La crise financière de 2011 empire de jour en jour en Europe. Les politiciens Grecs et Italiens sont incapables de s’attaquer à leur déficit fiscal. Il est évident que les banques européennes détenant des obligations des PIIGS devront prendre une perte significative sur ces titres, ce qui entamera sérieusement leur capital et les placera en situation financière précaire, pour ne pas dire en faillite. Évidemment, aucune institution financière ne veut leur fournir du capital sous forme de débentures sans actifs en garantie, ni leur fournir de la liquidité sous forme de dépôts interbancaires. Le prix de leurs actions sont en chute libre ce qui rend le financement par émission d’actions plutôt indigeste.
Notez que dans ce dernier paragraphe, vous pourriez substituer 2011 pour 2008, Europe pour États-Unis et obligations des PIIGS pour MBS-subprime; le scénario est le même.
Nous sommes donc en crise financière, ou si vous le voulez en situation de panique bancaire (« bank run »). Les panique bancaire sont attribuables au système à réserves fractionnaires. Dans un système étalon-or, ces paniques surviennent lorsque les déposants perdent confiance en la viabilité de la banque, disons parce qu’elle aurait perdu sa chemise dans de mauvais prêts. Ces déposants demande la conversion de leur notes en or, mais comme la banque n’a pas suffisamment d’or dans ses réserves pour payer tous ces déposants, elle doit donc fermer boutique et déclarer faillite.
Dans un système de monnaie fiduciaire, les choses sont différentes. Les banques créent de la monnaie à partir des dépôts à vue et prêtent cette monnaie sur plusieurs années. Elles se retrouvent donc avec des actifs non-liquides, mais avec une portion de leurs passifs qui sont très liquides. C’est pourquoi les banques doivent maintenir un certain niveau de réserves de liquidités pour rester en opération. Les banques n’utilisent pas seulement les dépôts de leurs clients pour se financer, elles utilisent aussi le marché interbancaire (« wholesale »), ce qui est plus coûteux, mais qui permet à la banque de croître son portefeuille de prêts plus rapidement. Ce type de financement est très problématique durant les périodes d’instabilité financière puisque ce marché s’assèche complètement lorsque la confiance s’effrite. Cela a comme impact de précipiter les crises financières, comme c’est le cas présentement en Europe. D’ailleurs, on peut voir que plusieurs banques qui ont des réserves excédentaires préfèrent les stationner à la BCE plutôt que de les prêter à d’autre banques à un rendement plus élevé. Dans les circonstances, le BCE doit agir en prêteur de dernier recours et fournir la liquidité nécessaire aux banques en mauvaise posture.
Bien que cela règle le problème de liquidité des banques touchées, cela ne règle pas le problème de capital. C’est pourquoi il y a présentement beaucoup de pression sur les politiciens Européens, et particulièrement sur Mme Merkel, pour que ceux-ci injectent du capital dans les grandes banques pour qu’elles demeurent solvables. Combien de capital? Cela dépend de ce qu’il adviendra des PIIGS! La perte sera différente s’il y a un défaut de paiement de l’un ou plusieurs d’entre eux. C’est pourquoi Mme Merkel subi aussi beaucoup de pression afin que celle-ci fasse en sorte que la BCE puisse soutenir les PIIGS financièrement, notamment à travers le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF). À cet égard, les négociations sont dans une impasse puisque les Allemands exigent des Grecs et des Italiens que ceux-ci règlent leur problème de déficit dans les plus brefs délais, ce qu’ils sont incapables de faire vu la résistance de la population. Dans les circonstances, une augmentation du FESF ne ferait que pelleter le problème en avant puisque sans solution fiscale, les PIIGS demeureront dépendants de l’aide externe et deviendront un trou noir inflationniste. Les réticences des Allemands sont donc justifiées.
Revenons aux banques européennes. Cette semaine, le magazine The Economist a présenté une estimation pour les différents scénarios relatifs aux besoins de capital des banques européennes. On parlerait de quelques centaines de milliards d’euros (voir graphique ci-bas). Si les gouvernements ne sauvent pas les banques, plusieurs craignent que ce sera la catastrophe et que l’économie s’écroulera (le spectre de Lehman Brothers n’est jamais bien loin). Évidemment, je suis en désaccord avec cet assertion. Oui, les faillites de grandes banques engendrent un choc temporaire, mais c’est le prix à payer pour maintenir une système financier sain. Les actifs de ces banques seraient rachetées par d’autres et les clients ne s’en rendraient possiblement même pas compte, outre un changement de logo. En passant, vous aurez bien compris j’espère que tout ce tralala n’est en fait qu’un (autre) gigantesque sauvetage des banques commerciales par l’État, ces banques qui ont sous-estimés les risques reliés à des emprunteurs gouvernementaux irresponsables (tout comme les banques américaines avaient sous-estimés les risques reliés aux emprunteurs sub-prime).
Pour illustrer les différences entre les banques canadiennes, américaines et européennes, je me suis amusé à faire quelques calculs approximatifs en utilisant les chiffres au 31 décembre 2008 de la Banque Royale du Canada, de Dexia (Belgique) et de Bank of America. J’ai calculé quatre ratios qui selon moi démontrent bien le niveau de réserves que ces banques détiennent. Les résultats ne sont pas surprenants : la Banque Royale dépend beaucoup moins du financement interbancaire, elle maintient des dépôts équivalents à 140% de son portefeuille de prêts, ses dépôts ont une plus longue maturité car elle maintient davantage de dépôts à terme (plutôt que des dépôts à vue). Cela explique beaucoup la stabilité du système bancaire canadien au cours des trois années qui ont suivi. Plus les banques ont de réserves, moins il y a de risque de crise financière. Notez en passant que la réglementation Canadienne n’exige aucun ratio de réserve minimum, celle-ci ne règlemente que les ratios de capital. Ce n’est donc pas à cause de la réglementation que les banques canadiennes maintiennent davantage de liquidités. Ceci étant dit, selon les règles de Bâle 3, des ratios minimums de liquidité seront introduits en 2016 et en 2018. À ce sujet, mes discussions récentes avec des gestionnaires de banques canadiennes indiquent que ces ratios seront plutôt sévères. Cela devrait contribuer à améliorer la stabilité du système bancaire mondial. Évidemment, ces ratios minimums seront bien inférieurs à 100%…malheureusement! Les banques pourront donc continuer de créer de la monnaie pour s’enrichir.
Finalement, le dernier graphique montre les avoirs des banques européennes en titres de dette gouvernementaux par pays (États-Unis, Canada, France, Autriche, Espagne, Allemagne, Belgique, Portugal, Italie, Grèce).
Vous trouverez des articles connexes ici, ici, ici et ici.
J’adore cet article. Instructif, éclairant et bien vulgarisé.
Merci JP
« Oui, les faillites de grandes banques engendrent un choc temporaire, mais c’est le prix à payer pour maintenir une système financier sain. » : Pour le côté temporaire, je constate que 3 ans après la faillite de Lehman brothers, le système ne me paraît pas plus sain qu’avant. Si votre horizon est la trentaine d’année, peut-être, mais je ne vois pas bien comment vous allez bien pouvoir le prouver.
Sinon, je pense que vous vous trompez sur le sens de la causalité: Dexia a un passif à très court terme parce qu’elle en mauvaise santé et non l’inverse. Il faudrait que vous regardiez les bilans d’il y a 3 ans.
@Fred
« je constate que 3 ans après la faillite de Lehman brothers, le système ne me paraît pas plus sain qu’avant. »
Et alors? Il y a eu le TARP et le TALF et les stimulis monétaires pour éviter que le nettoyage ne se poursuive.
« Il faudrait que vous regardiez les bilans d’il y a 3 ans. »
Les graphiques présentés ci-haut montrent les données de 2008.
C’est plutôt vous qui vous trompez. Le modèle d’affaires du système bancaire européen dans son ensemble est basé sur le financement court terme depuis longtemps.
« Les graphiques présentés ci-haut montrent les données de 2008. « : Dans ce cas, d’accord. Ceci dit, je pense que la raison de la mauvaise santé des banques européennes est surtout due à l’hétérogénéité de la zone euro.
Sinon, la purge de 1929-1933 ne semble pas avoir eu plus d’efficacité que celle de 2008, et on ne peut pas dire qu’elle été faite à moitié.
Juste un détail. On ne peut pas zoomer sur la dernière image.
Que pensez-vous de cette critique de George Selgin:
« As a monetary economist (I don’t pretend to judge Rothbard’s other economic contributions) Rothbard was mediocre to bad. His version of the Austrian business cycle theory was naive–in essence it equated behavior of M consistent with keeping interest rates at their « natural » levels with the elimination of fractional-reserve banking–an equation that holds only with the help of about a dozen auxilliary assumptions, all of which are patently false. He then went on to conjure up an equally false history of banking and of bank contracts designed to square his theory of the cycle, with its implied condemnation of fractional reserve banking, with his libertarian ethics.
Thanks to all this nonsense people like myself and Larry White (who does still call himself an Austrian) have to waste oodles of time debunking his ideas–we most certainly haven’t simply « ignored » them–that we’d rather spend attacking central banker’s shenanigans. »
http://daviddfriedman.blogspot.com/2011/07/austrian-fantasy.html#c4011919450442892136
@Jonathan
Je ne suis pas d’accord avec Selgin.
Ceci étant dit, je n’ai pas lu tout ce que Rothbard a écrit.
Selgin pense que les réserves fractionnaires n’ont pas d’impact sur les cycles économiques. Je pense qu’il se trompe.
Ma vision des choses est très similaire à celle de De Soto (voir les recommandations de lecture).
Selon Guy Sorman l’euro n’est pas en crise : http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2011/10/la-crise-de-leuro-naura-pas-lieu.html
Un brin d’humour dans ce monde…
http://morningbull.blog.tdg.ch/
En parlant de Selgin, il y a eu des débats un peu chaud très récemment, entre Selgin dans le rôle du grand méchant loup et les rothbardiens. Il y a beaucoup d’articles, et de réponses, et le débat continue encore, mais Jon MF Catalan a collecté les liens sur son blog Economic Thought, et y a ajouté un commentaire à ce débat.
From One to Ten…
Je remarque aussi que John Cochran vient de publier un article sur le Mises Daily sur « l’instabilité » des réserves fractionnaires. Il présente aussi l’argument de Selgin dans son livre « The Theory of Free Banking » dans le milieu de son article (la section « Alternative Views of Fractional-Reserve Banking »). J’ai du mal à croire que ce n’est pas sans rapport avec « l’affaire Selgin ».
http://mises.org/daily/6100/Fractional-Reserves-and-Economic-Instability
The Socialist Anti-Semitic Myth of the Creation of Money out of Thin Air
http://iakal.wordpress.com/2014/07/04/the-socialist-anti-semitic-myth-of-the-creation-of-money-out-of-thin-air/