Cet article est une mise à jour sur l’économie mondiale et sur l’évolution récente des politiques monétaires des banques centrales des quatre coins du monde.
Les anticipations de croissance du PIB mondial sont clairement en baisse. De +3.3% en 2014, le FMI s’attend à une accélération à +3.5% en 2015, alors qu’il y a à peine 6 mois, cette même entité anticipait +4.0% de croissance.
Par ailleurs, le FMI semble trop optimiste. Le consensus des économistes de marché se situe plutôt autour de +2.8% pour 2015, soit 0.7% de moins. Si cette anticipation se réalise, 2015 sera l’année de plus faible croissance depuis la récession.
Si on observe des indicateurs plus simultanés que le PIB, comme par exemple les indices ISM/PMI, on constate une décélération au niveau de l’Europe, du Japon et de la Chine, alors que les États-Unis demeurent en position de croissance en accélération. On constate donc deux réalités économiques : celle des États-Unis dont l’économie s’améliore, et celle du reste du monde, dont l’économie de détériore.
Devant une telle dichotomie, les banques centrales des quatre coins de la planète ont décidé de tenter une autre fois de stimuler la croissance en créant de la monnaie.
- La Banque Centrale Européenne a annoncé en janvier dernier un problème d’assouplissement quantitatif (aka « QE ») et son taux directeur est déjà négatif.
- La Banque du Japon a indiqué qu’elle entendait accentuer son programme de QE déjà mis en place, devant le ralentissement économique auquel ce pays fait face malgré les fameux « Abenomics », dont la troisième flèche (i.e. les réformes structurelles) se fait toujours attendre.
- La Riksbank de Suède vient tout juste de diminuer son taux directeur à -0.1% et de lancer un programme de QE de SEK10 milliards.
- Les banques centrales du Canada et de l’Australie ont réduit leurs taux directeur, ces deux économies étant négativement affectées par la baisse des prix du pétrole et des métaux.
- Le Mexique aussi a vu son taux directeur abaissé ces derniers mois.
- La banque centrale chinoise a réduit son ratio de réserves requises, ce qui équivaut à injecter de la nouvelle monnaie dans l’économie. Cette dernière se doit d’y aller prudemment avec l’assouplissement monétaire si elle ne veut pas bousiller le rebalancement de son économie et si elle souhaite dégonfler sa bulle de crédit de manière ordonnée.
- Seule la banque brésilienne a augmenté son taux « selic » au cours des derniers mois, faisant face à d’importantes pressions inflationnistes. Ce pays très endetté est d’ailleurs aux prises avec une situation économique moribonde, tout comme l’autre membre du club des « BRICS », la Russie, qui fait face aux conséquences négatives des sanctions économiques et de la chute du prix du pétrole et dont l’économie est probablement déjà en récession.
- Finalement, la banque de Suisse a découplé sa devise de l’Euro, une politique qui était devenue insoutenable dans le contexte du QE de la BCE, mais a tout de même réduit son taux directeur, qui était déjà en territoire négatif.
Évidemment, dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de constater que le taux de change du dollar Américain s’est apprécié face à toutes les devises (le graphique ci-bas le montre face à un panier de devises).
Les économistes des banques centrales sont plutôt abasourdis devant cette situation. Comment se fait-il que malgré tout ce stimuli monétaire, la croissance ne soit pas au rendez-vous et soit même en ralentissement?
En fait, au cours des récentes décennies, les politiques monétaires de plusieurs pays ont été très expansionnistes, ce qui a eu comme effet de doper la croissance, mais aussi de faire augmenter l’endettement. Car il ne faut pas se leurrer : le mécanisme par lequel la création de monnaie stimule la croissance est en incitant à l’endettement. Et comme la dette doit éventuellement être repayée, il vient un moment où la croissance ralentit.
Ainsi, c’est peut-être ce point d’inflexion que nous avons atteint ces dernières années. Selon la firme BCA Research (ici), l’économie mondiale est dans « supercycle d’endettement » depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce cycle a été catalysé par l’utilisation accrue de la politique monétaire pour stabiliser et stimuler l’économie lors de récessions. Se faisant, les banques centrales ont été capables de freiner le sain désendettement qui accompagne généralement une récession et ainsi de relancer l’économie en relançant les emprunts.
Nous aurions donc atteint un point où, même en présence de taux d’intérêt négatifs, les emprunts ne sont pas stimulés car le fardeau de la dette existante est devenu trop lourd. En fait, nous avons peut-être entré une période durant laquelle une partie de cette dette sera remboursée, ce qui nuira évidemment à la croissance du PIB.
De leur côté, les gouvernements ont bien tenté de prendre le relais. Pendant que l’endettement « privé » stagne depuis la récession, les gouvernements se sont endettés massivement pour dépenser en vue de stimuler l’économie, sans succès. Maintenant que leurs niveaux de dépenses se normalisent, plus personne n’a la capacité de s’endetter pour maintenir l’économie à flots.
Selon un récent rapport du McKinsey Global Institute, l’endettement global a augmenté de $57 billions depuis 2007, soit un rythme de +5.3% par année. Cela se compare à +7.3% entre 2000 et 2007, une période que je qualifie de bulle de crédit.
Prenez par exemple la Zone Euro, où les taux d’intérêt sont présentement négatifs. Comment voulez-vous que la politique monétaire stimule l’endettement dans un contexte où l’endettement général est déjà si élevé? En ce sens, le QE de la BCE n’aura que très peu d’impact sur la croissance.
Dans un autre ordre d’idées, certains pays européens ont adopté des réformes structurelles qui commencent à porter fruit, surtout au niveau de la flexibilité du marché du travail. On comprend pourquoi l’Allemagne, l’Espagne et l’Irlande font relativement bien, tout comme le Royaume-Uni et les États-Unis où la flexibilité du marché du travail est très élevée. Ces réformes sont bien plus saines pour l’économie qu’un taux d’intérêt négatif ou un programme de QE…Malheureusement elles sont politiquement plus difficiles à accomplir…
Conclusion
Les économistes keynesiens qualifieraient la situation actuelle de « trappe à liquidités ». De mon côté, je considère que c’est plutôt le piège de l’endettement. Le problème avec cet endettement est qu’il n’a pas mené qu’à des investissements profitables. Beaucoup de capital a été gaspillé. Et quand la banque centrale intervient, le processus de nettoyage de ces mauvais investissements est freiné. Les banques ne subissent pas les pertes et les emprunts ne sont pas radiés. On se retrouve donc à graduellement « zombifier » l’économie au fil des cycles économiques. La politique monétaire engendre de violents cycles économiques, auxquels on tente de se soustraire…par cette même politique monétaire! Avons-nous atteint la limite de ce cercle vicieux?
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https://minarchiste.wordpress.com/2010/03/26/lat-trappe-a-liquidite-2/
https://minarchiste.wordpress.com/2010/10/14/la-guerre-des-devises/
https://minarchiste.wordpress.com/2013/01/31/la-guerre-des-devises-sintensifie/
http://www.mckinsey.com/insights/economic_studies/debt_and_not_much_deleveraging
A propos de l’€uro et d’un retour au « franc », un tout petit peu hors sujet, si peu . . .
L’€uro n’est qu’une monnaie ! (voir la désastreuse histoire de toutes les monnaies de tous les pays à travers tous les siècles). Qui dit que le « franc » n° 17 ou 18 sera meilleur que l’€uro ? c’est plus que douteux ! Cette histoire est un hochet pour immatures !
Les états qui sont garants de la monnaie européenne constituent la plus grande force financière que la planète n’ait jamais eu de toute son histoire.
Et la petite France par un coup de baguette magique serait tout à coup honnête-courageuse-travailleuse et garantirait à sa nouvelle monnaie de ne jamais spolier son peuple? C’est une plaisanterie au même titre que le supra-national €uro qui n’est pas responsable de la veulerie, des lâchetés, des escroqueries et dissimulations, des vols et des faux en écritures de TOUTES LES BANQUES, pourquoi la France deviendrait par un coup de baguette magique le parangon de vertu, le phénix des argentiers et autre modèle d’excellence ?
Je ne livre pas toute ma pensée du fait que certains aspects de cette question ne peuvent par essence être débattus en place publique, une monnaie participant ipso facto à la guerre économique qui reste obligatoirement secrète quant à sa stratégie à cours, moyen et long terme.
Tout se résume comme toujours dans le mot confiance . . . mais chacun sait que le pouvoir corrompt .
nb. le dessin « FEDERAL RESERVE / CHINA / EURO PRINT PRESS » est effectivement un concentré d’idioties qui « oublie » que la planche à billet US fonctionne depuis tellement bien plus longtemps que l’européenne . . . quant à la Chine avec ses esclaves-travailleurs payés sur la base du bol de riz, il est normal que ses réserves/dollars soient sur-abondantes.
Avec des taux d’intérêts négatifs, pourquoi je n’emprunte pas 500 millions de milliards de trillions de … de dollars et me faire payer 0.5% pour mon emprunt? Mon seul risque est de vendre dès que les taux d’intérêts redeviennent positifs, et d’ici ce temps je me fait payer pour avoir une dette.
@Anne-Marie Provost
« Mon seul risque est de vendre dès que les taux d’intérêts redeviennent positifs »
Si vous empruntez dans une autre devise, vous risquez que cette devise s’apprécie.
S’il y a de la déflation, la valeur réelle de votre dette augmentera.
Finalement, les seuls emprunteurs qui ont accès aux taux négatifs sont ceux qui ont les meilleures cotes de crédit (gouvernements, grandes entreprises), donc peu ou pas de prime de risque. Bien peu d’entités se qualifient.
L’exemple de la société Suisse Nestlé remplit ces trois conditions: emprunt en Euros, où il y a de la déflation de la part d’une entreprise bien cotée.
http://www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/wp/2015/02/04/this-is-freaking-nuts-nestle-is-getting-paid-to-borrow-money/
Il existe une différence idéologique fondamentale dans la « droite » économique alignée sur les principes d’économie classique: les néolibéraux sont en faveur des monnaies fiduciaires de cours légal, les libertariens sont en opposition à forcer l’usage d’une monnaie. C’est d’ailleurs sur ce point précis que les frères Koch et Murray Rothbard sont entrés en conflit à l’institut Cato.
Le système des monnaies fiduciaires à cours légal constitue un renversement intrinsèque de tous les principes de l’économie classique. Le problème est subtil mais fondamental et on dirait que peu de gens en saisissent l’ampleur.
À l’échelle de la classe moyenne, on a l’impression de vivre dans un libre-marché. Mais à l’échelle des hautes sphères financières et politiques, les lois de l’économie classique ne s’appliquent plus: on entre dans la relativité.
La toute première liberté économique avant même qu’un échange consensuel ait lieu, c’est de choisir sur le marché contre quoi exactement est-ce qu’on fait l’échange. Ceci implique de pouvoir accepter ou refuser une monnaie, qui est aussi un bien. Avec une monnaie fiduciaire de cours légal, vous êtes forcé d’accepter tel billet de banque, vous n’avez que la liberté de négocier le nombre de ce billet de banque. En forçant l’usage d’une monnaie-confiance et en éliminant la toute première liberté, celle de choisir la monnaie, le marché et toute l’économie trouve son équilibre dans l’irrationnel.
Si on observe la politique internationale sous cet angle, celà explique bien des choses. Avec une monnaie dont la valeur dépend de l’offre et de la demande, il suffit de « créer de la demande » pour maintenir la valeur de la monnaie, peu importe la dette. On aboutit à des décisions ultimement antiéconomiques, mais viables sur le plan strictement financier, comme déclencher des guerres ou pratiquer de l’espionnage. On dépense de l’énergie, détruit des ressources, créons des tensions sociales pour perpétrer un système qui autrement devrait naturellement s’effondrer.
Pourquoi le remboursement de dette nuit à la croissance économique ? Il me semble que c’est logique que celui qui rembourse diminue son niveau de vie, mais pour le créancier, c’est du capital de plus qui lui revient. Globalement, on fait juste passer de A -> B et ensuite de B -> A … pourquoi le premier serait bénéfique pour l’économie, mais pas le deuxième ?
@etagrats
Premièrement, quand je parle de nuire à la « croissance économique », je fais référence au PIB, qui n’est pas nécessairement une mesure convenable de croissance économique.
Deuxièmement, dans le système actuel, le remboursement de dette nuit au PIB puisqu’il mène à la destruction de monnaie.
Quand on sait qu’une banque aura souvent un levier de 30x sur son capital, pour $100,000 de remboursement de dette, la banque ne retrouvera que $3000 de capital, alors qu’une bien plus grande quantité de monnaie sortira de l’économie.
Par ailleurs, pour rembourser la dette, l’emprunteur devra réduire sa consommation et/ou ses investissements, ce qui nuit définitivement au PIB (sans pour autant dire que cela soit malsain.
Super merci pour l’explication. Sinon avez-vous une idée pourquoi les américains ont une perspective économique plutôt bonne versus le reste de la planète ?
@etagrats
« avez-vous une idée pourquoi les américains ont une perspective économique plutôt bonne versus le reste de la planète ? »
1. Marché du travail flexible et fluide.
2. Finances gouvernementales relativement en contrôle (plus d’austérité).
3. Démographie favorable.
4. Diminution de l’endettement entre 2008 et 2012 (sois par remboursement, sois pas radiation).
5. Révolution énergétique.
Les économies européennes ont besoin de réformes structurelles, d’une réduction de la taille de l’État et de laisser les banques prendre leurs pertes sur prêts (radier) tout en laissant le temps aux ménages et entreprises de refinancer, restructurer et/ou simplement rembourser leurs dettes. Pour la démographie, le Japon et l’Europe ne peuvent pas y faire grand-chose malheureusement, mais cela n’affecte que le PIB total, pas le PIB per capita, donc ce n’est pas un problème (sauf pour les keynesiens).
Pour l’énergie, l’Europe et le Japon pourrait renverser les politiques stupides qui ont été mises en place ces dernières années, que ce soit en réaction à Fukushima, ou encore pour contrer les changements climatiques. Ces politiques ont grandement nuit à l’économie à un moment bien peu propice.
Serait intéressant d’avoir vos commentaires sur ce vidéo : http://www.businessinsider.com/krugman-saltwater-freshwater-economists-keynes-2014-12#ooid=pqeHlycTpl2gJg8FiJqfGbIYvT-ZWYVg
Je pense que Krugman se trompe. Il ne fait pas la différence entre la bonne austérité (réduire les dépenses bureaucratiques, privatiser les entreprises publiques et introduire des réformes structurelles) et la mauvaise austérité (hausser les taxes tout en coupant les transferts sociaux et les services essentiels à la population).
Bien sûr que le UK a pu relaxé l’austérité suite à ce que leur économie s’améliore. Ils demeurent plus austères que les autres et leur économie fait mieux, ce qui contredit ce que Krugman prescrit depuis si longtemps. L’Espagne est aussi en train de devenir embarassant pour les keynésiens.