Dans leur incessante quête à faire augmenter les revenus de l’état, certains gauchistes pensent que la manne se trouve dans l’imposition des dividendes et des gains en capital (D&GC). Plus précisément, ceux-ci s’imaginent que les D&GC bénéficient d’un « traitement préférentiel » dû au fait que les dividendes font l’objet d’un crédit d’impôt et que les gains en capital ne sont imposés qu’à 50%. Ils sont aussi contre le fait que les gains en capital ne sont imposés que lorsque le placement est liquidé, ce qui permet de différer l’impôt. Selon eux, l’imposition à 100% des D&GC permettrait de régler le paradoxe de Warren Buffet, qui paierait un taux d’imposition inférieur à sa secrétaire…
Comme vous le savez sans doute, la raison pour laquelle Warren Buffet semble sujet à un taux d’imposition inférieur à sa secrétaire que en raison du fait que la majorité de ses revenus proviennent de dividendes. Les dividendes sont versés à partir de profits qui ont déjà été taxés. S’il opérait sous la même structure qu’une firme d’avocats par exemple (limited partnership), son taux d’imposition personnel doublerait et même plus, mais il paierait à peu près le même montant d’impôts! Le crédit d’impôt sur les dividendes n’est qu’un ajustement pour ne pas inutilement punir cette forme de revenu comparativement aux salaires.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il est faux de prétendre que les dividendes bénéficient d’un « traitement préférentiel ». En fait, les dividendes sont surimposés, c’est-à-dire qu’ils sont sujets à une double taxation, à un taux qui fait en sorte qu’il ne puisse pas y avoir d’arbitrage entre salaires et dividendes pour les entrepreneurs. Parler de traitement préférentiel envers les dividendes est vraiment faire preuve d’une grave incompréhension du système fiscal.
Quant aux gains en capital, il s’agit là encore d’une double-taxation. Si on prend une action cotée en bourse, le gain en capital pourra résulter soit d’une augmentation du multiple d’évaluation, soit d’une hausse des profits. Les multiples d’évaluation varient en fonction des cycles boursiers, mais à long terme, il n’augmentent pas vraiment. Ce ne sont donc que les profits qui engendrent les gains en capital à long terme, et les profits ont déjà été imposés au niveau corporatif.
Supposons que l’entreprise ABC a une valeur aux livres de $100MM. Elle réalise cette année un profit de $10MM, qui est taxé à 26.5%, il reste donc $7.35MM net. Cette entreprise ne paie pas de dividende. La valeur aux livres de l’entreprise augmentera donc à $107.35MM. Supposons qu’un actionnaire détenant 10% des parts et les ayant acheté au début de l’année basé sur une valeur de $100MM vend ses actions à un nouvel actionnaire. Il réalisera alors un gain en capital de $735k. Si on impose ce gain à 100%, c’est comme si on taxait le profit de l’entreprise une seconde fois!
En taxant ce gain à 50% d’un taux marginal de 42%, cet actionnaire paiera $154.35k en impôts, en plus de sa part de $265k du $2.65MM payé par l’entreprise en impôts corporatifs. Ça donne un taux d’imposition combiné de 41.9% sur ces profits, ce qui est à peu près équivalent au taux marginal d’imposition que j’ai utilisé. On comprend donc que le ratio de 50% est un ajustement faisant le pont entre le taux d’imposition corporatif et le taux des particuliers. Amener ce taux à 100% serait absurde et découragerait énormément l’investissement.
Mais que faire si la valeur marchande devient supérieure à la valeur comptable? N’y a-t-il pas un gain en capital à ce moment? La différence entre la valeur comptable et la valeur marchande est appelée price-to-book ratio. C’est un ratio d’évaluation très répandu. Regardez un graphique à long terme de ce ratio pour le S&P500 par exemple et vous observerez qu’il fluctue selon les cycles boursiers, mais n’augmente pas à long terme! La seule chose qui augmente, ce sont les profits.
Évidemment, tant que l’actionnaire ne vend pas ses actions, le gain en capital n’est pas réalisé et l’impôt est différé. Si le gain n’est pas réalisé, alors l’investisseur ne peut pas utiliser l’argent. Ce n’est alors qu’une richesse théorique. Pourquoi faudrait-il que tous les gains non-réalisés soient imposés à chaque année? Les revenus de l’état se retrouverait alors à varier en fonction de la conjoncture boursière… Ce serait un système fiscal très instable.
Les revenus d’intérêt quant à eux ne bénéficient d’aucun traitement spécial. Ils sont ajouté au revenu imposable à 100%. La raison est que si une entreprise paie de l’intérêt, elle peut déduire cette dépense de son revenu imposable, ce qui fait diminuer sa charge d’impôt. Autrement dit, les intérêts sont versés à partir de profits qui n’ont pas encore été taxés. Il n’y a donc pas de double-taxation dans ce cas.
Une solution plus simple?
La confusion qui règne au sein de la population résulte du fait que le système fiscal est inutilement complexe. Pour moi, une réforme du système fiscal devrait inclure l’élimination de l’impôt corporatif, du crédit d’impôt sur les dividendes et de la réduction de 50% du taux d’imposition sur les gains en capitaux. De cette manière, les profits des entreprises seraient entièrement taxés entre les mains des particuliers. Ce système serait beaucoup plus simple et moins coûteux à administrer, tant pour le gouvernement que pour les entreprises et les particuliers, et je pense qu’il éliminerait de grosses distorsions économiques induites par le système fiscal actuel ainsi qu’il réduirait l’évitement fiscal.
Certains diront que dans un tel système, les entreprises pourraient éviter l’impôt en gardant de l’encaisse, en rachetant leurs propres actions, en faisant des investissements et des acquisitions. Ces éléments permettraient de différer l’impôt, et non de l’éviter. Une grande corporation cotée en bourse ne peut pas se payer des vacances en Italie ou une maison au bord de la mer pour y habiter. Au final, pour que les actionnaires puissent dépenser l’argent des profits, il faut que cet argent leur soit versé en dividendes ou encore que les actionnaires vendent leurs actions. C’est la seule manière. Et comme les dividendes et gains en capital sont imposés, les profits finissent toujours par être imposés.
Les profits non-distribués en dividendes demeurent dans l’entreprise, qui les utilise pour financer ses investissements, qui normalement résulteront en une hausse des profits futurs et, par le fait même, des dividendes. Cette hausse des profits et dividendes fait monter le prix de l’action et engendre donc des gains en capital. Les rachats d’actions quant à eux sont imposés sous la forme de gains en capitaux. Il n’y a pas de perte d’impôts à ce niveau non plus.
Quant aux acquisitions, encore une fois l’État obtient sa part. Premièrement, la prime sur la cible se situe en moyenne autour de 30%, donc un gain en capital immédiat que le gouvernement peut taxer. Deuxièmement, l’acquisition mènera à une hausse des profits, et donc des dividendes futurs et, conséquemment, des impôts sur les dividendes.
Et si l’entreprise s’établissait dans un paradis fiscal? Il est important de savoir que si une entreprise s’établit dans un paradis fiscal, cela ne signifie pas pour autant que ses actionnaires ne paient pas d’impôts. Si une entreprise canadienne comme par exemple Brookfield Infrastructure Partners LP établit son siège social dans un paradis fiscal comme les Bermudes, elle évitera l’impôt corporatif. Cependant, les revenus de dividendes que je reçois de cette entreprise sont taxés comme des revenus d’intérêt, donc sans crédit. Le fait que cette entreprise soit basée dans un paradis fiscal ne fait donc perdre aucun revenu de taxation aux gouvernements canadiens à long terme.
Le fait qu’une entreprise soit basée dans un « paradis fiscal » ne signifie pas qu’il y ait nécessairement une perte d’impôts. Cela fait en sorte que beaucoup de gens surestiment l’impact réel des paradis fiscaux sur les revenus de l’état. Curieusement, l’évitement fiscal n’est pas la raison pour laquelle cette entreprise est établie aux Bermudes.
Conclusion
Les dividendes et gains en capital ne bénéficient pas d’un traitement fiscal préférentiel. L’élimination des ajustements qui permettent de les rendre équivalents à un revenu salarial sans abolir l’impôt des entreprises ne constituerait pas un moyen efficace de faire diminuer les inégalités de revenus. Ce serait certes équivalent à une hausse d’impôts pour les mieux nantis, mais cette mesure engendrerait d’énormes distorsions économiques, notamment une panne sèche d’investissements.
Les profits d’entreprises, dividendes et gains en capital forment un réseau de vases communicants. Au final, ils sont imposés sensiblement au même niveau que les revenus salariaux.
Ne manquez pas la suite de ce billet, la semaine prochaine…
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Bonjour
Vous dites: « Curieusement, l’évitement fiscal n’est pas la raison pour laquelle cette entreprise est établie aux Bermudes. »
Pourriez-vous indiquer quelle est la raison alors.
Michel Lafontaine
@Michel Lafontaine
C’est la facilité de faire des affaires en général et de pouvoir mettre en place une structure d’entreprise aussi innovatrice.
Ceci dit, la fiscalité simple, en vertu de laquelle les profits sont taxés entre les mains des actionnaires est aussi un avantage important pour ce genre d’entreprise ayant des investissements dans un grand nombre de pays différents.