L’une des principales craintes face au libre-marché est qu’il engendre des monopoles. Les monopoles, aussi rares soient-ils, ne sont pas nécessairement une mauvaise chose. C’est plutôt le comportement monopolistique qui cause du tort à la société. Ce comportement consiste à faire en sorte que les marges de profits soient anormalement élevées (en augmentant les prix ou en réduisant la qualité du produit/service).
Ceci étant dit, ce genre de comportement ne durera pas longtemps sur un véritable libre-marché. Les marges anormalement élevées attireront les nouveaux entrants qui livreront une guerre de prix au monopoliste. Cependant, tel que démontré dans un article antérieur, la règlementation élevée bloque les nouveaux entrants ce qui empêche la concurrence de jouer son rôle dans l’industrie bancaire canadienne, qui est peut compétitive et génère des marges de profits anormalement élevées malgré la présence de 6 gros concurrents entre autres.
À cet égard, le Groupe TMX est un excellent exemple de cette dynamique. Évidemment, l’industrie boursière canadienne est sujette à un certain niveau de règlementation, mais malgré cela, la concurrence est quand même venu à bout de la situation monopolistique qui prévalait dans cette industrie il y a à peine quelques années. Imaginez ce que ce serait sur un « véritable libre-marché »…
La Bourse de Toronto a été fondée en 1861 sous la forme d’un club auquel les courtiers adhéraient. Les frais de membres permettaient de couvrir les coûts d’administration. L’entreprise coopérative fut incorporée en 1878. En 1980, sa part de marché des transactions sur actions canadiennes s’établissait à 80%. En 1999, les bourses de Vancouver et de l’Alberta fusionnèrent pour former le CDNX. Par la suite, le Canadian Dealing Network et le Winnipeg Stock Exchange ont fusionné avec cette entité.
En 2000, suite à un processus de démutualisation, la Bourse de Toronto devient une entreprise à but lucratif. En 2001, elle acquiert le CDNX, qu’elle renomme TSX Venture Exchange. À ce moment, la part de marché du TSX est près de 100% concernant les transactions sur actions canadiennes. En 2002, l’entreprise change son nom pour TSX Group et entre en bourse par un premier appel public à l’épargne (PAPE). Par cette transaction, les actionnaires de l’époque, c’est-à-dire les courtiers oeuvrant au Canada, vendent leurs actions sur le marché, empochant un gain substantiel. À la fin de 2007, le TSX annonce l’acquisition de la Bourse de Montréal et change son nom pour TMX Group. À cette époque, le rendement de l’avoir des actionnaires (ROE) de l’entreprise atteignait presque 80%, comparativement à 11% pour une industrie normalement concurrentielle. Il n’y avait aucun doute que le Groupe TMX se comportait en monopoliste. Ses frais étaient en constante augmentation et sa technologie était archaïque, ne permettant pas une rapidité de transaction suffisante pour les besoins du marché. L’industrie manquait alors cruellement de concurrence.
C’est pourquoi le Groupe Alpha fit son apparition en 2007. Tout comme ce fut le cas lors de la formation de la Bourse de Toronto au 19e siècle, ses principaux actionnaires sont les courtiers (ainsi qu’un fonds de pension) : BMO Nesbitt Burns Inc., Canaccord Capital Inc., CIBC World Markets Inc., Canada Pension Plan Investment Board, Desjardins Securities Inc., National Bank Financial Inc., RBC Dominion Securities Inc., Scotia Capital Inc. et TD Securities Inc.
La première réaction du TMX a été d’augmenter significativement ses investissements en technologie de façon à rattraper le temps perdu (voir graphique ci-bas). C’est d’ailleurs à la fin de 2007 que le TMX lance sa nouvelle plateforme Quantum, qui permet des vitesses de transaction plus acceptables pour les « traders » algorithmiques. Comme quoi la concurrence fait déplacer des montagnes…
Par la suite, les deux entités se sont livrées une guerre de prix. La part de marché d’Alpha a augmenté significativement, atteignant presque 25% au début de 2011 (voir graphique ci-bas). Le triple impact des investissements en technologie, des coupures de frais et des pertes de parts de marché a littéralement fait fondre le ROE du Groupe TMX, passant de 79% en 2007 à 41% en 2008 à 21% en 2009. D’autres concurrents sont aussi apparus ces dernières années, dont notamment Chi-X, dont la part de marché s’élève maintenant à environ 5%.
Le monopole du Groupe TMX est donc chose du passé. Il est intéressant de noter que ce n’est pas la règlementation, ni l’interventionnisme étatique qui ont corrigé la situation, mais bien le libre-marché.
L’acquisition du Groupe TMX :
En février dernier, le Groupe TMX et le London Stock Exchange ont conclu une entente de fusion. La transaction devait être approuvée par 11 agences de règlementation en tout, incluant l’Autorité des Marchés Financiers du Québec, la Ontario Securities Commission et Investissement Canada. Malgré toutes les concessions faîtes par le LSE, les chances d’approbation de la transaction étaient plutôt faibles. Notamment, le LSE devait démontrer à Investissements Canada que la transaction est dans l’intérêt des canadiens, chose quasi-impossible. Une transaction similaire a d’ailleurs été bloquée par les autorités australiennes suite à une offre de la Bourse de Singapour.
Cependant, un rebondissement est survenu à la mi-mai : un consortium formé de quatre grandes banques (TD, CIBC, Scotia et Nationale) et de cinq fonds de pension (incluant la Caisse de Dépôts et le Fonds FTQ) annonça une offre d’achat du Groupe TMX à un prix supérieur à l’offre du LSE. Ainsi, le TMX serait fusionné à Alpha et à CDS pour créer un nouveau quasi-monopole sur les transactions boursières canadiennes. La transaction devra être approuvée par les instances provinciales ainsi que par le Bureau de la Concurrence du Canada, mais pas par Investissement Canada.
Il sera intéressant d’observer quelle sera la position du Bureau de la Concurrence à cet égard. Il s’agirait d’un monopole, mais dont les actionnaires sont aussi les clients, donc une sorte de coopérative. Cette institution n’adoptera certainement pas un comportement monopolistique. Par ailleurs, ce consortium fait appel au sentiment nationaliste des différentes instances règlementaires. En bloquant la transaction sur la base qu’elle créerait un monopole, le Bureau de la Concurrence laisserait le TMX à des intérêts étrangers.
À suivre…
Voici le prix de l’action du Groupe TMX:
Cette évolution « naturelle » d’un monopole de TMX vers une situation de concurrence est instructive. C’est même un excellent cas d’école où l’on voit des concurrents qui surviennent dès que le monopoleur devient moins performant ou moins innovant.
Je dirai plutôt « position dominante » à un moment donné, plutôt que « monopole ».
@gdm
« C’est même un excellent cas d’école »
…même dans une industrie hyper-règlementée et dans laquelle les barrières à l’entrée sont très élevées.
Si ce genre de monopole peut être renversé, tous les monopoles peuvent l’être…sauf si l’État l’empêche!
J’ai une opinion mitigée sur la question. D’un côté, je tends à condamner la concurrence déloyale. Par exemple, un magasin qui achèterait toutes les surfaces commerciales alentours pour empêcher l’installation d’un concurrent.
D’un autre côté, la rapidité du développement technologique, et les possibilités de financement de nouvelles entreprises, rendent les monopoles plus éphémères qu’auparavant.
Néanmoins, il reste le problème des monopoles ou oligopoles naturels, comme la téléphonie mobile par exemple.
Une entente monopolistique dans ce domaine n’est-elle pas néfaste?
@Vladimir
« Néanmoins, il reste le problème des monopoles ou oligopoles naturels, comme la téléphonie mobile par exemple. »
Va sur le site du Mises Institute. Tu trouveras énormément de littérature à cet égard, notamment de Murray Rothbard.
Avant les années 1900s, plusieurs grandes villes américaines disposaient d’au moins deux compagnies de téléphonie. En 1900, il y avait plus de 3,000 entreprises de téléphonie. Cependant, lors de la Première Guerre Mondiale, le gouvernement a nationalisé l’industrie de la téléphonie. Les prix ont alors été augmentés (pour financer l’expansion du réseau) et la concurrence était interdite par l’État. De fait, le réseau de AT&T avait alors un monopole créé de toutes pièces par le gouvernement. Ce n’est qu’au début des années 1980s que l’industrie fut dérèglementée et que la concurrence pu envahir ce marché. Les prix se mirent alors à baisser significativement, au point tel que les appels longue distance devinrent abordables pour le commun des mortels.
@Vladimir Vodarevski
L’exemple que vous donnez n’est pas de la concurrence déloyale. Il est rarissime que les tribunaux condamnent pour concurrence déloyale. En effet, ce concept est difficile à définir en Droit. Sauf dans quelques cas évidents.
Un magasin qui achète ses concurrents investit beaucoup d’argent. Cet investissement sera-t-il rentable? S’il tente d’augmenter les prix, un autre investisseur investira pour obtenir une partie du même marché. La rentabilité du nouveau concurrent sera supérieure. Et les prix redescendront. L’ancien monopoleur devra baisser ses prix pour éviter de perdre trop de part du marché. Et il jugera alors que son investissement n’était pas rentable.
L’Etat français tente vaguement de simuler un marché libre de la téléphonie mobile. Mais on est très loin d’un vrai marché libre. Il n’y a aucun monopole naturel sur le téléphone mobile. Il n’existe aucun « monopole naturel ».
Cependant, en téléphonie mobile, actuellement, il ne peut y avoir que très peu d’acteur possédant une fréquence. Ce qui entraîne un oligopole, qui peut être monopolistique si les acteurs s’entendent.
J’ai aussi lu que dans certaines régions des USA, il n’y aurait qu’un seul opérateur.
Dans ces situations, ne peut-on pas parler de monopole naturel?
@Vladimir Vodarevski
L’Etat français a le monopole des ondes. Mais on peut imaginer un développement de la téléphonie mobile si l’Etat avait renoncé à y intervenir. Je propose un scénario de fiction économique. Il n’existe pas « une » fréquence pour toute la France. Chaque fréquence est très locale sur quelques kilomètres. Une multitude de petits opérateurs locaux auraient formé des accords techniques de communication. Puis probablement des rachats de nombreux petits opérateurs.
A l’occasion de certains conflits sur les fréquences, les tribunaux auraient peut-être accepté le principe que le premier exploitant a des droits sur la fréquence. Et même une sorte de droit de propriété. Un commerce des droits de propriété sur les fréquences auraient été un tout autre contexte économique.
@GDM
Tel que démontré dans mon exemple des banques canadiennes, les cartels ne tiennent que lorsque la règlementation bloque les nouveau entrants.
gdm,
« L’Etat français a le monopole des ondes. »
Plus exactement, il faut des licences pour entrer sur le marché de la téléphonie, il y a quelques années de ça, un scandale sur des ententes sur les prix a éclaté. L’Allemagne a connu la même chose, et à peu près au même moment.
Le seul élément non-institutionnel qui puisse empêcher (ou plutôt, limiter) l’émergence de la concurrence, ce sont les coûts fixes. En général, ces énormes coûts fixes, ça concerne particulièrement les infrastructures telles que la distribution d’eau et l’électricité. L’un des moyens de contourner le problème est le « competition for the field », sujet par ailleurs intéressant mais trop peu débattu à mon goût.
Je ne conseillerais jamais assez la lecture de « myth of natural monopoly », de DiLorenzo.
A noter que les monopoles sont non seulement mauvais pour les consommateurs/clients mais aussi pour les travailleurs. Si les économistes étudient les monopoles en se concentrant sur les effets négatifs des monopoles en termes de prix payés pour les consommateurs, de croissance de la productivité, d’ investissements, ils ont tendance à oublier les conséquences d’un monopole sur le marché du travail. En effet, le fait d’avoir quelques firmes contrôlant tout le marché d’emplois a un effet négatifs pour les salaires des travailleurs. Les travailleurs gagnent moins à cause des monopoles: http://www.nber.org/papers/w24147
Concernant les effets négatifs sur les investissements voici une étude montrant que le manque de concurrence
conduit à un sous investissement: http://pages.stern.nyu.edu/~tphilipp/papers/QNIK.pdf
Sur les monopoles naturels: https://menghublog.wordpress.com/2012/10/22/natural-monopoly-and-the-question-of-the-factors-of-production/