Dans un excellent billet publié récemment par Frances Woolley sur le blogue Canadian Worthwhile Initiative, celle-ci détruit un mythe économique fort répandu: que le revenu des ménages a stagné, voire diminué depuis les années 1970s.
Cette illusion statistique découle en fait du paradoxe de Simpson, décrit par Edward Simpson en 1951 et George Udny Yule en 1903, dans lequel le succès de plusieurs groupes semble s’inverser lorsque les groupes sont combinés. Ce résultat qui paraît impossible est souvent rencontré dans la réalité, en particulier dans les sciences sociales et les statistiques médicales.
Un exemple réel provenant d’une étude médicale sur le succès de deux traitements contre les calculs rénaux permet de voir le paradoxe sous un autre angle.
La première table montre le succès global et le nombre de traitements pour chaque méthode.
Traitement A | Traitement B |
---|---|
78 % (273/350) | 83 % (289/350) |
Cela semble révéler que le traitement B est plus efficace. Maintenant, en ajoutant des données concernant la taille des calculs rénaux, la comparaison prend une autre tournure :
petits calculs | gros calculs | ||
---|---|---|---|
Traitement A | Traitement B | Traitement A | Traitement B |
93 % (81/87) | 87 % (234/270) | 73 % (192/263) | 69 % (55/80) |
L’information au sujet de la taille des calculs a inversé les conclusions concernant l’efficacité de chaque traitement. Le traitement A est maintenant considéré comme plus efficace dans les deux cas. Le traitement le plus efficace peut être déterminé grâce à l’inégalité entre les deux rapports (succès/total). Le rebroussement de cette inégalité, qui conduit au paradoxe, se produit à cause de deux effets concurrents :
- La variable supplémentaire (ici la taille) a un impact significatif sur les rapports.
- Les tailles des groupes qui sont combinés quand la variable supplémentaire est ignorée sont très différentes.
La même illusion se produit lorsque l’on observe le revenue moyen des ménages au Canada, qui semble avoir diminué depuis les années 1970s. Est-ce là une preuve que la croissance économique survenue depuis n’a pas créé de richesse pour le quidam moyen, mais seulement pour les riches? Non!
En fait, quand on observe l’évolution de trois types de ménages (couples de personnes âgées en rouge, couples de personnes non-âgées en vert et familles de deux parents avec enfants en mauve), on constate que les trois catégories ont vu leur revenu moyen augmenter. Comment est-il alors possible de voir la moyenne totale diminuer (en bleu)?
Ce qu’on observe en fait est que presque toutes les catégories de ménages ont vu leur revenus augmenter, mais la proportion des catégories ayant des revenus plus faibles (comme par exemple les retraités) ont vu leur nombre augmenter plus rapidement que le reste de la population en raison du vieillissement de la population. C’est donc la démographie qui explique le phénomène, pas l’économie.
L’autre phénomène que l’on remarque est que la taille moyenne d’un ménage a diminué. Cela explique aussi pourquoi le ménage moyen dispose de moins de revenus.
Finalement, il faut aussi réaliser que cela ne signifie pas nécessairement que les personnes âgées, par exemple, ont vu leurs revenus augmenter en flèche. On pourrait plutôt croire que la personne âgée moyenne de 2011 n’est pas la même que celle de 1978, c’est-à-dire qu’elle est peut-être mieux éduquée et a épargné davantage. Ce n’est donc pas nécessairement les conditions de la cohorte qui ont changé, mais plutôt sa composition.
Le même phénomène (et les mêmes erreurs statistiques) s’observent aussi du côté des États-Unis. Selon les statistiques, le revenu réel moyen des ménages américains n’a cru que de 6% entre 1969 et 1996. Cette statistique est souvent citée sur un ton sensationnaliste pour dénoncer la stagnation du niveau de vie des masses. Pourtant, le revenu réel moyen par habitant a cru de 51% sur la même période. La différence s’explique simplement par le fait que le nombre d’individus par ménage a diminué.
Par ailleurs, ceux qui mesurent la richesse en tant que revenu font souvent l’erreur de considérer les quintiles comme étant des groupes statiques, ce qui est une grave erreur car les individus qui les composent changent de quintile au fil du temps. Il est plus cohérent de suivre l’évolution d’individus plutôt que d’entités statistiques. Ainsi, les revenus moyens des américains de 25 ans et plus qui ont soumis un rapport d’impôts en 1996 et qui se situaient dans le plus bas quintile avaient augmenté de 91% en 2005. En revanche, les revenus des individus se situant dans le premier percentile – c’est-à-dire les 1% ayant les revenus les plus élevés – avaient vu leur revenu diminuer de 26% en 2005. D’ailleurs, plus de la moitié de ceux-ci ne figuraient plus dans le 1% en 2005.
Une autre étude de l’Université du Michigan a démontré que seulement 5% des individus situés dans le cinquième quintile des revenus en 1975 y était encore en 1991, alors que 29% d’entre eux avaient atteint le premier quintile à cette date. Plus de la moitié des individus du dernier quintile en 1975 avaient été dans le premier quintile pendant au moins une année entre 1975 et 1991.
En somme, il faut faire bien attention avec les moyennes statistiques…
Je vous recommande aussi cette vidéo intéressante sur le sujet.
Que pensez-vous de ce graphique : http://www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/wp/2014/09/25/this-depressing-chart-shows-that-the-rich-arent-just-grabbing-a-bigger-slice-of-the-income-pie-theyre-taking-all-of-it/ ?
Les dernières reprises économiques américaines ont carburé à l’endettement induit par les politiques gouvernementales.
Comme je l’ai souvent expliqué, les politiques inflationnistes enrichissent les plus riches au détriment des plus pauvres ce qui accentue les inégalités.
Je pense qu’on constate aussi l’augmentation de valeur de la prime au diplôme et des compétences de pointe.
Le problème encore une fois avec ce graphique est que ce sont des entités statistiques, et non pas des cohortes statiques…
1) La politique monétaire fait exploser les revenus des riches : d’accord.
2) L’augmentation de la demande des habilités de pointe fait exploser les revenus des riches : d’accord.
3) La démographie fait baisser le revenu des entités statistiques : d’accord.
Mais il reste des inégalités même après ces 3 facteurs. Et plusieurs attribuent toujours les inégalités au manque de mobilité et à la stagnation des revenus des pauvres et de la classe moyenne. Je me demande ce que pense Meng Hu de ce graphique.
Moi j’ai remarqué une autre anomalie. On dirait que les intervalles sont volontairement choisies pour favoriser le passage d’un message. Et la totale omission de l’année 2008, fait exploser malhonnêtement les revenus des riches entre 2009-2012. Ça aide encore « par hasard » le passage du même message.
@etagrats
Oui, le graphique est construit que pour présenter les reprises économiques.
Ce qu’il ne montre pas est que durant les récessions, ce sont les riches qui « souffrent » le plus (relativement).