Le livre “La Face Cachée du Pétrole” fut publié par le journaliste Français Éric Laurent en 2006. Ce livre résume en quelque sorte l’histoire géopolitique du 20e siècle de la perspective du pétrole. Voici les éléments les plus importants de mes notes de lecture. La leçon principale que l’on peut en tirer selon moi est que le prix du pétrole est déterminé à 90% par la politique et à 10% par le marché.
Mes notes sont sous la forme de « bullet points », en ordre plus ou moins chronologique.
En 1901, William Know d’Arcy obtint une concession du Shah de Perse couvrant 770,000 km2 (plus vaste que le Texas), qui mena à la création de la Anglo-Persian Company en 1909, qui changera son nom pour l’Anglo-Iranian en 1935 et finalement BP en 1954. En 1914, sous l’initiative de Winston Churchill, le gouvernement britannique acquis une part de 51% dans l’entreprise pour 2.2 millions de livres.
L’Anglo-Persian détenait une part de 50% dans la Turkish Petroleum Company (TPC), qui fut organisée pour explorer et développer les ressources pétrolière de l’Empire Ottoman. Les autres actionnaires sont Shell et Deutsche Bank. Ceci dit, malgré son nom invoquant la Turquie, ses opérations étaient centrées sur l’Irak, lesquelles seront regroupées sous la Iraq Petroleum Company (IPC) en 1929.
En 1925, la TPC signe une entente avec le roi d’Irak concernant une concession qui durerait jusqu’en 2000, en échange d’une redevance de 4 shillings par tonne. Après la première guerre mondiale, la TPC fut démantelée. Les actions de Deutsche Bank furent saisies par la compagnie française Total.
Durant la première guerre mondiale, environ le quart du pétrole consommé par les forces alliées venait de la Standard Oil. Cette compagnie fut fondée en 1860 et démantelée en 33 compagnies en 1911 en vertu de la loi anti-monopole. Parmi ces entreprises, furent créées Exxon, Mobil, Chevron et Conoco. Rockefeller était aussi propriétaire de la Chase Bank.
Avant la révolution Bolchévique, les frères Nobel (incluant le fondateur du fameux prix) étaient propriétaires d’environ le tiers de la production de pétrole de Russie, Shell détenait le reste, mais tout fut évidemment nationalisé avec l’avènement du communisme. La Standard Oil acheté la part des Nobel pour $145 million puis la Chase Bank aida à financer le commerce entre les États-Unis et l’URSS de manière à être dans les bonnes grâces du régime soviétique. En échange, l’URSS lui attribua une concession de 50 ans, mais les États-Unis bloquèrent la transaction.
Les Soviétiques commencèrent à produire eux-mêmes le pétrole, envahissant le marché mondial et déprimant les prix. Leur pétrole faisait la convoitise des Allemands, qui ne pouvait subvenir qu’à 25% de leurs besoins, ce qui mena à l’Accord de Rapallo entre les deux pays en 1922. En plus d’approvisionnement en pétrole, les Allemands allaient pouvoir reconstruire leur capacité militaire grâce à des usines secrètement situées en URSS, à l’abri des inspecteurs du traité de Versailles. En contrepartie, les Allemands allaient fournir une aide technologique et stratégique pour constituer l’Armée Rouge.
En 1928, Henry Deterding, le fondateur et président de Shell, invita les présidents d’Exxon et BP, entre autres, à un manoir d’Écosse pour y conclure l’Accord d’Achnacarry, qui deviendrait un cartel international du pétrole 31 ans avant l’OPEP, comprenant 17 producteurs majeurs. L’existence de cet accord ne fut dévoilée au public qu’en 1952 dans le cadre d’une enquête de la Federal Trade Commission alléguant qu’il s’agissait d’une infraction à la loi anti-monopole. Cependant, l’administration Truman arrêta les procédures et étouffa l’affaire car cela donnerait des munitions à la propagande soviétique. Deterding allait devenir un fervent supporteur d’Hitler et fut éventuellement forcé à démissionner. L’Accord d’Achnacarry succédait à l’Accord de la Ligne Rouge de 1928, qui concernait un cartel oeuvrant au sein de l’ancien Empire Ottoman.
En 1933, le gouvernement Saoudien octroya une concession à la Standard Oil of California (Chevron), ce qui marqua l’entrée des américains dans ce pays, qui allaient opérer sous l’égide de l’Aramco, un consortium formé entre autres d’Exxon et de Caltex. Le gouvernement américain tenta d’acheter une part dans l’entreprise, mais n’y parvint pas. Elle fut nationalisée à 60% par les Saoudiens en 1976.
En 1945, le Président Roosevelt rencontra le roi Ibn Seoud à bord de l’USS Quincy ancré au milieu du canal de Suez. Un accord secret et historique fut conclu entre les deux parties conférant la sécurité au royaume saoudien en échange d’un approvisionnement fiable en pétrole abordable.
Dans les années 1940s, Exxon partagea le brevet permettant de faire du carburant synthétique avec l’entreprise de produits chimiques allemande IG Farben. En échange, Exxon pu développer sa capacité à fabriquer du caoutchouc synthétique. IG Farben allait éventuellement être déclarée coupable de crimes de guerre (incluant l’utilisation de main d’oeuvre forcée et la fabrication du gaz Zyklon B utilisé dans les camps de concentration). L’entreprise fut ensuite démantelée (certaines des parties sont devenues Bayer, Hoechst, AGFA, Sanofi et BASF). Exxon ne reçut qu’une amende de $50,000 pour sa collaboration avec l’ennemi Nazi, même si le président Truman qualifia ses actes de « pure trahison ».
Durant la seconde guerre mondiale, l’approvisionnement en pétrole était critique. Les forces alliées bénéficiaient de la production américaine, qui fournissait les deux-tiers de leurs besoins, même si plusieurs cargo pétroliers furent coulés par les U-boats dans l’Atlantique. Ainsi, l’Ultra fut un élément important de la victoire alliée, permettant de déchiffrer le code allemand Enigma et de se protéger des U-Boats.
Pour les Allemands, le carburant synthétique ne suffisait pas, il leur fallait saisir les champs de Bakou, sous contrôle de l’URSS, ce pourquoi ils décidèrent d’envahir ce pays. L’échec de cette campagne sonna le glas du Troisième Reich.
En ce qui concerne le Japon, il ne faut pas oublier que ce fut un embargo sur les exportations de pétrole vers ce pays qui motiva l’attaque sur Pearl Harbor. Le Japon chercha ensuite à assimiler de la production pétrolière en Asie du Sud-Est.
Cette carte montre l’évolution du front de l’Est, où on voit clairement que les Nazis se dirigent vers Bakou.
Au début des années 1950s, le nouveau président Iranien, Mohamed Mossadegh, voulu nationaliser l’Anglo-Iranian (BP). Un coup d’état fut alors organisé par les américains et les britanniques pour évincer Mossadegh du pouvoir; il fut emprisonné en 1953 et le Shah fut remis en place. Suite à ces événements, les compagnies pétrolières américaines se retrouvèrent avec 55% de la production iranienne comparativement à 14% en 1938.
Au Venezuela, en 1948, le gouvernement de l’Action Démocratique voulu réviser les accords conclus avec les entreprises pétrolières de manière à augmenter les redevances versées à l’État. Le président fut vite évincé par une junte supportée par les États-Unis de manière à préserver les intérêts d’Exxon. À l’époque, la Creole Petroleum Corporation était le premier producteur de pétrole au monde et appartenait à Standard Oil of New Jersey (Exxon) depuis 1928. Elle allait être nationalisée par PDVSA en 1976.
En 1949, la CIA organisa un coup d’état contre le gouvernement de la Syrie parce qu’il avait refusé d’approuver le TAPLINE, un oléoduc qui devait transporter le pétrole saoudien vers la Méditerranée en traversant la Syrie. Suite au coup, le projet fut immédiatement approuvé. En 2011, le président Bachar Al-Assad s’est opposé au Qatar Pipeline, favorisant plutôt l’Islamic Pipeline, qui expédierait du gaz iranien vers l’Europe, de manière à préserver les intérêts de l’allié d’Al-Assad, la Russie, qui tient l’Europe en otage grâce à son gaz.
Cette carte montre les deux projets.
Au début des années 1950s, les Américains ont tenté de contrer le nationalisme d’Abdel Nasser en aidant des Islamistes radicaux tels que les Frères Musulman en Égypte, qui ont tenté d’assassiner Nasser peu de temps après son arrivée au pouvoir. En 1955, Nasser a annoncé la nationalisation du Canal de Suez. Les Britanniques et les Français sont intervenus militairement pour protéger leur intérêts, mais furent forcés de se retirer sous la pression des États-Unis, de l’URSS et des Nations Unies. Le canal fut fermé entre octobre 1956 et mars 1957.
En 1959 et 1960, les compagnies pétrolières décidèrent de réduire le prix affiché du pétrole, ce qui eut comme impact de réduire significativement les redevances perçues par les gouvernements des pays producteurs. En septembre 1960, les ministres pétroliers du Venezuela et de l’Arabie Saoudite organisèrent la conférence de Bagdad, qui fut suivie de la naissance de l’OPEP. Le cartel fut initialement peu efficace car l’Arabie Saoudite ne collaborait pas suffisamment vu son alignement avec les États-Unis…jusqu’à l’embargo de 1967.
Dans les années 1960s, la Lybie a développé ses champs pétrolifères par l’entremise d’entreprises indépendantes plutôt que par des entreprises majeures (i.e. les Sept Soeurs). Leur pétrole est de haute qualité, est produit à faible coût et peut facilement être expédié en Europe par la Méditerranée (ce qui fut un avantage stratégique majeur durant la crise du Canal de Suez entre autres). En 1956, le Dr Armand Hammer acheta une petite entreprise pétrolière près de la faillite pour $50,000. Cette entreprise, Occidental Petroleum, n’opérait qu’un seul puits près de Los Angeles, ne produisant que 100 barils par jour. En 1968, il obtint deux concessions très convoitées en Lybie, sur 4,500 kilomètres carrées dont 150 kilomètres de côte maritime. Il remporta cette enchère grâce à un dépôt anonyme dans les comptes de banques suisses de gens faisant partie de l’entourage du roi Idriss.
OXY y découvrit l’un des plus gros gisements en 1967, qui à un certain moment produisait jusqu’à 500,000 barils par jour. En 1969, Kadhafi orchestra un coup d’état contre le roi Idriss. Après avoir pris le pouvoir, il voulut nationaliser l’industrie pétrolière du pays, mais décida finalement que de nationaliser OXY car celle-ci n’avait pratiquement aucune autre source de production. Un an plus tard, le nouveau premier ministre accepta de laisser aller les actifs d’OXY en échange de redevances et taxes plus élevées, mais en 1973, OXY vendit une part de 51% de ses actifs lybiens au gouvernement pour $136 millions.
En 1971, la politique énergétique de Richard Nixon visait à réduire la dépendance des États-Unis aux importations de pétrole. Cela requerrerait des investissements massifs dans la production domestique, lesquels nécessitaient des prix beaucoup plus élevés pour être justifiés. À l’époque, plusieurs entreprises pétrolières américaines étaient en difficultés financières. En octobre 1973, les pays de l’OPEP décidèrent de faire augmenter les prix, dix jours après que l’Égypte et la Syrie aient attaqué Israël. En 1974, les profits des 30 plus grosses entreprises pétrolières augmentèrent de 71%.
Durant les années 1980s, dans le dernier droit de la guerre froide, les États-Unis avaient trois moyens de mettre de la pression sur l’URSS. Premièrement, en aidant le Front de Solidarité en Pologne, deuxièmement en finançant et armant les rebelles Moudjahidines en Afghanistan, et troisièmement en réduisant les entrées de devises fortes provenant des exportations de pétrole soviétique. Un mouvement d’un dollar du prix du pétrole équivalait à un milliard de dollar d’entrées de fonds en URSS. Les Américains ont donc demandé à l’Arabie Saoudite d’augmenter la production pour faire diminuer le prix du pétrole, suite à la première visite officielle du Roi Fhad à Washington en 1985. Leur production est passée de 2 à 10 millions de barils par jour et le prix du pétrole s’est effondré à $10 en 1986. Les Américains ont aussi mis en place des embargos, incluant sur des technologies utilisées en Europe pour la construction du pipeline Euro-Sibérien, qui aurait transporté 8 milliards de pieds carrés de gaz naturel par jour vers l’Europe et généré 32 milliards de dollars par années en entrées de fonds. Les soviétiques n’arrivaient pas à obtenir des entrées de fonds par la vente d’armes non plus car leurs clients subissaient aussi l’impact de la baisse du prix du pétrole. L’URSS implosa en 1989.
Voici des Moudjahidines à la Maison Blanche avec Reagan. L’un de leurs chefs, Oussama Ben Laden, se retournera éventuellement contre les américains…
La similarité avec la situation actuelle est frappante. La Russie est intervenue en Ukraine en 2014 et supporte le régime de Bachar Al-Assad contre les rebelles. L’Arabie Saoudite a fortement augmenté sa production, déprimant le prix du pétrole. Les Américains supportent les rebelles en Syrie contre Al-Assad et ont conclu un accord avec l’Iran qui fait encore plus diminuer le prix du pétrole en raison de l’augmentation de l’offre de pétrole qui en résulte. Est-il possible que les américains aient demandé aux saoudiens d’augmenter la production pour affaiblir les entrées de fonds de la Russie et tempérer les aredeurs de Vladimir Poutine?
Dans les années 1980s, durant le conflit Iran vs Iraq, le gouvernement américain a prêté main forte à Saddam Hussein malgré son utilisation criminelle du gaz sarin. La plupart de l’armement iraquien provenait de l’URSS, mais les soviétiques supportaient l’Iran dans cette guerre. En 1972, les actifs de l’Iraq Petroleum Company furent nationalisés.
Dans les années 1950s, le gouvernement du Koweit a octroyé une concession à l’entreprise de Geroges H.W. Bush (Zapata). En 1988, le Koweit a augmenté sa production en provenance de gisements situés dans une région réclamée par l’Irak. De plus, Saddam Hussein voulait avoir un meilleur accès au Golfe Persique. En 1990, il lança l’invasion du Koweit. Les américains craignaient alors que cela permettrait à Saddam de dicter la politique énergétique mondiale. Et comme les Bush en devait une au gouvernement du Koweit, les américains déclarèrent la guerre à l’Irak et repoussèrent l’invasion.
Donald Rumsfeld qui serre la main de Saddam:
En 2003, la production du Nigéria, du Venezuela et de l’Iraq diminua significativement, alors que celle de la Mer du Nord déclina de 5%. L’Arabie Saoudite ne fut pas en mesure de combler le manque à gagner, ce qui causa une forte hausse du prix. En 2004, durant la campagne présidentielle, John Kerry critiqua Georges W. Bush pour son incapacité à faire diminuer le prix du pétrole. Durant l’été 2004, pour aider leur candidat favori, les Saoudiens augmentèrent la production pour faire baisser le prix. Un prix plus bas à la pompe favorise toujours le candidat au pouvoir.
L’oléoduc Baku-Tbilisi-Ceyhan débute en Azerbaïdjan et se dirige vers la Turquie, de manière à approvisionner l’Europe sans avoir à traverser la Russie. Il entra en service en 2006, mais dès 2008, les Russes se mirent à intervenir dans la région en soutenant les mouvements d’indépendance en Ossétie du Sud. Les Russes allèrent même jusqu’à déplacer les jalons de la frontière de cette région de manière à inclure une portion du pipeline BTC!
Voici un excellent documentaire basé sur le livre:
https://www.youtube.com/watch?v=BgDm3TcBWb4
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