Voici les paroles que prononça Ben Bernanke en novembre 2002, lors de l’anniversaire de Milton Friedman :
« Let me end my talk by abusing slightly my status as an official representative of the Federal Reserve. I would like to say to Milton and Anna [Schwartz, Friedman’s coauthor]: Regarding the Great Depression. You’re right, we did it. We’re very sorry. But thanks to you, we won’t do it again. »
Bernanke faisait référence au fait que selon Friedman & Schwartz, la Grande Dépression des années 1930s a été exacerbée par le manque de d‘intervention de la Federal Reserve à créer de la monnaie pour l’injecter dans l’économie.
Quelques années plus tard, suite à la crise financière de 2008, Bernanke est resté fidèle à ces paroles. Il allait orchestrer trois rondes d’assouplissement quantitatif (aka quantitative easing ou QE) qui allait injecter des centaines de milliards de nouvelle monnaie dans le système bancaire. Ces dernières années, plusieurs autres banque centrales du monde ont imité la Fed, incluant la Banque du Japon (en vertu du plan des Abenomics), la Banque d’Angleterre et la Banque Centrale Européenne (en mars 2015). La mise en place d’une telle stratégie montre à quel point le monétarisme est devenu le mode de pensée dominant des banques centrales du monde.
Selon les monétaristes, le gouvernement doit intervenir sur le taux de croissance de la masse monétaire pour stabiliser la croissance économique. La différence avec la keynésianisme est que les monétaristes ne prescrivent pas de stimulus fiscal en cas de récession en plus du stimulus monétaire.
En ce moment, on réalise clairement que dans certaines conditions (que nous investiguerons plus loin), le monétarisme n’arrive pas à ramener la croissance économique à un niveau convenable. Au Japon, après une courte embellie, la croissance a fortement décéléré et le taux d’intérêt sur les obligations gouvernementales de 10 ans s’est même immiscé en territoire négatif. En Europe, l’économie demeure morose, si bien que Mario Draghi contemple une augmentation du QE et suggère même que le programme actuel pourrait devenir perpétuel.
Aux États-Unis, la Fed a finalement monté son taux cible en décembre dernier, croyant enfin pouvoir graduellement revenir vers une politique monétaire plus « normale » (considérant qu’un taux d’intérêt de zéro est assez anormal). Cependant, il ne fallait pas oublier que le dollar américain s’est apprécié de 20% depuis juin 2014 et, au fil de l’année 2015 et au début de 2016, les conséquences macro-économiques d’un dollar fort ont commencé à se faire sentir; aux États-Unis où le secteur manufacturier en arrache, mais aussi dans les marchés émergents où plusieurs entreprises ont emprunté en dollars américains. Le FOMC prévoyait quatre autres hausses de taux en 2016, mais devant un barrage de mauvais chiffres économiques, Mme Yellen semble s’être ravisée et nous n’aurons probablement qu’une ou deux hausse cette année (juin et décembre).
Trop de dette…
La raison principale pour laquelle le monétarisme n’a pas fonctionné est que les ménages sont fortement endettés et que la population vieillit. Peu importe le taux d’intérêt, les gens sont moins enclin à emprunter pour consommer et davantage enclin à rembourser leurs dettes. Dans ce contexte, les entreprises n’empruntent pas non plus pour investir dans leur capacité de production, puisque la demande n’y est pas. Elles s’endettent plutôt pour acquérir d’autres entreprises et/ou pour racheter leurs propres actions, ce qui ne contribue pas beaucoup à la croissance économique. Les gouvernements aussi ont beaucoup de dettes, ayant engendré des déficits fiscaux depuis des années.
Ceci dit, l’éléphant rose dans la pièce c’est la Chine (voir ceci). En 2008, devant l’ampleur de la récession, le gouvernement chinois a lancé un stimulus fiscal de US$586M, soit 16% du PIB, du jamais vu. Mais en plus, la banque centrale chinoise, la PBOC, a assoupli sa politique monétaire drastiquement dans la seconde moitié de 2008 en réduisant les taux d’intérêt et en réduisant le ratio de réserves requises (RRR) des banques; en d’autres mots la PBOC a créé une quantité massive de nouvelle monnaie pour stimuler l’économie. Et l’économie fut en effet stimulée, ce qui fut applaudi par les keynésiens.
Par contre, il y avait un sérieux bémol à tout cela : la Chine ne bénéficie pas d’un mécanisme de marché efficient pour allouer tout cet argent. Résultat : la nouvelle monnaie créée sous forme de dette servit à financer d’énormes investissements improductifs. La capacité de production manufacturière de la Chine fut augmentée de manière irréfléchie, sans qu’il n’y ait de demande pour absorber cette nouvelle offre. Beaucoup d’entreprises chinoises se retrouvent incapables de rembourser leurs dettes et les banques d’état qui leur ont octroyé ces prêts ont besoin du soutien de la banque centrale pour absorber les pertes.
Il n’en demeure pas moins qu’on se retrouve avec un surplus de capacité dans plusieurs industries. Dans l’acier par exemple, la capacité excédentaire de la Chine à elle-seule est plus grande que l’entière production du Japon, des États-Unis et de l’Allemagne réunis! Et le problème est que ces investissements chinois ont, à travers les importations, moussé la demande de plusieurs choses même à l’extérieur de la Chine. Parlez-en à Caterpillar par exemple, l’entreprise américaine qui fabrique de la machinerie lourde et dont les ventes sont en chute libre, que ce soit directement en Chine, mais aussi en Amérique Latine, où sont produites des matières premières importées par la Chine.
Vu la taille de son économie, le marasme économique chinois contribue à déprimer tout le reste de l’économie mondiale. Devant une telle surcapacité de production, il n’est pas surprenant que l’investissement privé soit si morose au Canada, aux États-Unis et en Europe. Aucun QE ne pourra y changer quoi que soit.
Les nouvelles solutions…
Maintenant, le problème est qu’au lieu de reconnaître que le monétarisme est une stratégie inadaptée à la situation actuelle (ou à toute situation à vrai dire), les banquiers centraux continuent de creuser dans cette direction. La dernière trouvaille : les taux d’intérêt négatifs (ou NIRP). Cependant, les résultats initiaux de cette stratégie se sont avérés désastreux, notamment au Japon, mais encore là, plutôt que d’abandonner, les élites monétaires considèrent plutôt éliminer l’argent comptant, pour permettre au NIRP d’être plus efficace!
Et finalement, devant tous ces échecs, on se retourne encore vers le bon vieux Friedman et son fameux concept d’helicopter money. Cette stratégie (aussi appelée QE for the people) consisterait à ce que la banque centrale crée de la monnaie et la distribue directement aux citoyens (comme si elle la jetait du haut d’un hélicoptère). De cette manière, plutôt que de finir en réserves bancaires inutilisées, l’argent aurait plus de chance d’être dépensé, ce qui créerait de la demande. Le problème avec cette approche est évident : il est peu probable que les entreprises se laissent berner et se mettent à embaucher et à investir dans leur capacité de production, qui est d’ailleurs en situation excédentaire. Les bienfaits sur la croissance du PIB seraient donc très éphémères.
Quant à l’investissement en infrastructures, telles que des routes, ponts, ports et autres, que les gouvernements pourraient financer en empruntant de la banque centrale, l’effet serait sensiblement le même ou pire, car non seulement l’embellie économique serait temporaire, mais en plus ce genre de programme pourrait mener à de mauvais investissements, ce qui exacerberait les problèmes actuels. Par exemple, devant la nouvelle demande, une entreprise de machinerie pourrait en venir à investir dans sa capacité de production, qui deviendrait déficitaire une fois la manne de contrats gouvernementaux épuisée. De plus, ce genre de programme serait probablement empreint de gaspillage, voire de corruption, et engendrerait une inflation dans les coûts qui rendraient ces projets trop dispendieux relativement à leurs bienfaits pour la société.
Conclusion : Ce qui devrait être fait.
À ce point ci, les élites monétaires doivent accepter que la croissance économique sera inférieure à leurs attentes, parce que la croissance démographique ralentit, parce que la population vieillit et parce que les gens remboursent leurs dettes. De son côté, la Chine devra faire face à la musique et rebalancer son économie tout en restructurant ses banques et ses entreprises d’état (voir ceci). Le reste du monde devra s’ajuster à cette nouvelle réalité en espérant que la transition se fasse en douceur.
Pendant que les distorsions engendrées par les interventions monétaires massives des dernières années se dissipent, les banquiers centraux devraient en faire le moins possible. Et peut-être devraient-ils en fait adopter une autre des idées de Friedman : abolir la politique monétaire et la remplacer par un mécanisme d’augmentation fixe de la masse monétaire, mais cela rendrait tout ce beau monde inutile, donc ne retenez pas votre souffle…
Après la faillite du keynésianisme dans la stagflation des années 1980s et maintenant la faillite du monétarisme, ne pourrait-on pas enfin se tourner vers l’école autrichienne? En fait, le comportement de l’économie mondiale ces dernières années corroborent parfaitement les préceptes de cette vision de l’économie…
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Votre article illustre avec beaucoup de clarté cette tendance « monétariste » qui perdure.
L’équilibre du système financier est basé ultimement sur la confiance.
Que se passera-t-il si la population et/ou les marchés perdaient confiance, commençaient à croire que la valeur de la monnaie est arbitraire, que les mesures « facilitatrices » des banques centrales et des états ne donneront plus désormais les résultats escomptés pour stimuler l’économie ,et réduire le chômage et autres aléas ?
Quelle seront les mouvements sociaux des populations des pays potentiellement, et initialement les plus affectés, tels que le Vénézuela, le Brésil, la Russie, et peut-être un jour la Chine..
Une crise majeure est considérée à présent comme « possible », non plus par les « prophètes de malheur » habituels qui veulent vous vendre leurs produits et conseils, mais par certains analystes crédibles de la situation économique mondiale.
Seul un courage politique des dirigeants, doublé d’une vision à plus long terme, et d’une restructuration en profondeur du système monétaire comme vous le suggérez, parmi d’autres mesures adaptées à cette décroissance, donnerait l’espoir d’un redressement durable.
Le problème de beaucoup de gens comme Ron Paul ou Peter Schiff est de croire perpétuellement en l’imminence d’une crise financière catastrophique.
Il est vrai que le système monétaire est malsain, qu’il a mené à un sur-endettement, que la distorsion engendrée sur les marchés a mené à du gaspillage de capital.
Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu’une crise va éclater sous peu.
Les politiques monétaires désespérées telles que les taux négatifs et l’helicopter money ne visent pas à « sauver le système de l’effondrement », mais simplement à relancer la croissance économique.
La conséquence de ne pas réussir ne sera pas nécessairement une crise, mais plus probablement une croissance anémique.
Maintenant, ceci dit, une faible croissance n’est pas vraiment une mauvaise chose pour le commun des mortels, mais c’est une perspective peu attrayante pour les gouvernements (qui comptent sur la croissance de leurs revenus de taxation pour boucler leur budget et augmenter les salaires des fonctionnaires) et pour les actionnaires/investisseurs boursiers (qui devront se contenter de rendements beaucoup plus faibles).
Le monétarisme, si j’ai bien compris n’amène pas à la croissance, mais à la croissance OPTIMALE qui … comme vous l’avez très bien expliqué (démographie+vieillissement) n’est plus au RDV.
Donc d’une certaine manière, le monétarisme fonctionne. D’ailleurs les taux négatifs visent à décourager l’épargne, mais le risque n’est plus rémunéré correctement de l’autre coté (d’où les rachats d’actions entre autre).
Le monétarisme n’est pas suffisant car il n’est pas magique non plus, il ne peut que stimuler la croissance à son potentiel maximal, mais pas dépasser ce potentiel. C’est justement ce potentiel qui est en décrue.
Je rajoute un point, qui peut sembler paradoxal au premier abord, mais qui est directement lié aux 2 précédents : l’innovation.
Bien qu’en apparence notre époque foisonne d’innovation, en réalité, ce ne sont pas des innovations qui améliorent la productivité, sauf de manière très marginale.
De même nous avons des couches et des couches de complexité qui se sur-ajoutent dans tous nos systèmes, ce qui les rends instable, fait perdre la confiance (et donc augmente l’épargne de précaution, décourage l’investissement, fait baisser profits et donc les salaires)
Donc l’équation est : démographie+vieillissement+innovation+complexité.
Mais je chipote.
Le monétarisme ne peut pas créer de croissance.
L’auteur émet des raisonnements à base keynésienne (demande/offre) pour expliquer la croissance, mais il se trompe, il n’a jamais lu Von Mises.
Reprenons par le début : Friedman et son analyse de 1929 : Pour Friedman, la crise de 1929 a dégénéré en récession cataclysmique car les banques ont restreint le crédit exagérément au moment de l’éclatement des bulles de crédit, ajoutant la récession à la récession.
La conclusion de Friedman : au lieu de réduire encore la voilure au niveau crédit, il aurait fallu faire tout l’inverse et l’helicoptary money.
Cela aurait rajouter du mal au mal.
Ce qui crée la croissance économique, ce n’est pas la hausse de la demande par rapport à l’offre, concept keynésien idiot démonté par la loi des débouchés de Say 200 ans avant (mais qui lit Say ???)
La croissance économique vient de la hausse de la productivité marginale, rien à voir avec « la demande » (???)
Cette hausse provient de l’innovation, de la formation, et à la base, bien sûr, de l’accumulation de capital.
En quoi la manipulation de la valeur d’échange de la monnaie (ie : le monétarisme) pourrait-elle créer de l’accumulation de capital ???
A part envoyer un faux signal de prix pour l’argent, et ainsi conduire à une mauvaise allocation du capital, et donc à une bulle, le monétarisme ne marche pas, ce que les faits économiques montrent de façon indiscutables.
Relire Rothbard pour l’origine des crises économiques.
@Stephane
Entièrement d’accord avec votre commentaire.
Vous n’avez pas du lire beaucoup Friedman pour considérer la politique des banques centrales comme monétariste. Le monétarisme repose sur le contrôle de la masse monétaire qui doit croitre à un taux fixe (en gros égal au taux de croissance de long terme).
Les banques centrales type FED ou BCE ne visent pas le contrôle de la masse monétaire mais celui de l’inflation. Le reproche de Friedman a la FED en 1929 est d’avoir contracté d’un tiers la masse monétaire et aprés d’avoir refusé d’aider les banques. Erreurs que les banques centrales actuelles n’ont pas commises.
Mais JAMAIS Friedman n’a été en faveur des relances monétaires et des QE évitons de raconter n’importe quoi.
Bref avant de critiquer Friedman ça serait bien de le lire un minimum. Plus j’en vois plus je me dis que les autrichiens c’est comme les communistes. Les uns ont une foi stupide dans le marché, les autres dans le plan. Et aucun des deux n’a suivit la science économique depuis 50 ans, signe de grande vigueur intellectuelle… :p
@Demandered
Ce que je dis est que selon leur vision des choses, l’immense augmentation de la masse monétaire ces dernières années aurait dû mener à un boom économique inflationniste, ce qui ne fut pas le cas. C’est une grave contradiction du modèle monétariste qui démontre qu’il y a quelques chose qui cloche dans cette approche. J’explique ici les raisons de cette divergence, qui sont liées au niveau d’endettement.
Autrement dit, Friedman n’aurait peut-être pas été en faveur des QE (ou peut-être que oui), mais il aurait prédit une accélération de l’inflation, qui ne s’est pas produite.
En 1929, ce n’est pas la banque centrale qui a réduit la masse monétaire, ce sont les radiations de mauvaises créances par les banques commerciales. Friedman aurait souhaité que la banque centrale crée de la monnaie pour contrer ce phénomène. Si vous ne voulez pas appeler cela une relance monétaire, c’est votre affaire…
Et si pour vous injecter de la liquidité dans le système bancaire en créant de la monnaie n’est pas une relance monétaire, alors qu’est-ce que c’est?
Sur le monétarisme, tout n’est pas à rejeter. Je pense qu’il convient de corriger certains points de la théorie monétariste, en particulier les hypothèses de départ, genre la théorie du prix unique, qui fonde la PPA par exemple. Par ailleurs, le régime de changes flexibles depuis l’effondrement de Bretton Woods a été prôné par les monétaristes ; je pense que ce fut une mauvaise idée pour la stabilité de l’économie internationale à long-terme. On dit souvent que les monétaristes sont pour la rigueur en matière de politique monétaire, mais ce sont eux en réalité qui ont rendu possible les politiques expansionnistes. Mais on doit aux monétaristes d’avoir combattu et mis en déroute les illusions du keynésianisme qui dominaient encore dans les années 70. Donc rien que pour cela, les monétaristes méritent d’être salué