« Une menace pernicieuse », commentait le magazine The Economist dans son édition du 25 octobre dernier (ici), en parlant de la déflation qui semble imminente dans certaines régions du monde. Le graphique 1 ci-bas montre que la plupart des pays affichent présentement un taux d’inflation inférieur à la fourchette cible de leur banque centrale. En Suède et en Israël, le territoire déflationniste a déjà été atteint, si bien que Riksbank a réduit son taux directeur à 0% le 28 octobre (ici).
La peur bleue qu’ont les économistes « mainstream » de la déflation est incompréhensible pour le commun des mortels. Comment une augmentation du pouvoir d’achat occasionnée par une baisse des prix peut-elle être mauvaise? Ces économistes avancent plusieurs explications, que nous allons explorer plus en détails.
La première explication anti-déflation est que quand les prix se mettent à baisser, les consommateurs retardent leurs achats en anticipation de baisses de prix encore plus prononcées dans le futur. Je ne pense pas que cette explication soit valide. Si vous avez besoin d’un nouveau four à micro-ondes parce que le vôtre vient de rendre l’âme (c’est mon cas en ce moment), vous faîtes les magasins et tentez de trouver le meilleur rapport qualité/prix dans la gamme qui correspond à vos besoins. Si, par chance, le prix moyen des fours à micro-ondes a baissé de 3% par rapport à l’an dernier, vous n’allez pas retarder votre achat d’un an en espérant que le prix aura baissé d’un autre 3% l’an prochain…et ainsi de suite. Vous allez acheter ce four, coûte que coûte! Et l’économie de 3% servira peut-être à acheter autre chose.
Ceci dit, on observe quand même souvent une baisse de consommation en période de déflation, non pas pour la raison susmentionnée, mais bien parce que le taux de chômage aura possiblement augmenté. La déflation peut être négative pour l’emploi à court terme en raison de la résistance à la baisse des salaires. Il est très difficile de réduire les salaires des gens quand la conjoncture est défavorable, surtout s’ils sont syndiqués et conditionnés à faire face à une inflation qui est généralement positive. Suite à la déflation, les revenus des entreprises baissent. Pour réduire leurs coûts et préserver leur rentabilité, elles doivent conséquemment mettre des gens à la porte. Cette hausse du chômage vient alors miner la consommation. L’investissement peut aussi être affecté si la consommation diminue.
En fait, l’une des raisons pour lesquelles la Grande Dépression est devenue « grande » est que le gouvernement en place a instauré des planchers salariaux et même des hausses de salaires obligatoires. Maximiser la flexibilité du marché du travail est un bon moyen de se prémunir contre les conséquences possiblement néfastes de la déflation.
Le 19 novembre dernier, j’ai assisté au souper avec Ben Bernanke organisé par CFA Montréal. Le Dr Bernanke y a lancé une autre explication concernant la déflation: ce qui compte n’est pas tant la masse monétaire, mais plutôt les anticipations d’inflation. Il indiquait que lorsqu’un entrepreneur pense que l’inflation sera faible, il devient moins enclin à augmenter ses prix et à hausser les salaires de ses employés. Ce serait de cette manière que le « cercle vicieux » de la déflation s’intalle.
Je n’en crois rien. Les commerçants fixent leurs prix en fonction de leurs coûts et de l’équilibre entre l’offre et la demande. Ils n’ont pas vraiment d’anticipations quant à l’inflation future. Ils se contentent plutôt de maximiser leurs profits. C’est aussi avec cet objectif en tête qu’ils vont offrir des salaires en fonction du marché du travail, qui leur permettent de garder leurs bons employés tout en maintenant une marge de profit acceptable. Leur plan d’affaire n’est pas dérivé d’une quelconque prévision quant à l’IPC à venir…
Bonne déflation vs mauvaise déflation…
Selon The Economist, il y a des périodes durant lesquelles la déflation est perçue comme étant une bonne chose. Aux États-Unis, entre 1873 et 1896, les prix ont été en baisse alors que le PIB a cru de 2% à 3% par année en moyenne. Cette déflation résultait de gain de productivité et d’innovations technologiques qui ont fait baisser les coûts de production. En revanche, on nous dit que la « mauvaise déflation » résulte d’une demande qui est constamment sous la capacité de production de l’économie. Cela n’est pas faux, mais très incomplet…
Ce que les économistes oublient souvent est que les périodes de « mauvaise » déflation sont souvent précédées de périodes durant lesquelles l’endettement augmente considérablement. Ces boums de crédit sont souvent accompagnés de forte création monétaire par la banque centrale, permettant de maintenir les taux d’intérêt à des niveaux trop bas. Ainsi, lorsque pour une raison ou une autre les dettes en viennent à être remboursées, la vélocité de la monnaie diminue et cela met une pression à la baisse sur les prix. C’est ce qui se produit présentement en Europe, où l’endettement a explosé entre 2002 et 2011.
Vue de cette manière, la déflation n’est en fait qu’un processus de correction : les prix et la consommation ont trop augmenté, maintenant que les gens remboursent leurs dettes, la consommation et les prix se réajustent à la baisse. Maintenant, il y a lieu de se demander ce qu’il risque d’arriver si les banques centrales tentent de renverser ce processus de correction. Ce que les banques centrales font pour contrer la déflation est de créer de la monnaie pour tenter de raviver l’endettement. Mais pourquoi les gens en viendraient-ils à se réendetter pour consommer à ce moment-ci, alors que le chômage est élevé, que les taxes augmentent et que la population vieillit?
Par ailleurs, quand la banque centrale fait baisser les taux d’intérêt pour tenter de stimuler l’économie et d’éviter la déflation, cela peut engendrer des bulles spéculatives dans les prix des actifs (bourse, immobilier, etc…voir ceci). On se retrouve donc avec une économie à deux vitesses : d’une part la création de monnaie stimule un boum de crédit stimulant les prix des actifs, alors que d’autre part, la vélocité de la monnaie demeure faible dans les autres secteurs de l’économie, ce qui laisse la consommation moribonde et des prix stagnant. C’est comme si ces bulles agissaient telles un trou noir à monnaie.
L’autre élément à ne pas oublier est que la faiblesse actuelle de l’inflation s’explique en partie en raison de la baisse du prix du pétrole (voir ceci). Est-ce de la bonne ou de la mauvaise déflation?
L’hélicoptère à monnaie et les infrastructures
Selon la plupart des économistes (dont ceux du FMI), la solution au problème consiste à investir dans les infrastructures publiques (par exemple ici). La recette veut que le gouvernement s’endette pour bâtir des infrastructures, ce qui injecte de la nouvelle monnaie dans l’économie et permet de mettre au travail l’excès de capacité de l’économie.
Le premier problème avec cette approche est que les gouvernements sont actuellements très endettés et déjà en déficit fiscal. Le second problème est que l’excès de capacité de production de l’économie ne se trouve pas nécessairement dans le secteur de la construction d’infrastructures. On crée alors une mini-bulle dans un secteur en particulier, qui sera une source de problèmes plus tard, lorsque la manne aura passé. Puis, ces investissements n’ajoutent rien ou peu à la capacité productive de l’économie (ils ne créent donc que peu de richesse), surtout si on présume que ces infrastructures étaient encore viables pour un certain nombre d’années avant de vraiment avoir à être remplacées.
Bref, je ne vois pas en quoi gaspiller du capital et des ressources pour générer de l’inflation puisse être bon pour les gens.
L’exemple de la Suède
Tel que mentionné précédemment, la Suède est présentement en déflation. Cette économie, qui ne fait pas partie de la zone Euro, est loin d’être la pire du continent européen. Ceci dit, l’endettement des ménages y est à un niveau record (175%). Les ménages ayant une hypothèque ont des dettes totalisant quatre fois leur revenu disponible en moyenne! Le marché immobilier Suédois est clairement en situation de bulle; selon les calculs de The Economist, les maisons suédoises sont 34% surévaluées comparativement aux loyers et 19% relativement aux revenus (versus la moyenne historique).
Selon certains économistes, la Riksbank a augmenté son taux directeur trop rapidement, ce qui a miné la reprise écomique et causé la déflation. Selon eux, le PIB est 1% sous son potentiel et le taux de chômage demeure plus élevé que le niveau que l’on pourrait définir comme indiquant le plein-emploi (7.2%).
En fait, ce que l’exemple suédois démontre est que la politique monétaire stimulative de la banque centrale n’a réussi qu’à diriger la monnaie/dette vers l’immobilier, tandis que le reste de l’économie demeure au ralenti. Tout ce que cette politique a réussi à accomplir est d’engendrer un immense débalancement économique, tout en retardant le processus d’ajustement et de nettoyage que devraient normalement constituer une récession et sa reprise.
Que dire du Japon?
Le Japon est un autre pays qui laisse de nombreux économistes pantois d’incompréhension. Durant la majeure partie des 25 dernières années, l’économie a été en déflation et pourtant les choses ne semblent pas aller si mal.
Suite à l’Accord du Plaza de 1985, beaucoup d’investissements étrangers ont été effectués au Japon ce qui a fait en sorte que le yen s’est fortement apprécié. En réponse à cette situation, la banque centrale japonaise a adopté une politique monétaire plus inflationniste de façon à engendrer une dépréciation du yen. La masse monétaire a augmenté de 10.5% par année entre 1986 et 1990.
Ainsi, durant les années qui ont suivi, la banque centrale japonaise a généré une croissance très élevée de la masse monétaire du pays, mettant de la pression à la baisse sur les taux d’intérêt et stimulant l’endettement. Cette dette abordable a financé l’expansion d’une immense bulle spéculative qui a gonflé les prix de la bourse de Tokyo ainsi que de l’immobilier japonais. Lorsque la banque centrale a remonté sa cible de taux d’intérêt à la hausse pour contrer la progression de l’inflation, la bulle a dégonflé et l’économie est tombée dans une sévère récession. Les gens ont cessé de dépenser et investir et se sont mis à rembourser leurs dettes; ce qui est la bonne chose à faire dans une telle situation.
Devant cette situation, le Japon a tenté par tous les moyens de stimuler son économie (à la Keynes). Ils ont maintenu les taux d’intérêt à 0% en créant des milliards de yens et ont engendré d’importants déficits gouvernementaux pour financer des dépenses visant à stimuler l’économie. De 1992 à 2000, le gouvernement japonais a mis en place 10 plans de relance économique totalisant plus de 100 billions de yens. Le déficit budgétaire du gouvernement a augmenté à 4.3% en 1996 et à 10% en 1998. Cette année là, le taux d’endettement du gouvernement a atteint 100% du PIB.
En bref, ils ont appliqué la recette de Keynes. Les Japonais ont refusé de laisser la récession « guérir » leur économie. Ils se sont donc retrouvées avec des entreprises moroses et des banques « zombies ». Les mauvaises entreprises étant sauvées par l’État, elles sont demeurées en opération, créant un climat économique peu propice à l’entreprenariat, à l’innovation et à la croissance. Par ailleurs, entreprises étaient tellement endettées qu’elles n’avaient pas d’argent pour investir dans leur capital productif.
En fait, le Japon est passé à travers d’une immense bulle de crédit gonflée par la banque centrale, qui a engendré une énorme distorsion dans la structure de son économie. L’intervention gouvernementale subséquente a énormément ralenti (voire supprimé) le processus d’ajustement nécessaire à corriger cette distorsion. Finalement, le vieillissement de la population du Japon a amplifié le problème.
Ceci dit, ces décennies perdues n’ont pas été une catastrophe pour le pays. Malgré la déflation, le PIB réel par habitant du pays a cru au cours des 25 dernières années. Est-ce que le Japon offre un bon contre-exemple aux économistes anti-déflation? Je pense que c’est le cas dans une certaine mesure.
Voir ceci pour mon article précédent sur le Japon.
Conclusion
En somme, vous aurez compris que la déflation n’est pas vraiment une menace si pernicieuse pour la population des pays touchés, surtout pour ceux dont le marché du travail est plus flexible. Ceci dit, il y a une chose pour laquelle la déflation est définitivement mauvaise : la bourse! Vous comprendrez alors pourquoi la déflation semble tant effrayer les banques centrales et leurs maîtres de Wall Street. À cet égard, voir mon article sur la bourse souffre de l’inflation (vour n’aurez qu’à invserver le mécanisme).
J’ai juste un problème avec cette théorie qui semble avoir quelques paradoxes. La BoJ aurait créé une bulle en 1986, qui a éclatée en 1992-1995. La déflation est ensuite arrivée puisqu’il y a eu remboursement de dettes. Jusqu’ici ça va. Mais pourquoi la déflation se maintient autant ? En se fiant au taux de change USDJPY, on dirait que depuis 1998, la BoJ imprime moins vite que la FED (le dollars US s’est affaibli d’année en année jusqu’aux Abenomics). Donc ça ferait du sens. Mais j’ai lu un peu partout que le Japon continuait le laxisme monétaire dans les années 2000 (ce qui expliquerait la continuité dans la croissance de la dette japonaise), donc comment il se fait que de 1999 à 2006, le Japon a traversé une période de déflation aussi longue ? Et si le Japon a bel et bien été plus austère que laxiste durant cette période (ce qui expliquerait la déflation), pourquoi le Japon ne va toujours pas mieux ?
Et ce graphique serait peut-être un peu mieux pour représenter les décennies (et surtout la décennie) perdues du Japon : http://i.imgur.com/xXWPV3z.png .
« Le 19 novembre dernier, j’ai assisté au souper avec Ben Bernanke organisé par CFA Montréal. »
Ah, ça par exemple… Si vous avez rencontré Ben Bernanke en personne, c’est l’évidence même que vous n’êtes pas quelqu’un d’ordinaire.
À ce propos, vous pourriez être intéressé par ceci :
http://andolfatto.blogspot.com/2014/09/whos-afraid-of-deflation.html
En particulier, je recommande la lecture de ce document : « Less than Zero: The Case for a Falling Price Level in a Growing Economy« . Il s’agit probablement de la meilleure défense de la déflation que je connaisse.
Enfin, pour ceux intéressés par le sujet des boom-bust cycles, voici un article qui traite du sujet (voir notamment les études n°11 et n°12 qui parlent de la Nouvelle-Zélande et de l’Islande) :
http://menghublog.wordpress.com/2014/09/01/other-empirical-studies-on-the-abct/
@ etagrats :
Je pense que l’article ci-dessous peut apporter des éléments de réponse à votre question.
http://marketmonetarist.com/2012/01/07/did-japan-have-a-productivity-norm/
Celui-ci est intéressant également, pour ceux (comme l’auteur du blog marketmonetarist) qui penseraient que la sortie de dépression du Japon des années 1990s est due au QE :
http://jpkoning.blogspot.kr/2012/01/japan-productivity-norm-and-deflation.html
@MH
Je n’utiliserais pas l’expression « en personne » considérant qu’il y avait 1,100 personnes dans la salle…
Bonjour, je lis toujours vos analyses avec un grand intérêt et cet article ne fait pas exception à la règle.
Je lis également Charles Gave que j’apprécie beaucoup et qui parle souvent de la monnaie.
Et en règle générale je me passionne pour les nouvelles formes de monnaies et en particulier les monnaies et systèmes de paiement décentralisés, dont Bitcoin est la forme la plus connue.
Ce qui m’amène à me poser tout un tas de questions existentielles et je serai vraiment ravi d’avoir votre avis sur le sujet.
J’apprécie beaucoup Milton Friedman, qui m’a permis de découvrir et d’apprécier le libéralisme, mais il y a un paradoxe chez les monétaristes que je n’arrive pas à saisir. Je le résumerai ainsi :
» Free to Choose » d’accord, mais pas la monnaie!
Et je vous avoue que personnellement ne pas avoir le droit de choisir et d’utiliser librement la monnaie qui me semble la plus appropriée à mes besoins, la mieux gérée etc ainsi que par opposition ne pas avoir le droit non plus de refuser toutes les monnaies qui ne me conviennent pas, et bien ces interdictions qui me sont faites, avec me semble-t-il l’approbation de Milton, j’ai beaucoup de mal à les comprendre! Et je peux vous certifier que je les vis très mal.
Je serai très curieux d’avoir une explication de pourquoi ces interdictions me sont faîtes, je ne peux pas croire que le grand Milton, cet amoureux de la liberté, n’ai pas eu quelques raisons.
De mon côté je me suis permis une petite réflexion personnelle sur la monnaie, réflexion influencée par mes positions libérales bien entendu ainsi que par le monde des monnaies décentralisées que j’aime beaucoup; monde dans lequel le modèle de distribution de la monnaie est toujours attentivement étudié et peut être qualifié de juste, ou d’injuste. Ce qui faute de prédire le succès futur ou l’échec d’une monnaie décentralisée permet déjà de différencier les projets légitimes des sombres arnaques.
Cette réflexion je vous la livre dans un autre commentaire que peut être vous aurez la patience de lire et qui sait de commenter, car n’en doutez pas votre avis m’intéresse au plus haut point.
Dans tous les cas merci pour votre blog et vos articles, ils sont formidables
Prenons un exemple industriel: Quand on definit le business plan d’un nouveau produit electronique grand public, il est tout a fait normal qu’on prevoit une decroissance des prix des composants lors du lancement. Dans la High Tech (=la ou il y a de l’Innovation) en effet les prix baissent assez rapidement une fois que la technologie se repande et que la concurrence s’installe. C’est tout a fait normal, et ce n’est pas une raison d’avoir peur.
Depuis que je me passionne pour les systèmes de paiement et les monnaies alternatives et plus précisément les systèmes décentralisés, j’ai eu cette révélation :
Dans le fond, la quantité de monnaie créée importe peu, c’est la façon dont elle est distribuée qui compte :
Avant de me rire au nez et de ragequit : laissez moi reformuler et adoucir un peu cette audacieuse affirmation.
Si bien sûr que quantifier la masse monétaire avec des agrégats, étudier leurs évolutions etc, a son intérêt, en tout cas certaines personnes sont payées pour le faire, alors ça a au moins un intérêt pour eux.
Evidemment que la valeur d’une monnaie dont la quantité en circulation double chaque année, sera affectée, quand ? dans quelle proportion ? impossible à dire vu que la valeur sera également influencée par d’autres facteurs, mais là n’est pas le sujet.
Ce que je cherche à exprimer c’est qu’à force de scruter les variations des agrégats monétaires afin d’essayer d’anticiper l’évolution de l’indice des prix et vice versa, on passe à côté de l’essentiel car tout ceci ne nous apprend rien quand à l’équité du système !
C’est la façon dont est distribuée la monnaie créée qui nous renseigne à ce propos.
Qui peut créer la monnaie ? Pourquoi, selon quelles modalités ? Comment-est-elle distribuée ? qui bénéficie en premier de la monnaie créée ? pourquoi? C’est tout cela qui détermine si un système monétaire est équitable ou non. Ne pas se préoccuper du modèle de distribution, c’est ne pas se préoccuper de justice. Et tristement, il me semble qu’on s’en préoccupe bien peu.
– » Tiens cette année on a envoyé 1 millions de gens en prison »
– » des innocents ? des criminels ? »
– » Mmh… aucune idée…mais ce dont je suis sûr c’est qu’ils étaient 1 millions »
Je m’explique :
Comme tout libéral qui se respecte, je suis très attaché au respect des droits de propriété légitimement acquis, c’est la base me direz vous. Or qu’est ce que la création monétaire, décrétée autoritairement par une poignée d’individus au bénéfice d’une poignée de privilégiés si ce n’est un gigantesque transfert arbitraire de droits de propriété, (au bénéfice des premiers qui ont accès à la nouvelle monnaie et au détriment des derniers qui y auront accès).
Peut-être suis-je un peu abrupt, alors je me permet une illustration:
Admettons que la quantité totale de monnaie soit doublée ou augmentée de 10%, des milliards d’euros créés, et que cela soit fait en doublant ou en augmentant de 10% les avoirs monétaires de chaque citoyens, cela n’aurait aucune incidence sur la capacité de chacun à acquérir les biens d’autrui, il n’y a dans ce cas aucun transfert de propriété, pourtant la quantité totale de monnaie a été doublée ou augmentée de 10%.
Formulé autrement, selon cette distribution de l’argent créé, quelqu’un qui grâce à ses liquidités initiales pouvait acquérir 1% des biens et services existants (les biens d’autrui!), peut toujours, après augmentation de la quantité totale de monnaie, qu’elle ait doublé ou qu’elle ait été de 10%, acquérir la même proportion des biens d’autrui à savoir 1%. Il n’y a pas de transfert de propriété et cela quelque soit la quantité de monnaie créée. Cela tient à la façon dont cette nouvelle monnaie a été distribuée, +10% ou +100% pour tout le monde.
Maintenant si on choisit un autre mode de distribution pour un même montant de monnaie créée : on veut toujours doubler ou augmenter de 10% la quantité totale de monnaie, mais cette fois en distribuant la nouvelle émission à une seule personne (ou seulement quelques privilégiés). Dans ce cas on assiste à un gigantesque transfert de propriété au bénéfice de cette personne et au détriment de tous les autres qui très certainement n’ont pas eu leur mot à dire. Car contrairement à l’échange libre qui permet la spécialisation, accroît la quantité de biens et services produits et bénéficie à tout le monde, la production monétaire en revanche est indépendante de la quantité de biens et services en circulation, s’il suffisait de multiplier les billets de banque pour multiplier les maisons, les habits et la nourriture, ça se saurait depuis longtemps (ce qu’expliquait déjà fort bien Bastia dans « Maudit argent »).
Ainsi la personne privilégiée qui a reçu l’argent nouveau a vu la proportion de ses avoirs monétaires augmenter relativement aux autres qui n’ont rien reçu alors même que la quantité de biens et services disponibles n’a pas changé. Elle peut désormais réclamer grâce à son argent frais une proportion plus importante des biens et services en circulation produits par autrui.
Ponction qui fatalement se fait au détriment de ceux mis à l’écart de cet apport d’argent, car leur situation est inverse à celle du privilégié, la quantité de richesses produites n’a pas changé, et la proportion qu’ils peuvent en retirer a diminuée depuis la nouvelle injection d’argent dont ils n’ont pas bénéficié, pas les premiers en tout cas.
Au final avec ce modèle de distribution, le ou les privilégiés ont bénéficié d’un transfert de propriété de la part de ceux qui n’ont pas eu accès à l’argent créé en même temps qu’eux.
Si je me suis permis cette longue et douloureuse illustration, c’est dans l’unique but de montrer que pour une même quantité d’argent créée un système peut être juste ou injuste en fonction du modèle de distribution choisi, et que par conséquent la façon dont est distribué l’argent créé doit retenir toute notre l’attention.
Et quand on regarde le système actuel (étant Français, je me focalise sur la BCE), que l’on voit que c’est le directoire de la BCE, parterre de gens non élus qui décident de la politique monétaire européenne, qui ont le pouvoir de créer des milliards et de les distribuer à qui bon leur semble selon les modalités qu’ils auront choisi (des obligations grecques? parfait voilà des euros). Que l’on voit que la création monétaire est de part la loi un monopole bancaire dont le citoyen est captif, qu’il est interdit de créer une monnaie (article 442-4 du Code pénal), de refuser la monnaie étatique (article R642-3 du Code pénal) etc.
Comment ne pas être choqué ?
La création monétaire est un privilège, ce n’est pas un acte neutre (même si c’est théoriquement possible), ou gagnant gagnant comme l’échange, cela permet de concéder un avantage à certains, au dépends des autres. Je n’ai pas du tout envie que des gens que je n’ai jamais choisi, à qui je ne fais aucunement confiance aient un tel pouvoir sur mon argent, qui je le rappelle représente les fruits de mon travail (ou celui de mes parents) que je n’ai pas encore échangé.
C’est aussi pour cela que je n’aime pas le système de réserve fractionnaire, (que je ne confond pas avec le prêt) fusse-t-il d’un ratio de 8, de 12 fois les fonds propres, ou pire encore de 85 fois les fonds propres comme c’est le cas en ce moment pour la société générale.
à qui va être distribué la nouvelle monnaie bancaire créée par écriture comptable si ce n’est à des gens qui peuvent emprunter ? Qui peut le plus emprunter, donc bénéficier le plus de la création monétaire si ce n’est ceux qui sont déjà à la base les mieux lotis ? Qui sera exclu ? Pourquoi les banques bénéficient-elle de ce monopole de création monétaire ?
Mais ce qui me surprend le plus dans tous ça, c’est qu’à part les économistes autrichiens et les libertariens que je salue au passage, personne ne semble s’émouvoir outre mesure de cette situation. Le cours légal et forcé d’une monnaie fiat imposée par une banque centrale, ni le monopole bancaire de l’émission monétaire ne semble déranger personne, en tout cas pas les gens biens.
La monnaie est un bien commun mon bon monsieur, l’état doit la gérer, c’est comme ça.
Que le bilan historique des banques centrales et des monnaies fiat en général ai été désastreux n’y change rien.
Soit; qu’un coco, la main sur le cœur, droit dans les yeux me soutienne une telle ineptie, je peux encore le comprendre, je les ai rarement vu frapper à la porte et s’essuyer les pieds avant d’entrer, s’emmerder avec la propriété d’autrui c’est par leur truc.
Mais que certains libéraux, pour lesquels j’ai de la sympathie, doute de la capacité des individus à choisir librement une monnaie bien gérée plutôt qu’une mauvaise, voilà qui m’attriste (et m’interpelle, me suis je égaré?).
D’autant que ma requête ne me semble pas insensée :
Je ne réclame pas l’anarchie, je ne nie pas que l’état doive avoir un rôle, condamner les faux monnayeurs, faire respecter les contrats, condamner les escroqueries etc, ce qui entre parfaitement dans sa fonction très classique de faire appliquer la justice, fonction que j’approuve.
Je ne réclame pas non plus une révolution et je ne m’oppose pas à ce que l’état ou une banque centrale propose et gère une monnaie. Que la fête continue, qu’elle dure longtemps, qu’elle soit heureuse si possible (même si j’en doute) et que tous ceux à qui elle plait puissent y participer si tel est leur choix.
En revanche je refuse d’y participer contre mon grès, je suis très hostile et choqué par le monopole de l’émission monétaire accordé aux banques qui interdit à quiconque de proposer une alternative.
Je suis fermement opposé au cours légal et forcé qui prive le citoyen de son libre arbitre et le laisse captif de la gestion étatique de la monnaie.
Lorsque le cours légal et forcé d’une monnaie est imposé, qui peut se protéger d’une mauvaise gestion monétaire si ce n’est ceux qui ont les moyens de placer leur argent à l’abris, d’investir dans de l’immobilier de qualité, dans des actions d’entreprises étrangères etc ? et qui ne le peut pas ?
Allez faire un tour en Argentine, ou au Venezuela en ce moment, ouvrez un livre d’histoire.
Pour conclure ce post déjà bien trop long, je résumerai ma pensée en citant Montesquieu : « pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Appliqué à la monnaie, il me semble qu’en dehors ou en complément des solutions classiques qui visent à limiter le pouvoir des émetteurs par le recours à des supports monétaires naturellement rares, (métaux précieux évidement), il est également urgent de repenser le rôle des citoyens, non pas en sujets captifs d’un système et d’une monnaie imposée, mais en tant qu’arbitres du système. Donner enfin le droit aux citoyens de choisir parmi des monnaies en concurrence celle qu’ils jugent la mieux gérée, la mieux adaptée à leur besoins et leur permettre par ce biais de constituer un contre-pouvoir et de rester maître de leur argent.
Et par pitié qu’on cesse d’étouffer la prise de risque, l’expérimentation, l’innovation, car c’est très probablement de là qu’émergerons les solutions.
Je pense notamment au protocole Bitcoin qui permet une gestion et un contrôle communautaire à grand échelle de la monnaie.
Alors je vous le demande suis-je un libertarien égaré ? Un utopiste ? Personnellement je ne le pense pas bien entendu, mais je serai curieux d’avoir votre avis.
@Jacques Bonjomme
Mon avis?
Hélas, nous sommes dans le même bateau!
Vous avez fait vos devoirs, c’est très bien.
Maintenant il faut que tous les autres citoyens fassent de même.
C’est peut-être pour cela que je tiens de blogue…et peut-être un livre sur ce sujet éventuellement.
Merci de votre intérêt pour ce blogue et partagez-le autant que possible.
Votre article est très explicite et bien illustré!