Je suis d’opinion que l’émission “Infoman” diffusée à Radio-Canada et animée par Jean-René Dufort est généralement informative et soulève des points que les journalistes de pacotille plus « traditionnels » ont manqué ou omis. Ceci dit, l’émission n’hésite pas à déformer la réalité pour faire un meilleur « show ». Après tout, ne laissons pas les faits entraver une bonne histoire…
Ce fut particulièrement le cas lors de l’émission diffusée le 16 octobre 2014, au sujet du projet Energy East de l’entreprise TransCanada. Les affirmations suivantes ont été avancées par Jean-René et ses collaborateurs, dont l’idiot-utile Steven Guilbault :
- TransCanada opérait sans permis lors de ses forages sismiques visant à déterminer le meilleur site de construction pour son terminal de Cacouna.
- Tout le pétrole à passer par l’oléoduc Energy East sera aussitôt exporté sur les marchés internationaux.
- L’oléoduc ne permettra pas au Québec de récolter des retombées économiques, ni de taxes, il ne fera qu’aider l’Alberta.
- Il n’ y a aucune raison de mettre le terminal à cet endroit.
Commençons cette histoire du début si vous le voulez bien. Comme vous le savez, la production de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta est en croissance. De leur côté, les Américains produisent de plus en plus de pétrole, dont notamment des gisements de Bakken, qui sont tout près de l’Alberta. La demande provenant du Sud de la frontière est donc plus faible. Les nouveaux oléoducs Keystone XL (qui visait à atteindre les raffineries du Texas notamment) et Northern Gateway (qui visait à atteindre la côte Ouest de la Colombie-Britannique pour exporter le pétrole par bateau) font face à de l’obstruction politique, ce qui fait en sorte que leur avenir est incertain. Le pétrole est donc coincé en Alberta d’une certaine manière.
De son côté, TransCanada dispose d’un vieux réseau de gazoducs qui couvrent le Canada en entier et qui sont nettement sous-utilisés. La raison est que la révolution du gaz de schistes qui sévit dans le Nord-Est des États-Unis a évincé le gaz naturel Albertain de l’Ontario, du Québec et des Maritimes. Les gazoducs de TransCanada qui partent de l’Alberta et qui vont vers l’Est ne sont donc plus nécessaires, du moins une portion significative de leur capacité.
TransCanada a donc eu une bonne idée : convertir une portion de ces gazoducs pour qu’ils transportent du pétrole au lieu du gaz naturel (c’est le projet Energy East). Le pétrole Albertain pourrait donc aider les raffineries de Montréal, Lévis et St-John et pourrait aussi atteindre les marchés internationaux pour ce qu’il reste. La conversion du gaz au pétrole n’est pas un problème, cela a souvent été fait, notamment pour la première phase du projet Keystone qui est présentement en opération.
Sur la carte ci-bas, on peut voir l’ampleur du projet de $12 milliards, qui comprend la conversion du gazoduc au pétrole (ligne bleue) et la construction de nouveaux tronçons (lignes vertes) du hub d’Hardisty, entre Montréal et Lévis, entre Lévis et Saint-John, ainsi qu’un terminal d’exportation à Cacouna, où TransCanada acheté le terrain au gouvernement fédéral.
Infoman a diffusé de fausses informations…
Premièrement, TransCanada avait tous les permis nécessaire aux forages sismiques. Elle les avait obtenus de Transport Canada, de Pêches & Océans Canada ainsi que de manière volontaire auprès du Ministère de l’Environnement du Québec. L’affirmation véhiculée par Infoman est donc carrément fausse! Il est très facile de trouver l’information sur l’internet, mais il ne suffit de constater que le PQ demandait récemment la « révocation du permis de TransCanada » (ici) pour comprendre que ledit permis existait bel et bien… Même Radio-Canada, diffuseur de l’émission Infoman, était au courant de l’existence du permis (ici). On peut aussi lire que le permis du Québec a été obtenu le 21 août dernier (ici). Faut croire que Google ne fonctionne pas bien dans les bureaux d’Infoman…
Sur le site de TransCanada, on décrit aussi les mesures mises en place pour protéger les bélugas durant les forages. Une zone de protection de 540 mètres est observées. Dès qu’un expert repère un béluga dans la zone, les forages s’arrêtent jusqu’à ce que le béluga ait quitté la zone pendant 30 minutes. L’utilisation d’hydrophones permet aussi de mesurer le niveau de décibels de manière à ce qu’il soit adéquat.
En lisant cet article du Financial Post, on comprend que ce qui s’est produit est que la cour a suspendu temporairement le permis de TransCanada durant une période dite « critique » pour les bélugas. Le 2 octobre dernier, conformément aux termes du certificat d’autorisation qui lui a été délivré, TransCanada a transmis au ministère un rapport de bruit préliminaire concernant ses premiers sondages. Sur la base de ce document, le ministère lui a demandé d’apporter des ajustements à son plan de travail, et ce, afin de respecter les normes de bruit qui lui ont été imposées et d’ainsi réduire les impacts possibles sur les bélugas du Saint-Laurent. TransCanada a dû retourner à sa table à dessin puisque le niveau de bruit généré par ses activités de carottage a franchi le plafond limite des 120 décibels dans la zone d’exclusion de 540 mètres devant protéger les bélugas. Les correctifs proposés par l’entreprise devraient résoudre le problème du bruit selon TransCanada. Mais en date du 18 octobre, le problème n’avait toujours pas été résolu à la satisfaction du Ministère et les travaux demeurent interrompus.
La deuxième affirmation véhiculée par Infoman est que le pétrole sera entièrement exporté à l’international. C’est faux. Une partie sera raffinée à Montréal, Lévis et à St-John. Ceci dit, ces raffineries seront passablement occupées, surtout si le projet de renversement de la Ligne 9 d’Enbridge voit le jour. Donc leur capacité excédentaire sera vite engloutie. Elles pourront alors considérer des expansions, mais il n’en demeure pas moins qu’une bonne part des 1.1M de barils/jour d’Energy East seront exportés à l’étranger (environ 600,000 barils/jours). Ce pétrole lourd conviendra mieux aux raffineries de l’Inde, notamment, qu’à celles du Québec.
Ceci dit, le terminal de Cacouna n’est pas nécessaire. La totalité des 1.1M barils/jour pourraient être raffinés et exportés à partir de St-John, où les raffineries Irving en garderont 250,000 barils/jour. TransCanada voulait bâtir le terminal Cacouna pour diversifier le risque de n’avoir qu’un seul terminal, pour exporter plus rapidement (puisque la portion Nouveau-Brunswick du projet mettra plus de temps à être complétée), mais surtout pour plaire au gouvernement Québécois en augmentant l’investissement et les retombées locales! Donc au pire aller, ce terminal sera annulé et tout le pétrole (et les retombées) iront au Nouveau-Brunswick…
Troisièmement, Infoman affirme que le Québec ne récoltera rien en termes de retombées et de taxes. En fait, l’an dernier, TransCanada a rendu publique une étude qu’elle a commandée à la firme Deloitte pour mesurer les retombées (ici). Pour le Québec, on parle de $3.1 milliards de PIB durant la construction et $3.2 milliards durant les 40 années d’opération. Le projet représente plus de $2 milliards en revenus de taxation pour le gouvernement du Québec. L’opération de l’oléoduc maintiendra 200 emplois directs et 330 indirects, tandis que la phase de construction occupera plus de 7,300 employés. Il est donc faux de prétendre que les retombées pour le Québec sont négligeables, voire inexistantes. Et si les raffineries de Montréal et Lévis augmentent leur capacité, l’impact économique pourrait augmenter beaucoup.
Il ne faut surtout pas oublier non plus qu’en améliorant le prix obtenu par l’Alberta sur 700,000 barils/jours de pétrole en l’exportant à l’international, on permet à cette province de maintenir, voire augmenter, les paiements de péréquation versés au Québec, qui se chiffraient récemment à $9 milliards par année…
Mais selon la gauche, cet argent est mérité car le dollar canadien plus fort à cause des sables bitumeux nuit au Québec (voir ceci pour le déboulonnement de ce mythe).
Quatrièmenent, le site de Cacouna a été choisi par TransCanada parce qu’il y existe déjà un port en eaux profondes nécessaire au transbordement de pétrole. C’est une explication fort simple n’est-ce pas!
Les cargo pétroliers sont des embarcations relativement sécuritaires. Une étude a montré que les grands responsables des déversements dans les cours d’eau ne sont pas les pétroliers, mais les bateaux de plaisance, les traversiers et les bateaux de pêche. Dans la Manche, en Europe, il y a constamment plus de 500 navires pétroliers qui circulent (ici)!
Rappelons en passant qu’en 2013, 65 millions de barils de pétrole ont circulé sur le fleuve pour se rendre au port de Montréal. Mais comme ce pétrole ne provenait pas des méchants sables bitumineux de l’Alberta, personne ne s’est affolé au Patri Québécois…
L’opposition de Gaz Métro
L’une des opposition des plus vives au projet Energy East provient du distributeur de gaz naturel québécois Gaz Métro (ici). L’entreprise affirme que le projet nuira aux consommateurs de gaz naturel québécois, incluant certaines entreprises. Cela est faux. Évidemment, Gaz Métro aime que le gazoduc de TransCanada soit sous-utilisé puisque cela lui confère de la flexibilité opérationnelle pour laquelle elle n’a pas besoin de payer. En fait, il n’y a que la section entre North Bay et Ottawa qui soit pleinement utilisée durant les pics de consommation de l’hiver. Le projet Energy East signifiera qu’un investissement de $1.5 milliards pour augmenter la capacité sur ce tronçon sera nécessaire, une somme qui justifiera une augmentation de tarif pour les utilisateurs de cette région. Rien d’autre que le principe d’utilisateur-payeur…
Quant à l’offre de gaz naturel dans l’Est du Canada, de nouveaux gazoducs permettront éventuellement de l’obtenir du gisement Marcellus du Nord-Est des États-Unis à prix plus abordable que celui de l’Ouest Canadien. Pas de soucis à cet égard.
L’expropriation : le véritable péché de TransCanada…
S’il y a une chose que l’on peut véritablement reprocher aux compagnies de pipelines, et qui n’est curieusement jamais discutée dans les médias, est leur utilisation (voire leur abus) de l’expropriation. Si un pipeline est considéré comme dans « l’intérêt du publique », le gouvernement pourrait vous forcer à laisser l’entreprise faire passer son pipeline sur votre terrain, moyennant un dédommagement forfaitaire préétabli par le gouvernement et la restitution de votre propriété dans son état initial après la construction.
En réalité, les pipelines ne sont pas très risqués et, une fois mis en place, sont invisibles. Beaucoup de gens ne savaient même pas que le réseau de TransCanada passait sous leur terrain et ne l’ont appris que récemment dans le contexte du projet Energy East! Il y a donc un prix auquel rationnellement n’importe quel propriétaire accepterait l’offre de TransCanada (dans mon cas, je refuserais $10,000, mais j’accepterais $100,000). Le gouvernement pourrait vous forcer à accepter une offre inférieure à celle que vous percevez appropriée.
Il s’agit d’une violation des droits de propriété privés par l’État, rien de moins. Et cette violation contribue au ressentiment de la population envers les compagnies de pipelines.
Comment protéger les bélugas?
Finalement, si les bélugas de la région de Cacouna préoccupent un segment de la population du Québec, ceux-ci auraient pu former une association qui aurait acquis le port de Cacouna pour évincer TransCanada et bloquer le projet. Je n’ai pas trouvé le montant payé par TransCanada, mais cette association aurait pu miser plus haut. La somme potentiellement misée aurait pu être encore plus élevée dans un monde où les impôts seraient inférieurs à ce qu’ils sont présentement (on peut toujours rêver…). Le port aurait pu être converti en station touristique incluant une activité d’observation des bélugas, ce qui serait potentiellement lucratif.
Ceci dit, je soupçonne que plusieurs des militants locaux opposés au projet cherchent davantage à préserver la valeur de leur propriété sur l’Île Verte ou au bord du fleuve (aux dépends du reste du Québec), qu’à protéger les bélugas…
Articles connexes :
https://minarchiste.wordpress.com/2013/09/06/megantic-quelques-faits-a-considerer/
Sur toute la distance entre montréal et gaspé, je ne vois pas pourquoi il fallait que ça tombe dans la zone protégé.
Transcanada pipeline a échapé un gros rapport de communication où ils ont tout analysés pour convaincre et faire passer leur projet.
Sauf qu’on dirait qu’ils n’ont pas réfléchi à la sensibilité écologique du québec. Nuire aux belugas, ça ne passe tout simplement pas. Ils auraient pu trouver n’importe quel autre site et ils se seraient économisé une grosse crise. Là ils confirme leur réputation albertaine en environnement.
Pour ce qui est du gouvernement, pourquoi avoir une zone protégé pour les belugas si au premier plan de projet on tasse les règles les plus basiques? Est-ce que ce sont les règles qui sont mal faites (par le gouvernement) ou c’est le gouvernement qui est corrompu?
La sauvegarde des belugas dans le fleuve ça fait des dizaines d’années qu’on en parle. On y a investi des millions et on a fait des campagnes pour sensibiliser la population pour améliorer la qualité de l’eau du fleuve. Ça ne se revire pas en 2 semaines au premier projet. La réaction populaire est pleinement prévisible. Il y a une grave négligence de l’entreprise et du gouvernement dans ce dossier.
Sur le plan de la crédibilité le pétrole a perdu encore, le gouvernement a perdu encore et les écolos ont gagné encore. Et je trouve ça légitime!!