« Temp: How American Work, American Business, and the American Dream Became Temporary », par Louis Hyman.
Dans ce livre, Louis Hyman, un historien de l’Université Cornell, relate l’histoire détaillée (et longue) du management américain, lequel a résulté, depuis les années 1950s, à une utilisation fortement accrue du travail temporaire. Selon l’auteur, environ le tiers des emplois sont temporaires aux États-Unis.
Au début, les travailleuses temporaires de Manpower et Kelly Girl étaient surtout des femmes au foyer qui voulaient passer le temps et avoir un petit revenu supplémentaire pour se payer du luxe. Graduellement, l’industrie a pris de l’expansion pour include toutes sortes de travailleurs, dont plusieurs comptent sur ce revenu pour vivre. Certains doivent combiner 2 ou 3 emplois temporaires pour joindre les deux bouts.
Du côté des cols blancs, c’est la firme de consultants McKinsey qui laissé sa marque sur l’organisation du travail. Les consultants qui y travaillent sont eux-mêmes des employés temporaires, dont la plupart ne reste que 2 ou 3 ans au sein de la firme. Ce qui est ironique, est que, dans leur mandat de conseiller les entreprises au niveau de leur structure de gestion, les consultants en viennent inévitablement à leur suggérer d’utiliser davantage de travailleurs temporaires et de sous-traiter, contribuant ainsi à répandre la précarité qui les affecte eux-mêmes. Plusieurs firmes de consultation ont copié ce modèle.
Les travailleurs temporaires ont changé les termes de ce qu’est un emploi aux États-Unis. Évidemment, ces travailleurs se plaignent rarement de leurs salaires et conditions, puisqu’ils sont interchangeables. Ils n’ont que très peu d’avantages sociaux. Ils ne se syndiquent pas. Ils sont souvent payés moins cher que les permanents, mais pas toujours car certains sont plus productifs que leurs homologues permanents et la flexibilité qu’ils procurent à l’employeur a une valeur non-négligeable.
La sous-traitance
Durant les années d’après-guerre, la nouvelle tendance de la sous-traitance commença à s’installer. Pourquoi embaucher des travailleurs permanent pour faire l’inventaire 3 jours par trimestre quand on peut utiliser des travailleurs de Manpower sur demande. Pourquoi embaucher un concierge à temps plein permanent, avec tous les coûts que cela implique, quand on peut embaucher un temporaire dont on peut se débarrasser facilement au besoin.
Cette nouvelle vision de la firme implique que tout ce qui n’est pas central aux opérations principales de la firme peut et doit être sous-traité, de manière à avoir un maximum de flexibilité et d’efficience.
Avec la sous-traitance est aussi apparu le mode de production « juste-à-temps ». Plutôt que produire de façon régulière et d’utiliser un inventaire pour absorber les variations de demande, on ne fournit que très peu de visibilité aux fournisseurs concernant les commandes à venir, ce qui les oblige à eux-mêmes avoir un modèle d’affaire flexible et donc à utiliser des travailleurs temporaires.
Les nouvelles firmes de technologie, telles qu’Apple, utilisaient très peu de robots à l’époque et étaient bien moins automatisées que les manufacturiers automobiles par exemple. Ces firmes dépendaient d’une main d’oeuvre à faible coût pour l’assemblage de leurs produits et utilisaient les immigrants illégaux à profusion, sur une base temporaire évidemment. Les autorités de l’immigration étaient au courant de la situation, mais n’osaient pas intervenir au risque d’engendrer une sévère récession.
Dans les années 1980s, l’émergence du secteur de l’informatique a favorisé l’utilisation de ce que l’on appelle des employés « permatemps », c’est-à-dire des employés considérés comme temporaires, pour qu’ils coûtent moins cher en salaires et avantages sociaux et puissent être facilement renvoyés, mais qui travaillent pour la même entreprise pour plusieurs années.
En 1996, un recours collectif contre Microsoft a forcé l’entreprise à reconnaître ses employés « permatemps » comme étant des employés à part entière (Microsoft v. Vizcaino). La Cour a établi que Microsoft devait fournir des avantages sociaux à ses employés temporaires utilisés de façon quasi-permanente et leur payer le temps supplémentaire. Par la suite, la croissance du travail temporaire a relenti durant les années 1990s et s’est stabilisée.
L’autre étape franchie au cours de la dernière décennie fut celle de l’économie de partage ou « gig economy », dans laquelle le niveau de précarité atteint son paroxysme. Dans ce mode d’organisation du travail, les employés sont considérés comme des entrepreneurs indépendants et l’entreprise qui les emploie (comme Uber par exemple) considère qu’elle ne fait que fournir une plateforme logicielle, et qu’elle n’est pas leur employeur.
Ces entreprises se sont répandues telles une traînée de poudre, ayant un avantage de coût sur leurs concurrents conventionnels, échappant à la règlementation et ne fournissant aucun avantage social. Cependant, les politiciens ont mis des bâtons dans les roues de ces entreprises, ce qui fait en sorte que nous n’assisterons probablement pas une « ubérisation » massive de l’économie.
Il faut par contre ajouter que les entreprises comme Uber constituent une manière d’abaisser la règlementation excessive qui permet à certaines industries d’engranger des revenus excessifs.
Article connexe: Ma perspective sur Uber.
Conclusion
Au final, ce livre décrit une forme de nivèlement par le bas (« race to the bottom »), alors que le marché du travail est devenu de plus en plus précaire. Les entreprises sont allées dans cette direction de manière à réduire les coûts et offrir des biens de moins en moins chers aux consommateurs.
Le consommateur est le grand gagnant, mais est-ce que cette tendance est allée trop loin? N’aurait-on pas pu atteindre un équilibre plus sain entre faibles coûts pour les consommateurs et qualité de vie des travailleurs?
Ceci dit, si une loi était adoptée pour limiter l’utilisation des travailleurs temporaires aux États-Unis, il y a fort à parier que ces emplois seraient rapidement délocalisés dans les pays émergents, et la situation de ces travailleurs en serait empirée. C’est peut-être pour cela que, pour satisfaire son électorat, l’administration de Donald Trump tente à la fois de limiter l’immigration illégale et de renforcer les mesures protectionnistes.
L’auteur ne propose pas de solution miracle à cette problématique autre que de potentiellement désarrimer les avantages sociaux de l’emploi. Autrement dit, les travailleurs, qu’ils soient permanents ou temporaires, achèteraient eux-mêmes leurs avantages sociaux sur le marché plutôt que d’être dans un régime collectif fourni par l’employeur. En échange, les travailleurs permanents bénéficieraient d’une rémunération en argent comptant plus élevée pour compenser, ce qui influencerait à la hausse la rémunération des travailleurs temporaires.
Avec cet arrangement, les temporaires pourraient changer fréquemment d’employeur sans que cela n’influence leurs avantage sociaux. Je serais en faveur d’un tel changement, mais cela ne changerait pas le fait que ces gens vivent une insécurité d’emploi qui nuit à leur qualité de vie.
Intéressant mais néanmoins je trouve que l’auteur de ce livre est trop négatif vis à vis du travail temporaire. En effet, il semble présupposer que la flexibilité est juste fait au profit des employeurs et que cela nuit aux travailleurs.
Or, la réalité actuelle, c’est que bon nombre de travailleurs veulent la flexibilité. Je connais personnellement plusieurs personnes qui ont fait le choix d’être indépendants (même si ils travaillent pour une seule boîte pendant une assez longue période, ils veulent pas le statut de salarié, ils préfèrent garder leur indépendance).
On voit bien le désir de flexibilité chez les jeunes qui sont de moins en moins fidèles à un employeur. Ils changent souvent de boulots. C’est d’ailleurs un réel problème dans certaines boîtes qui forment des jeunes qui se cassent ensuite.
Bien entendu, le désir de flexibilité n’est pas présent chez tous les jeunes ou chez tous les travailleurs. Il est évident que certains travailleurs ont un statut flexible imposés (ils ne l’ont pas choisis et ils préféreraient sans doute un statut d’employé).
Je pense qu’il ne faut ni avoir une idée angélique du travail temporaire ni diaboliser le travail temporaire. Or, pour moi, le travail temporaire est clairement diabolisé dans cet article. La réalité est bien moins négatif car la flexibilisation ne va pas toujours à l’encontre des aspirations des travailleurs. Le fait d’avoir une flexibilité dans les horaires, le fait d’avoir une liberté plus grande qu’un salarié,…sont des avantages non négligeables.
Prenons le cas d’Uber: un tas de chauffeurs sont très contents de ce boulot. Parce que cela leur permet de travailler quand ils veulent. Le boulot pour Uber peut être un job d’appoint. Ou cela permet à des gens qui n’auraient pas eu de travail de pouvoir travailler.
(Oui car une entreprise est en général regardant sur qui elle engage. Cela dépend bien sûr des circonstances (pénuries, si c’est facile de licencier ou non). Néanmoins, il est clair qu’une entreprise engagera plus facilement des travailleurs temporaires que des salariés: ce qui permet de donner un boulot à des gens qui n’auraient pas eu d’emplois s’ils avaient dû passer par le recrutement pour être salarié).
La flexibilisation est inhérente au monde actuel: on vit dans un monde où les choses changent de plus en plus vite, il faut que les entreprises s’adaptent aux changements. Or, le travail temporaire est une des manières de permettre aux entreprises de s’adapter.
« mais cela ne changerait pas le fait que ces gens vivent une insécurité d’emploi qui nuit à leur qualité de vie » Sauf que pour beaucoup de jeunes, la sécurité d’emploi n’est pas spécialement dans leur plan de carrière. Cela n’est pas une priorité. Je pense que l’on surestime grandement l’importance de la sécurité de l’emploi.
Un monde avec une grande sécurité d’emploi c’est le monde de nos grands parents où ils commencaient leurs carrières à un endroit et ils y restaient toute leur vie. Bien sûr cela offre une grande sécurité d’emploi mais cela amène aussi une grande rigidité. Les gens étaient un peu prisonniers dans leurs entreprises.
Certains travailleurs préfèrent de loin la liberté à la sécurité.
Bien sûr, il y a aussi des gens qui préfèrent la sécurité à la liberté. Mais penser que c’est le cas de tous les travailleurs c’est avoir une vision totalement fausse du monde
» alors que le marché du travail est devenu de plus en plus précaire » Est ce que c’est réellement vrai ?? J’ai pas lu le livre donc je ne sais pas. Je pose la question. Est ce que le livre donne des chiffres qui prouvent que le marché de l’emploi s’est réellement précarisé ?? Où c’est juste une affirmation balancé sans preuve ?