Entre les années 1960s et 2000s, la Corée du Sud est passée d’une économie agraire sous-développée à une économie industrialisée et concurrentielle sur les marchés mondiaux. La Corée du Sud est souvent utilisée en exemple de succès par ceux qui pensent que le développement économique doit être planifié par le gouvernement plutôt que fondé sur la libéralisation des marchés. Il fut notamment mentionné par Eric Reinert dans son livre faisant l’apologie des stratégies de développement économique planifiées.
Alors, la Corée du Sud est-elle un exemple à suivre, une anomalie ou une exception qui confirme la règle?
Tout d’abord, il importe de mentionner que malgré le succès de l’industrialisation de la Corée du Sud, cette économie demeure beaucoup moins développée que la plupart des pays riches, tels que les États-Unis, la Suisse, les pays Nordiques, l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais plus important, la Corée du Sud a un PIB per capita encore moins élevé que le Japon, Taiwan, Hong Kong et Singapour (les autres Tigres Asiatiques).
Autrement dit, la Corée du Sud est loin d’être première de classe avec son PIB par habitant se chiffrant à moins de la moitié de celui de Singapour.
Le contexte
La Corée du Sud a amorcé son industrialisation au début des années 1960s, sous le contrôle de la junte militaire menée par Park Chung Hee, qui pris le pouvoir suite à un coup d’état en 1961. Il faut comprendre qu’à l’époque, le pays se trouvait à la frontière de la Guerre Froide, une situation peu orthodoxe. Les infrastructures du pays avaient été fortement endommagées lors de la guerre civile avec le Nord (1950-53).
Fait intéressant, lors de la partition des deux Corées en 1945, c’est le Nord qui a hérité de la plupart des usines, des mines et de 80% de la capacité de production électrique. Le Sud se retrouvait avec une économie surtout pastorale.
Conséquemment, l’aide des États-Unis fut cruciale dans le Miracle Coréen. Non seulement les américains ont fourni une assistance technique et financière à la Corée, mais en plus ont absorbé la majorité de ses exportations, lui permettant de développer une base industrielle. Les entreprises Sud-Coréennes se virent notamment octroyer de lucratifs contrats par les États-Unis dans le contexte de la guerre du Vietnam.
La Corée du Sud a aussi grandement bénéficié de sa proximité du Japon à une époque où le pays du soleil levant cherchait à délocaliser une partie de sa production vers des pays où le coût de la main d’oeuvre était moins élevé. La Corée était au bon endroit, au bon moment.
Le plan
Dans les années 1950s, le gouvernement a tenté une stratégie de substitution des importations, qui n’a pas fonctionné (comme c’est toujours le cas). Le nouveau gouvernement de Park Chung Hee s’est alors tourné vers une stratégie de stimulation des exportations. Lorsque le gouvernement décidait de cibler un produit en particulier pour l’exportation, il fournissait des incitatifs financiers pour favoriser le développement de cette industrie. Le plus important incitatif était des rabais sur les taux d’intérêt.
Ce sont vraiment les exportations qui ont propulsé l’économie coréenne, ayant cru au rythme de 30% par année entre 1962 et 1982.
L’une des premières mesures adoptée par Park Chung Hee fut la création du Conseil de Planification Économique, dont le but était d’établir des plans pour améliorer la croissance économique. Cependant, la Corée s’est toujours considérée comme une économie capitaliste. Le rôle des plans n’était que de définir des lignes directrices et fournir des incitatifs financiers de manière à favoriser ces objectifs. Les décisions étaient laissées entre les mains du secteur privé. Il n’existait aucun mécanisme permettant à l’état de forcer le secteur privé à se plier à ses vues.
Le gouvernement a établi un partenariat avec l’élite entrepreneuriale. Les familles riches ont créé d’importants conglomérats, connus sous le nom de chaebols. Les trois plus connus de nos jours sont probablement Samsung, Hyundai et LG.
Les entreprises d’état se limitaient surtout aux infrastructures et aux industries lourdes requérrant beaucoup de capital et la plupart étaient opérées par le secteur privé (comme POSCO dans l’acier par exemple).
L’un des succès du gouvernement fut la création de la Pohang Steel Mill (POSCO) en 1973, grâce à de l’aide financière japonaise, qui devint un producteur d’acier de grande envergure et qui était concurentielle sur les marchés mondiaux. Entre 1972 et 1982, la production d’acier a été multipliée par 14, grâce à Posco, un joint venture entre le gouvernement et l’entreprise privée TaeguTec.
Le gouvernement a pris le contrôle de l’industrie bancaire, qu’il a utilisée pour diriger des prêts à faible taux d’intérêt à des industries spécifiques, ciblées par les plans quinquennaux. Bien que les chaebols bénéficiaient de l’aide de l’état, ils ne bénéficiaient pas de monopoles, ce qui favorisait une certaine concurrence et contribuait à les garder efficients. En cas de mauvaises performances, ils perdaient l’aide étatique.
Le pays a de plus fait un investissement dans l’éducation vocationnelle. Le gouvernement a grandement investi dans la formation de manière à disposer d’une main d’oeuvre qualifiée pour l’industrie manufacturière.
L’une des politiques qui a contribué à la compétitivité des entreprises coréennes a d’ailleurs été sa main d’oeuvre sous-payée. Les politiciens autoritaires ont réprimé les mouvements syndicaux ce qui a permi de maintenir la croissance des salaires nettement inférieure à la croissance de la productivité. On peut aussi dire que les chaebols ont pu agir tel un cartel de façon à maintenir les salaires bas.
La mise en place des politiques de développements de la Corée a été facilitée par la nature dictatoriale du régime. La junte militaire a notamment pu maintenir des salaires très bas en réprimant le syndicalisme. Le pays ne passa à la démocratie qu’en 1987.
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L’essor de la Corée a aussi été possible grâce à la collaboration des chaebols, ces conglomérats qui ont accepté d’exécuter les plans des dirigeants politiques. Il y a cependant un problème avec cette structure économique. Les chaebols ont asphyxié les plus petites entreprises. Malgré sa croissance économique, la Corée n’a pas réussi à développer un éco-système de « start-ups » et de capital de risque.
Les chaebols absorbent aussi les meilleurs cerveaux dès leur sortie des universités. Conséquemment, la Corée n’a pas été un foyer d’innovation. Les entreprises du pays se sont concentrées à adopter les technologies développées par l’Occident et le Japon.
Plus récemment, le gouvernement a changé de cap en subventionnant la R&D de manière à stimuler l’innovation et permettre au pays d’être concurrentiel dans l’économie du savoir.
Conclusion
Dans une étude approfondie du « micracle » Coréen publiée par le Kellogg Institute, le professeur d’économie Kim Kwan conclue la chose suivante:
«some factors seem to stand out as representing a situation unique to Korea, with its replicability in other country contexts questionable.»
Selon Kim Kwan, le timing du miracle coréen y est pour beaucoup. La période allant de Bretton Woods jusqu’à la crise pétrolière de 1973 fut un âge d’or pour le commerce international. Durant cette période, il y avait une offre abondante de capitaux étrangers et plusieurs pays avaient atteint le plein-emploi, nécessitant une expansion outremer. Cet environnement était donc très favorable à une stratégie de développement axée sur les exportations.
Ce miracle a notamment été rendu possible grâce au soutien des États-Unis qui a fourni de l’aide et s’est assuré d’absorber les exportations coréennes. En période de Guerre Froide, il était impératif pour les américains que l’économie coréenne soit un succès.
La nature dictatoriale du régime a aussi contribué à ce que la planification fonctionne en réprimant la main d’oeuvre de manière à garder les coûts bas. Pour subventionner les exportateurs, le gouvernement a utilisé le système bancaire, une stratégie risquée à plus long terme pour ses conséquences potentielles sur l’inflation et le potentiel de corruption.
On peut aussi ajouter que le gouvernement coréen s’est sagement fié au secteur privé pour exécuter les grandes lignes de son plan, plutôt que de tout nationaliser. La stratégie coréenne était loin d’être communiste. Par contre, pour faciliter l’exécution du plan face à la complexité du système économique, le gouvernement a dû concentrer le pouvoir économique entre les mains d’une poignée de chaebols, ce qui a eu des effets pervers (corruption et manque d’innovation).
La stratégie de développement de la Corée lui a permi d’atteindre un niveau de richesse acceptable, mais ce modèle ne lui permettra de passer au niveau supérieur. Pour cela il lui faudra réformer sa structure économique de manière à favoriser l’émergence de petites entreprises innovatrices qui viendront challenger les chaebols et s’imposer sur la scène technologique internationale. L’innovation n’est pas quelque chose qui se planifie…
En somme, le « miracle » Coréen est une exception qui confirme la règle et, pour un grand nombre de raisons, ne constitue pas un exemple à suivre pour les pays cherchant actuellement une stratégie de développement. Une chose est sûre, il ne s’agit certainement pas d’une preuve que la planification centrale de style communiste peut fonctionner…
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« La Corée du Sud est souvent utilisée en exemple de succès par ceux qui pensent que le développement économique doit être planifié par le gouvernement plutôt que fondé sur la libéralisation des marchés »
Déjà le modèle de la Corée du Sud n’a strictement rien à voir avec le modèle de planification socialiste. Il s’agit ici de l’état développementiste.
Dans ce modèle, l’état mène des politiques de développement en incitant les entreprises à agir d’une certaine manière et dans un objectif de développement de la nation.
L’Etat développementiste capitaliste est interventionniste, mais avec une forte sollicitation des entreprises privées. C’est la collaboration entre les bureaucrates et les entreprises qui font la force de ces pays: « L’État ne donne pas d’ordre, mais il suggère et influence à travers un système ‘d’administrative guidance’, sous forme de recommandations informelles, rarement écrites, ce qui exige que des contacts étroits soient maintenus entre l’administration et les entreprises. Les entreprises qui répondent à ces signaux sont assurés d’avantages divers… » (Judet, 2000, p.3).
Et il est très important à comprendre que ce modèle ne peut fonctionner que dans un régime autoritaire. Ce n’est pas pour rien si ce modèle n’a existé que dans des régimes autoritaires. Car ce modèle suppose une société civile faible (qui ne vienne pas interférer dans la politique de l’état), des droits civils restreints (aucune opposition à la politique de l’état n’est mené. Le droit de grève n’est pas accepté). Ce modèle est totalement incompatible avec la démocratie. Il suppose une autonomie de l’état par rapport au reste de la société (qui n’existe pas en démocratie).
Si l’état développementaliste a relativement bien fonctionné en Asie du Sud Est, il a été un échec dans d’autres pays où il a été tenté (je pense notamment au Brésil).
A noter que ce modèle ne se concoit que dans un pays du tiers monde pour en faire un pays développé. Quand le pays devient développé, on voit que ce modèle est abandonné car il pose de nombreux problèmes (ce modèle favorise le capitalisme de connivence et la corruption, les sociétés publiques sont inefficaces,…). A partir du moment où une société civile apparait, ce modèle est intenable.
Les pays asiatiques (Taiwan, Corée du Sud, Chine, Japon) qui ont adopté ce modèle l’ont abandonné quand ces pays se sont développés car il devenait intenable. Sociétés publiques inefficaces et largement déficitaires, une forte corruption causée par la forte connivence entre l’élite politique et l’élite économique,…..Ce modèle conduit aussi à des très fortes inégalités vu que l’élite économique (qui est proche de l’élite politique) bénéficie de faveurs de la part de l’état qui les favorise. Cela conduit à créer une oligarchie qui bénéfice de faveurs de l’état. Alors que si vous n’avez pas de relations au sein de l’élite politique et bien vous ne pouvez pas espérer devenir très riche. L’état avantage les multinationales par rapport aux PME.
Je rappelle que l’ancienne présidente coréenne est aujourd’hui en prison. Or, cette affaire a justement été causé par les restes du modèle développementaliste (même s’il a été en grande partie défait, il reste encore un héritage) où les Chaebol sont alliés des politiciens. Il y a des magouilles entre grandes entreprises et politiciens.
Il faut souligner que l’on peut être très critique envers cette idée dans ce modèle qui mets l’accent sur l’industrie dans le développement. Or, il n’y a aucune preuve de la pertinence particulière de l’industrie dans le processus de développement économique par rapport aux autres secteurs. La participation relative de l’industrie dans le PIB n’explique guère les différences économiques entre pays. En revanche, l’effet de la qualité des institutions apparaît bien plus significatif. http://www.cadernosdodesenvolvimento.org.br/ojs-2.4.8/index.php/cdes/article/view/11
Ce qui est commun avec tous les pays qui se sont passés de l’état du tiers monde à pays développés c’est le capitalisme. Aucun pays n’a jamais réussi à se développer durablement sans capitalisme. (Mise à part peut être l’Arabie saoudite grâce à ses énormes de réserves de pétrole mais on voit qu’aujourd’hui son modèle pose problème).
Que ce soit un capitalisme d’état (comme dans l’état développementaliste) ou un capitalisme libéral, le capitalisme est toujours nécessaire pour se développer.
Le développement du capitalisme en Corée du Sud ou en Chine ont permis à ces pays de se développer. Maintenant, venir dire que leur capitalisme d’état a été plus efficace pour se développer que le capitalisme libéral, cela me paraît avancer vite en besognes. Il faudrait prouver de telles affirmations.
En fait, ce que prouvent les pays asiatiques c’est que le capitalisme d’état peut fonctionner pour permettre à leurs pays de se développer. Mais cela ne signifie nullement que le capitalisme d’état est plus efficace que le capitalisme libéral pour se développer.
De plus, cela montre aussi qu’une fois ces pays développés, il est clair que le capitalisme d’état devient un frein.
Se concentrer uniquement la composante interventionniste étatique dans le cas du développement les pays asiatiques sans prendre en compte la composante capitaliste est malhonnête. L’histoire prouve qu’un interventionnisme étatique non capitaliste ne fonctionne pas. Alors qu’un capitalisme non interventionniste fonctionne. Donc, difficile de ne pas croire que le capitalisme a été bien plus important dans le développement de ces pays que l’interventionniste étatique.
On peut même se demander si sans interventionniste étatique, ces pays n’auraient pas eu un développement plus important. Rien ne prouve que l’état développementaliste a été plus efficace pour se développer que le capitalisme libéral.
Je conseille deux des meilleurs livres écrits sur la politique et l’économie asiatiques – Asian Godfathers et How Asia Works de Joe Studwell . Ces livres décrivent le modèle économique que Taïwan et la Corée ont utilisé pour faire de leurs économies des puissances, contrairement aux modèles utilisés par d’autres pays, comme les Philippines, qui n’ont pas si bien fonctionné.
Son point central est que les gouvernements qui ont réussi ont donné à un groupe d’entreprises des monopoles nationaux efficaces pour subventionner le développement des industries d’exportation et remonter la chaîne de valeur ajoutée. Le risque avec ce modèle est que ces entreprises deviennent si puissantes qu’elles ne récoltent que les avantages de la protection nationale sans faire le travail difficile (coûteux) de construction d’une puissance d’exportation. Les gouvernements ont utilisé une variété d’outils pour faire respecter la conformité, généralement aidés par le fait qu’à l’époque ces pays étaient des dictatures. En particulier, il raconte l’histoire de la façon dont le gouvernement coréen a emprisonné de nombreux dirigeants de chaebol dans les années 60 pour « recentrer » leur esprit sur le programme de développement du pays. Ils ont finalement été libérés, puis sont sortis pour construire des industries d’exportation massives