Depuis 1950, le prix réel (ajusté pour l’inflation) d’une automobile a chuté d’environ 50%, celui des vêtements de 75% et celui des électro-ménagers de 90%. Par contre, les prix réels des services tels que l’éducation et les soins de santé ont été multipliés par 5 depuis 1950! Comment cela est-il possible?
Eric Helland et Alex Tabarrok ont récemment publié une étude tentant de répondre à cette question. Selon eux, la réponse est un phénomène appelé « effet Baumol », nommé après l’économiste William Baumol.
Les auteurs pensent qu’une faible portion de l’augmentation découle de l’amélioration de la qualité, d’une règlementation accrue et d’une hausse des dépenses administratives. La majorité de l’augmentation des coûts de ces services provient en fait de l’augmentation des salaires des professeurs et des médecins.
Normalement, le salaire d’un travailleur devrait être corrélé à sa productivité et sa valeur ajoutée. Pourtant, ces travailleurs ne sont pas tellement plus productifs qu’ils ne l’étaient en 1950. Les enseignants ont encore des classes d’une trentaine d’élève au secondaire et un peu plus à l’université, alors que les médecins ne font pas quatre ou cinq chirurgies en même temps.
Par contre, la productivité des autres industries, et particulièrement celle du secteur manufacturier, a fortement augmenté, ce qui justifie des salaires plus élevés dans ces industries. Ainsi, comme les salaires sont plus élevés dans le secteur manufacturier, davantage de travailleurs étudient le génie ou encore la gestion des opérations, plutôt que la médecine ou l’enseignement. La rareté des travailleurs dans ces domaines cause donc une hausse de leurs salaires, qui n’est pas soutenue par une hausse de productivité.
Bien d’autres emplois entrent dans cette catégorie ou les travailleurs obtiennent des hausses de salaires sans gains de productivité grâce à l’amélioration de la productivité dans d’autres domaines, comme par exemple, les mécaniciens et les coiffeurs.
Les sénateurs Chris Cristie (Rép.) et Elizabeth Warren (Dém.) blâment tous deux la hausse des frais de scolarité universitaires sur des dépenses superflues en installationns telles que des murs d’escalade et des piscines (ce que les auteurs surnomment la théorie du « bloat »). Pourtant, la hausse des coûts des universités a été similaire à celle des coûts de scolarité du K-12, ou il n’y a pas eu de dépenses accrues en installations.
Malgré la hausse des frais de scolarité, de plus en plus de gens s’y inscrivent, anticipant avec raison que cela améliorera leurs perspectives salariales futures. Donc, en somme, le système livre la marchandise pour ce qui est de fournir un retour sur investissement car l’économie américaine offre des opportunités d’emplois productifs pour les diplômés, une autre manière de dire que ce qui permet aux enseignants de bénéficier de hausse salariales année après année est que la productivité du reste de l’économie augmente.
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Du côté des soins de santé, les gens observent souvent la hausse des coûts per capita. Cependant, il faut savoir que les dépenses en soins de santé augmentent en fonction du PIB et que les États-Unis ont un PIB per capita plus élevé que bien des pays. Helland & Tabarrok soulignent qu’aux États-Unis, les dépenses en soins de santé per capita ont augmenté en ligne avec le PIB per capita, et non plus rapidement. Par ailleurs, l’espérance de vie a augmenté significativement sur cette période, en partie grâce aux innovations dans le domaine (i.e. une forme de hausse de qualité).
Ainsi, même si le fardeau administratif, le gaspillage, l’assurance responsabilité et la fraude ont augmenté dans le système de santé, il n’en demeure pas moins que la principale explication de la hausse des dépenses est l’augmentation du PIB par habitant, et donc de la productivité de l’économie.
Les médecins Américains ont de meilleurs salaires que les médecins des autres pays car il y a davantage de richesse aux États-Unis pour payer ces soins et que d’autres industrie à haute productivité concurencent entre elles pour ce type de travailleur. Notez par ailleurs que les salaires des vétérinaires ont aussi augmenté en ligne avec ceux des médecins, ce qui n’a rien à avoir avec Medicare évidemment.
L’effet Baumol est en fait une illusion causée par l’utilisation de la monnaie comme moyen d’échange. À plus long terme, les auteurs expliquent que pour déterminer si un bien est devenu plus ou moins abordable, il faut exprimer son prix en fonction d’autres biens (i.e. son prix relatif). Le coût de l’éducation a augmenté en dollars, mais a-t-il tant augmenté en automobiles? Non!
Si je dépense moins d’argent pour acheter une automobile, j’aurai davantage d’argent à dépenser en éducation et il est fort probable que j’en désirerai davantage. C’est pourquoi il y a davantage de professeurs et de médecins aujourd’hui comparativement à 1950 (i.e. davantage de demande) et il a fallu de meilleurs salaires pour attirer cette main d’oeuvre.
Les emplois pour lesquels l’effet Baumol est le plus fort sont les services qui ne peuvent pas être substitués par une machine, par exemple un masso-thérapeute peut difficilement être remplacé par une chaise à massage. Par contre, un musicien « live » peut être remplacé par un enregistrement, une téléphoniste peut être remplacée par un répondeur automatisé, et un emballeur peut être remplacé par un robot.
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Par contre, à un certain point (que nous avons probablement atteint), l’enseignement universitaire sera remplacé par des cours en ligne moins dispendieux, ce qui constituerait un bond de productivité significatif pour ce secteur. En médecine, l’utilisation de robots en chirurgie et de diagnostics réalisés par des systèmes d’intelligence artificielle viendront quelque peu réduire le nombre de médecins nécessaires et améliorer la productivité de cette profession.
Comme la hausse des coûts de certains services est causée par une hausse de la productivité du reste de l’économie, il faut réaliser que ces hausses de coûts ne sont en fait pas une si mauvaise chose, voire qu’elles sont le reflet d’un phénomène très positif (i.e. la hausse de la productivité).
L’autre conclusion intéressante des auteurs est que plus la population s’enrichit, plus elle dépensera une grande part de ses revenus en services ou la productivité n’augmente pas (masso-thérapie, spectacles de musique « live », etc), ce qui résultera en une stagnation des mesures aggrégées de productivité. Autrement dit, si un ralentissement des gains de productivité résulte d’un tel phénomène, cela n’est pas une mauvaise chose, simplement le reflet d’une société plus riche.
Dans ce système, les perdants sont les travailleurs qui ne bénéficient pas de l’effet Baumol, donc qui n’oeuvrent pas dans un secteur ou la productivité s’améliore et qui peuvent être remplacés facilement par des machines et dont le travail ne nécessite pas de compétence particulière.
J’ai trouvé cette étude fort intéressante et en recommande la lecture.
Cliquer pour accéder à helland-tabarrok_why-are-the-prices-so-damn-high_v1.pdf
Attendons de voir un chirurgien pratiquer 8 opérations en même temps par surveillance des robots sous sa responsabilité (probabilité à 20/25 ans, c’est demain) Quant aux enseignants les 128 élèves chez eux suivront le prof et si ils posent des questions elles seront payantes..
J’avais justement lu un article sur le sujet qui expliquait de manière convaincante la raison pour laquelle les dépenses de santés aux USA sont si élevés par rapport aux autres pays développés. Simplement car les USA sont plus riches que les autres pays développés.
Les dépenses de santé élevées aux États-Unis s’expliquent assez bien par son niveau de vie matériel élevé
https://randomcriticalanalysis.com/2016/09/25/high-us-health-care-spending-is-quite-well-explained-by-its-high-material-standard-of-living/
Perso, je rajouterais un autre facteur (mais qui est marginale): le mode de vie des américains. Celui ci est vraiment mauvais (malbouffe, peu d’activité physique,…) cela favorise les maladies. Qui dit plus de maladies dit plus de dépenses de soins de santé.
(Je ne sais pas à quel point ce facteur joue mais je pense que même si c’est loin d’être la raison principale cela a quand même une influence)
Par contre, la différence d’espérance de vie entre les USA et les autres pays développés, le mode de vie est très pertinent.
L’obésité, les drogues, les voitures et la violence expliquent essentiellement toute la différence d’espérance de vie entre les États-Unis et les autres pays riches. Les dépenses de santé ne sont pas pertinentes.
https://randomcriticalanalysis.com/2019/11/07/a-tale-of-two-covariates-why-owid-and-company-are-wrong-about-us-healthcare/
Aux USA, une partie des démocrates veulent une annulation des dettes étudiantes. Une telle annulation complète distribuerait 192 milliards de dollars aux 20% des plus riches et seulement 29 milliards de dollars aux 20% les plus pauvres. https://bfi.uchicago.edu/working-paper/2020-169/
En réalité, cette politique profiterait très clairement aux plus riches.
Un très bon thread sur cet article: https://web.archive.org/web/20201201014921/https://threadreaderapp.com/thread/1333429322900713472.html