus propres. Pour y arriver, elles ont besoin de pouvoir continuer à exploiter les gisements actuels de façon rentable pour préserver leur capital, mais à plus long terme, elles auront besoin que les gouvernements adoptent des lois contraignantes, incluant des taxes carbones beaucoup plus élevées.
Alors qu’elles devraient s’opposer à toute mesure visant à combattre les changements climatiques, les pétrolières semblent avoir compris que leur survie à long terme implique qu’elles doivent se placer au centre de la « solution », ce qui leur permettra d’influencer l’agenda politique à leur avantage.
« qui sont complètement irréalistes et vide de sens puisque les technologies qui permettront de les atteindre n’existent pas » Bah c’est d’ailleurs le même problème de la neutralité carbone promis par les Etats européens.
C’est complètement irréaliste. Pire des pays comme la France ou la Belgique réduisent le nucléaire (la Belgique va sortir du nucléaire en construisant à la place des centrales à gaz). Or le nucléaire est une énergie propre.
Investir dans les énergies renouvelables pour un pays comme la France n’a aucun sens vu que son énergie est déjà décarbonné grâce au nucléaire.
Au final la transition énergétique est basé sur des mesures marketing très coûteuses tout en étant peu efficaces.
En plus, les objectifs sont irréalistes car basé sur des technologies n’existant pas.
C’est la même chose concernant les normes environnementales de l’Union européenne pour les voitures. Ils obligent les constructeurs automobiles à dans un avenir respecter des normes totalement irréalistes au regard de la technologie actuelle (et celle que l’on peut espérer dans un futur).
Les énergies renouvelables intermittentes n’ont du sens que si l’on sait stocker efficacement l’énergie; Ce que l’on sait pas faire. Et que l’on n’est pas prêt de savoir faire sauf s’il y a une innovation de rupture qui est créé (chose très improbable).
Alors c’est bien de vouloir lutter contre le réchauffement climatique, encore faut il le faire de manière réaliste. Parce qu’à l’heure actuelle, soit on agit de manière idéologue (écolos) soit de manière marketing (grandes entreprises, politiciens qui suivent les délires des écolos car c’est populaire auprès du grand public)
Le magma terrestre est des millions de fois plus émetteur de gaz que les pauvres 7 milliards d’humains et plus qu’autant d’animaux qui respirent. Or, TOUS les gaz se recyclent (depuis toujours sans quoi il n’y aurait de vivants sur Terre).
Les ‘GES’ et autres C0² sont et ont toujours été inoffensifs. Ce n’est qu’un lobbying lancé pour appauvrir ceux qui osent respirer ou boire de l’eau inépuisable !