« The Wisdom of Crowds », James Surowiecki, 2004, 336 pages.
La théorie centrale de ce livre stipule que l’agrégation des informations de tous les membres d’un groupe mène à des décisions qui sont meilleures que la plupart des décisions des individus formant le groupe.
Par exemple, le livre débute par une anecdote d’un dénommé Francis Galton qui, en 1906 lors d’une foire d’agriculteurs durant laquelle les gens étaient amenés à tenter de deviner le poids d’un boeuf, a observé que la moyenne des réponses des 800 personnes ayant participé au concours fut très près du véritable poids du boeuf (1,197 livres versus 1,198 livres).
Quelques autres exemples :
En mai 1968, le sous-marin américain Scorpion est disparu dans l’Atlantique. Des recherches furent entamées dans un rayon de 20 miles. Un dénommé John Craven eut l’idée de demander à un groupe d’individus ayant différentes connaissances de deviner l’emplacement du sous-marin. La réponse la plus près de la réalité mériterait une récompense. Craven assembla ensuite les réponses pour former une moyenne. On découvrit ensuite que le sous-marin se trouvait à moins de 220 verges de l’emplacement estimé par le groupe. Aucun individu du groupe n’a fait mieux.
Le professeur de finance Jack Treynor a un jour demandé à sa classe de 56 étudiants d’estimer le nombre de bonbons se trouvant dans une jarre. La moyenne du groupe fut 871 alors que la jarre en contenait 850. Seulement un étudiant sur les 56 avait soumis une réponse meilleure que la moyenne du groupe.
En 1986, la navette Challenger a explosé en plein ciel. Les quatre entreprises impliquées dans le projet étaient Rockwell, Lockheed, Martin Marietta et Morton Thiokol. Environ 21 minutes après l’explosion, leurs actions étaient respectivement en baisse de 5%, 3%, 6%, alors que les transactions sur les actions de Thiokol durent être interrompues en raison d’un trop grand nombre de vendeurs. Thiokol termina la journée en baisse de 12% alors que les trois autres ne subirent une baisse que de 3%. À ce moment, aucune information n’aurait pu permettre de déterminer la cause de l’accident, mais 6 mois après l’explosion, une enquête détermina que les pièces fabriquées par Thiokol avaient causé l’accident et l’entreprise fut tenue responsable. Ainsi, à peine quelques minutes après l’incident, les millions d’intervenants du marché boursier avaient déjà réussi à établir la cause de l’accident.
L’auteur reconnaît trois types d’implications ce la « sagesse des foules ». Au niveau de la cognition, il mentionne que les résultats de marchés sont supérieurs au jugement d’experts. Au niveau de la coordination, il observe comment des individus coordonnent naturellement leurs actions sans planification, par exemple des gens marchant sur un trottoir bondé sans entrer en collision. Finalement, au niveau de la coopération, il décrit des réseaux complexes qui ne sont pas contrôlés par une entité centrale.
Surowiecki croit qu’il y a quatre conditions nécessaires à ce que la sagesse des foules puisse opérer :
- Diversité des opinions : un groupe dans lequel tout le monde pense de la même façon ne sera pas efficace.
- Indépendance : chacun doit avoir sa propre opinion sans être influencé par celle des autres.
- Décentralisation : les connaissances doivent être dispersées à l’intérieur du groupe et l’opinion de chacun doit compter.
- Agrégation : il doit exister un mécanisme par lequel les opinions sont agrégées (par exemple un marché).
L’auteur présente quelques exemples dans lesquels la sagesse des foules n’a pas pu fonctionner en raison de la non-présence d’une de ces quatre conditions.
J’ai adoré ce livre, qui est d’ailleurs un best-seller mondial. Il aide à comprendre comment les marchés agissent comme un mécanisme d’agrégation des connaissances variées de millions d’individus menant à un résultat non pas optimal, mais aussi près de l’optimum que l’on puisse l’espérer. Je le recommande fortement.
Merci pour la suggestion. Cela semble très intéressant.
Très intéressant. Y a-t-il dans ce livre des exemples en entreprise pour des décisions complexes à prendre ? Par exemple pour l’établissement d’une stratégie globale sur le long terme, un gros groupe peut-il en créer un de manière détaillée ?
Je pose la question, parce que justement, pour ce genre de travaux (ou encore un plan marketing à rédiger, une analyse des champs de force à réaliser), il vaudrait mieux être une équipe performante, cad environ 9 personnes.
Du coup si l’auteur aborde ce genre de sujets, cela m’intéresserait particulièrement, car je pense qu’il est possible de réunir les 4 conditions. Pour moi il y en aurait une 5ème : la décision est simple (vendre des actions, déterminer un point) et non complexe.
Tout à fait, l’auteur propose un cadre pour utiliser la sagesse des foules en entreprise.
Je pense que tu y trouveras ton compte.
Génial ce post. J’ignorais ces études, et c’est vrai que ça développe un aspect très intriguant de l’intelligence collective.
Ceci dit j’aurais aimé en savoir plus : est-ce qu’il existe aussi des cas ou les foules on dit n’importe quoi ? quelques anecdotes ne suffisent pas.
Et aussi, est-ce qu’il y a moyen d’influencer les foules, je suis sûr que oui. Il serait donc intéressant de savoir quand, comment, pourquoi elles sont « objectives » ou non. Je paries que les émotions jouent un grand rôle la dedans.
Et dans ce cas aussi je ne peux m’empêcher de penser au 911 et à la fronde qu’il y a sur internet concernant la version officielle.
Je parcours ton blog, très intéressant même s’il y a un coté « catéchisme libéral » lol
J’espère qu’on pourra quand même échanger fructueusement 🙂
@yoananda
« est-ce qu’il existe aussi des cas ou les foules on dit n’importe quoi ? »
Oui, quand les quatre conditions ne sont pas remplies.
« quand, comment, pourquoi elles sont « objectives » ou non. »
L’idée n’est pas vraiment d’être objectif, mais plutôt que chacun agisse indépendemment dans son intérêt et selon son opinion.
« Je paries que les émotions jouent un grand rôle la dedans. »
Les humains ne sont pas toujours rationnels. Ils sont aussi influençables. Ça ne change cependant rien au fait que le marché donne le meilleur résultat: non pas le résultat optimal, mais bien le meilleur que l’on puisse espérer atteindre. Tel est le mode de pensée des économistes de l’école autrichienne.
« J’espère qu’on pourra quand même échanger fructueusement »
Je n’en doute pas.
Ha oui d’accord pour les 4 conditions qui répondent effectivement à ma question.
J’ai encore une autre question : est-ce que le niveau d’éducation a été examiné ? je veux dire, est-ce que (notamment pour les marchés) le niveau d’éducation d’une foule influence sa « sagesse » (en bien ou en mal)
En tout cas, c’est la meilleure justification des « marchés » que j’ai entendu. Par contre, ce qui m’étonne c’est que livre date de 2004 … comment on justifiait avant ? la loi de l’offre et la demande et la mise en concurrence ?
@yoananda
« est-ce que (notamment pour les marchés) le niveau d’éducation d’une foule influence sa « sagesse » (en bien ou en mal) »
Ce qui est important, c’est la diversité de la foulle. C’est ça qui l’enrichit.
Par exemple, je travaille dans une firme de gestion de portefeuilles boursiers et notre équipe comprend un ancien ingénieur chimique (qui s’occupe des compagnies pétrolières), un ancien géologue (qui s’occupe des compagnies minières), une comptable, un ancien consultant en management, une ancienne économiste de la Banque du Canada, etc
Nous avons donc une équipe de gens avec des niveaux d’éducation différents et des connaissances diversifiées. La mise en commun de ces savoirs nous permet d’obtenir des résultats supérieurs à ce qu’aucun des membres de l’équipe ne pourrait obtenir seul, même celui ayant le niveau le plus élevé d’éducation.
C’est d’ailleurs ce qui a été fait dans l’exemple du sous-marin Scorpion (voir le billet).