L’hebdomadaire The Economist publiait il y a quelque temps un intéressant article sur la « demi-libéralisation » de l’Inde. Malgré le fait qu’ils n’ont fait les choses qu’à moitié, les résultats ont été probants, comme nous le verrons plus loin.
Au milieu du 20e siècle, un régime socialiste étouffant s’est installé en Inde. Comme le décrit Swaminathan S. Anklesaria Aiyar :
« Quand l’Inde devint indépendante en 1947, le gouvernement socialiste qui prit le relais voyait le libre échange comme un instrument du colonialisme britannique censé maintenir l’ancienne colonie dans la pauvreté… L’idée était donc que le pays devait gagner son « indépendance économique » de manière à renforcer son indépendance politique. Le mot d’ordre en matière de politique économique pour les trois décennies qui allaient suivre consistait donc à gagner toujours davantage d’autosuffisance et à développer un secteur public dominant, deux éléments considérés comme les deux principes qui permettraient d’atteindre la prospérité. »
Les industries lourdes étaient entre les mains de monopoles étatiques. L’acier, les mines, les machineries, les télécommunications, l’assurance et l’électricité, entre autres, furent nationalisées au cours des années 1950s. L’État a aussi imposé d’importants tarifs douaniers pour décourager le commerce international. Les entreprises locales n’avaient pas le droit d’ouvrir des succursales à l’étranger. L’investissement étranger était excessivement restreint.
Il était impossible de produire ou d’importer quoi que ce soit sans une licence du gouvernement, lesquelles étaient difficiles à obtenir et très coûteuses. Le taux marginal d’impôt sur le revenu culmina à 97.5%. En même temps, les dépenses publiques grimpèrent au rythme annuel de 18%. Une bonne partie de ces dépenses étaient financées par des emprunts à l’étranger.
Puis, l’inévitable se produisit en 1991, alors que le système implosa, avec une crise de la devise, dont le taux de conversion était maintenu fixe par les autorités monétaires indiennes. N’ayant plus d’autre choix face à ce gouffre financier, la libéralisation de l’Inde a débuté, suite à l’assassinat de Rajiv Ghandi. Son parti n’eut alors plus à suivre les politiques socialistes de la mère et du grand-père de Rajiv, ce qui créa une marge de manœuvre permettant un changement décisif. Le premier ministre Narasimha Rao initia un virage vers la liberté économique avec le ministre des finances de l’époque, Manmohan Sing. En même temps, l’Inde reçut un prêt du FMI et de la Banque mondiale.
Le gouvernement réduisit ses dépenses. Il ouvrit les frontières à l’investissement étranger alors que les entreprises indiennes purent se financer et investir à l’étranger. Les marchés de consommation furent libéralisés, ce qui engendra une concurrence dynamique.
Les résultats de ces timides réformes furent très positifs. Selon les chiffres officiels, la proportion de pauvres dans la population a diminué de 40% en 1993 à 26% en 2000. Le tableau suivant présente les différents indicateurs économiques avant et après les réformes. L’amélioration est impressionnante, notamment au niveau du PIB par habitant, du taux de lettrisme et du taux de pauvreté. De plus, le graphique ci-bas montre à quel point l’industrie des services s’est épanouie depuis les réformes.
L’industrie des technologies de l’information a connu une croissance phénoménale au cours de la dernière décennie. Au début, les Indiens n’étaient que des sous-contractants pour des entreprises multinationales, mais maintenant les entreprises indiennes ont commencé à générer de nouvelles technologies par elles-mêmes et compétitionnent avec succès sur le marché mondial (à l’instar des entreprises singapouriennes et taïwanaises qui ont commencé par des sweatshops et produisent maintenant des ordinateurs et des cellulaires).
Cependant, comme le souligne The Economist, la libéralisation de l’Inde est bien incomplète. Les marchés des biens et services ont été libéralisés, mais ceux des intrants, tels que le travail, l’électricité et les terrains, ne l’ont pas été et demeurent sous le joug de l’État. Le marché du travail est paralysé par la règlementation. Par ailleurs, la corruption ronge toujours l’administration publique du pays. Des pot-de-vin doivent constamment être versés pour obtenir des permis et faire avancer les projets. De plus, les pannes d’électricité rendent la production chaotique. L’Inde possède d’importantes réserves de charbon, mais elles sont sous le contrôle de l’État, qui n’arrive pas à rencontrer la demande, ce qui crée des pannes. Les infrastructures du pays sont insuffisantes et en piteux état. L’éducation est aussi problématique en Inde. Le gouvernement a le monopole sur l’enseignement universitaire et la performance du système est médiocre. Finalement, la règlementation des terrains et le contrôle des loyers ralentissent l’urbanisation de la population.
Selon le patron d’une grosse entreprise pharmaceutique indienne : « ce qui s’est produit en Inde n’est pas à cause du gouvernement, mais bien en dépit du gouvernement ».
Conclusion :
Grâce à une libéralisation partielle de son économie entamée en 1991, l’Inde a fait beaucoup de progrès et a grandement amélioré le sort de sa population. Cependant, l’Inde est encore considérée comme un pays excessivement pauvre et corrompu. Pour passer au prochain niveau, la libéralisation devra se poursuivre car il y a encore beaucoup de chemin à faire. Ceci étant dit, malgré les bons résultats, les réformes se sont enlisées. Le changement est bloqué par les bureaucrates chargés de combattre la bureaucratie. Il faudra de la volonté politique et de consensus populaire pour s’attaquer à ces parasites, lesquels ne sont malheureusement pas en place présentement. Les communistes Indiens ont bloqué les réformes du marché du travail, se sont opposés aux investissements étrangers et ont empêché les privatisations d’entreprises d’état. La droite de son côté craint la mondialisation, démontrant une culture plutôt mercantiliste dépassée. Les réformes libérales de l’Inde ont donc peu de chances de progresser davantage au cours des prochaines années.
Pour des lectures complémentaires:
http://www.unmondelibre.org/node/452
http://www.unmondelibre.org/Aiyar_Inde_reformes_070611
http://www.contrepoints.org/2011/06/09/29163-la-longue-route-vers-la-liberte-economique-en-inde
http://reason.com/archives/2006/06/06/the-rise-and-fall-of-indian-so
http://en.wikipedia.org/wiki/Economic_liberalisation_in_India
http://indiauncut.blogspot.com/2005/06/myth-of-indias-liberalization.html
Article intéressant! Mais tu n’evoques pas un autre frein au développement, enfin plus exactement au progrès de certaines couches de la population indienne, qui me semble important: le système de caste.
Je le connais peu, mais cela m’a l’air d’être en opposition frontale avec un des principes fondamentaux du libéralisme: l’égalité en droits.
Dans le tout dernier lien indiqué dans cet article, on peut y lire :
« Imports were also subject to excessively high tariffs. The top rate was 400 percent. As much as 60 percent of tariff lines were subject to rates ranging from 110 to 150 percent and only 4 percent of the tariff rates were below 60 percent. The exchange rate was highly over-valued. Strict exchange controls applied to not just capital account but also current account transactions. Foreign investment was subject to stringent restrictions. Companies were not permitted more than 40 percent foreign equity unless they were in the high-tech sector or were export-oriented. As a result, foreign investment amounted to a paltry $100-200 million annually. »
« Second, labor laws must be reformed so as to restore the employer’s right to layoff workers upon adequate compensation to them. At present, firms with 100 or more workers have no legal way to exit since they cannot lay off their workers. This works as a major barrier to entry of new firms on a large scale: they hesitate to enter into a world that has no exit doors. »
« Fertilizer and food subsidies pose yet another challenge. As much as 0.7 percent of GDP goes into fertilizer subsidies. Contrary to popular impression, much of this subsidy goes to support the inefficient domestic fertilizer industry rather than farmers. In the last five years, the prices for fertilizer paid by farmers have been close to the world price. Guaranteed rates of return to fertilizer manufacturers have allowed firms with costs two to three times the price in the world market to stay in business. Likewise, the bulk of the food subsidy has failed to reach the poor. Between food and fertilizer subsidies, there is scope for generating savings worth more than 1 percent of GDP. »
Le chemin de l’Inde du socialisme de copain au capitalisme stigmatisé: https://www.project-syndicate.org/commentary/india-cronyism-to-capitalism-by-arvind-subramanian-2018-02
L’inde reste très socialiste, si ce pays a connu une grande amélioration cela reste un pays peu libéral. Ce pays a besoin de nouvelles réformes libérales pour améliorer la situation.
L’interventionnisme de l’état indien dans l’économie conduit à un capitalisme de connivence qui conduit à une stigmatisation du secteur privé
Au début du XXe siècle, les industries textiles indiennes et japonaises avaient des niveaux similaires de salaires et de productivité, et toutes deux exportaient vers les marchés mondiaux. Mais dans les années 1930, le Japon avait dépassé le Royaume-Uni pour devenir le premier exportateur mondial de textiles; tandis que l’industrie indienne se retrouvait à la traîne.
https://pseudoerasmus.com/2017/10/02/ijd/
La différence entre les deux pays ? Le pouvoir des syndicats alors qu’au Japon, le pouvoir syndical était très faible à cause des répressions des mouvements ouvriers en Inde le pouvoir syndical était très fort.
Cet article très intéressant montre bien à quel point l’un des problèmes de l’Inde a été le pouvoir très fort des syndicats qui a empêché le développement économique. Et que les réformes libérales de l’Inde ont été rendu possible grâce à la fracture qui s’est opéré entre le parti du Congrès national indien (parti au pouvoir) et les syndicats alors qu’avant, le pouvoir du parti du Congrès national indien reposait justement sur cette alliance avec les syndicats.
En Inde, encore aujourd’hui, tout ce qui n’est permis par la loi est interdit. C’est la situation inverse à ce qui se passe dans la plupart des pays. Et cela donne un énorme pouvoir à la bureaucratie indienne qui peut facilement entraver l’activité économique. Surtout que cette bureaucratie est toute puissante et dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire.
https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/atul-singh-manu-sharma-indian-economy-coronavirus-covid-19-india-economic-reform-67834/
En Inde, il est très difficile de faire respecter un contrat, il est quasi impossible de licencier un travailleur et quasi impossible d’acheter un terrain si l’on n’est pas bien connecté. Tout cela freine grandement le fait pour des multinationales d’investir dans le pays.
Beaucoup de gens ont mis leurs espoirs dans Modi.
Le souci c’est qu’il a très vite mis en place une politique socialiste une fois au pouvoir : https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/india-budget-socialism-narendra-modi-world-news-today-32090/
Et: https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/sanatan-socialism-billionaire-raj-india-narendra-modi-world-news-31238/
(Pour être juste, le parti du congrès a avant pratiqué une politique de capitalisme de connivence en avantageant les riches proches du pouvoir).
Le problème de ce socialisme c’est qu’il échoue : https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/narendra-modi-win-2019-indian-elections-latest-world-news-today-79391/
Modi est profondément incompétent. Même des mesures qui sont considérés comme bonnes par tous les économistes comme la TVA unifiée à l’Inde ont été faites de manière tellement désastreuses que cela a nui à l’économie. Modi a fait exprès de nommer des ministres incompétents par peur de la concurrence. Il veut tout gérer lui même.
https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/indian-election-narendra-modi-bjp-congress-part-rahul-gandhi-asian-news-58049/
Malgré l’incompétence total de Modi, il a été réélu en 2019 c’est à cause de la nullité du parti du congrès qui est considéré comme encore pire que Modi: https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/narendra-modi-bharatiya-janata-party-bjp-congress-rahul-gandhi-indian-elections-38914/
On pourrait parler du système bancaire indien. La plupart des banques sont détenus par l’état et sont connus pour leur inefficacité. Elles font des prêts »politiques » (les gens connectés au pouvoir politique peuvent facilement se voir prêter de l’argent):
https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/global-financial-crisis-indian-rupee-crisis-india-news-33902/
On parle beaucoup du suicides des agriculteurs en Inde, un article intéressant à lire sur le sujet : https://www.fairobserver.com/region/central_south_asia/indian-farmer-suicides-india-south-asian-world-news-latest-32349/