L’investissement responsable devient de plus en plus populaire un peu partout dans le monde et de plus en plus de fonds de retraite adoptent des principes d’investissement responsable et exigent que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance soient pris en compte dans leurs investissements (voir mon billet passé sur ce sujet pour plus de détails).
Dans cette foulée, certains fonds de pension ont décidé de ne pas investir dans les entreprises exploitant les sables bitumineux canadiens (voir ceci). Au Québec, la fondation de l’Université Laval s’est par exemple désinvestie des énergies fossiles en général et le Mouvement Desjardins a subi des pressions pour se désinvestir des oléoducs qui transportent le pétrole Albertain. Cela a contribué à ce que des entreprises multinationales telles que Shell et Conoco se départissent de leurs opérations dans les sables bitumineux pour éviter que de grandes institutions financières ne boudent leurs actions.
Est-ce une bonne chose?
Comparativement au baril de pétrole moyen raffiné aux États-Unis, le pétrole lourd des sables bitumineux génère 5% plus de GES en raison de son processus de production plus polluant (voir les 3 barres à droite sur le graphique ci-bas). C’est pourquoi les caisses de retraite s’en détournent, croyant que ce pétrole favorise davantage les changements climatiques.
Cependant, cette analyse est plutôt superficielle. Les émissions de GES ne sont pas la seule chose à considérer.
En Alberta, les pétrolières font face à une règlementation très sévère concernant l’utilisation de l’eau. Celle-ci doit être presque toute recyclée ou disposée de manière adéquate. De telles normes ne sont pas appliquée au Dakota du Nord, au Texas, en Russie ou au Nigéria. Aux États-Unis, les producteurs de pétrole déversent souvent l’eau de manière inadéquate et surcharge les usines de traitement municipales, qui ne sont pas équipées pour traiter de tels volumes de cette nature. Contrairement à ce que bien des gens pensent, les pétrolières canadiennes font beaucoup mieux que celles des autres pays à ce niveau.
En fait, le bilan de GES et de consommation d’eau des entreprises exploitant les sables bitumineux canadiens s’est constamment amélioré au cours des dernières décennies car ces entreprises investissent énormément en recherche et développement de nouvelles technologies permettant d’améliorer leur bilan environnemental. Les pétrolières canadiennes investissent beaucoup plus que les grands producteurs mondiaux en R&D.
Au niveau des considérations sociales, le Canada se démarque nettement de ses concurrents étrangers en termes de conditions de travail, de la sécurité des travailleurs, d’implication dans les communautés, d’interaction avec les Premières Nations, de formation et de respect de normes anti-corruption. Le pétrole canadien est nettement plus socialement responsable que celui du Vénézuela, du Nigéria ou du Moyen-Orient, où les revenus du pétrole servent à maintenir au pouvoir des régimes autoritaires corrompus. Ces pays utilisent souvent des travailleurs immigrants qui sont traités comme des esclaves.
Quant à la gouvernance, les entreprises pétrolières canadiennes sont encore une fois dans une classe à part. Des conseils d’administration indépendants et diversifiés, des normes de comptabilité transparentes et des procédures de comformité adéquates.
Les PDGs et dirigeants des entreprises exploitant les sables bitumineux canadiens ont des rémunérations significativement plus faibles que leurs homologues hors-Canada, et surtout Américains, sur une base de dollar de rémunération par baril produit. Sans critiquer combien les actionnaires d’Exxon décident de payer leur PDG (ça ne regarde qu’eux après tout), on peut affirmer que les entreprises de sables bitumineux contribuent moins aux inégalités de revenus que leurs concurrentes.
Donc au final, quand on combine le tout, les pétrolières canadiennes obtiennent les meilleurs scores ESG au monde. Il va de soi qu’un baril de pétrole produit au Canada, même dans les sables bitumineux, contribue davantage à faire un monde meilleur qu’un baril provenant de la plupart des autres pays du monde.
Conséquemment, ne pas investir dans les entreprises oeuvrant dans les sables bitumineux n’est pas une décision rationnelle, à moins de décider de ne pas investir du tout dans les entreprises pétrolières, ce qui risque d’avoir des conséquences plus graves à court terme vu l’absence d’alternatives viables au pétrole.
Qui plus est, c’est en investissant dans ces entreprises que les gros investisseurs peuvent les faire changer. La raison pour laquelle les pétrolières canadiennes ont tant investi en recherche pour améliorer leur bilan environnemental est que de gros investisseurs canadiens leur ont mis de la pression dans ce sens. On peut d’ailleurs constater que l’intensité des émissions de GES par baril produit est en constante baisse dans les sables bitumineux grâce à l’adoption de nouvelles technologies développées grâce à cette R&D.
En revanche, les caisses de retraite qui boudent le Canada ne se gênent pas pour investir dans Alphabet et Facebook, qui ont d’énormes centres de données énergivores situés dans des régions où une bonne partie de l’électricité est produite par du charbon, beaucoup plus polluant que les sables bitumineux, surtout quand on considère l’impact sur la qualité de l’eau, de l’air, sur les paysages et les communautés (voir ceci). Google vient d’ailleurs tout juste d’annoncer la construction de centres de données en Ohio et au Nebraska, deux états qui génèrent environ 60% de leur électricité à partir du charbon. C’est plutôt hypocrite de la part de ces institutions à mon avis…
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