Certaines raffineries de pétrole lourd ont beaucoup de surcapacité présentement dans les états près de la côte du Golfe du Mexique. Celles-ci sont habituellement utilisées pour raffiner le pétrole lourd du Vénézuela, mais la quantité produite par PDVSA est en forte baisse en raison des politiques destructrices de Hugo Chavez. En revanche, la production canadienne de pétrole lourd est en croissance grâce au développement des sables bitumineux, alors que la capacité de raffinage du pétrole lourd est limitée dans le nord.
La solution est simple : construire un oléoduc pour envoyer ce pétrole vers le sud des États-Unis. C’est ce que l’entreprise canadienne TransCanada Corp. a décidé de faire en développant le projet Keystone XL. Ce projet coûtera plus de $7 milliards et devrait être opérationnel en 2013. L’entreprise était dans l’attente des approbations règlementaires habituelles, jusqu’à ce que les politiciens américains s’en mêlent dernièrement.
Au début du mois de juillet, Henry Waxman a écrit une lettre à Hillary Clinton l’implorant de faire quelque chose concernant ce projet en raison de ses implications environnementales. Le mois précédent, une lettre similaire avait été envoyée à Hillary Clinton, signée par un groupe de 50 représentants. Plusieurs groupes environnementalistes s’opposent aussi à ce projet en particulier.
Par la suite, un document de l’EPA a été émis, critiquant sévèrement l’étude d’impact environnemental de l’oléoduc, stipulant que celle-ci ne tenait pas compte de l’impact des sables bitumineux sur les changements climatiques.
Les groupes environnementalistes affirment que Keystone XL va augmenter la dépendance des États-Unis aux pétrole « sale » des sables bitumineux, qui émettent 37% plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel, met en danger la vie sauvage, détruit les forêts et pollue l’eau.
Le 26 juillet, le Département d’État américain a annoncé que la période de commentaires concernant le projet Keystone XL était repoussée de 90 jours, soit de la mi-Septembre à la mi-Décembre. Ce délai de 3 mois leur permettra de mieux étudier l’impact environnemental du projet. Ce délai pourrait évidemment retarder le début des travaux et occasionner du tort à TransCanada.
Évidemment, cela n’a rien à voir avec le fait que les élections de mi-mandat sont en novembre. Les démocrates n’oseraient jamais utiliser ce projet pour se faire du capital politique avant ces élections…
Néanmoins, les implications de ce petit jeu politique vont bien au-delà du projet en question. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les américains critiquent l’impact environnemental du développement des sables bitumineux, mais l’évolution de cette affaire dictera la marche à suivre des américains envers cette problématique. Keystone XL est en quelque sort devenu le fer de lance de la campagne anti-sables bitumineux des écolos américains.
Peut-être imposeront-ils un tarif spécial sur les importations de « bitumen ». Peut-être imposeront-ils des quotas d’importations. Les deux sont probables. Peu importe, ce sont les citoyens américains qui en souffriront le plus.
Les américains préfèrent-ils vraiment être dépendants de la future production de l’Irak ou du pétrole Russe, Iranien, Saoudien ou Vénézuélien? Veulent-ils vraiment continuer à mener de coûteuses (et polluantes) guerres à l’autre bout du monde pour sécuriser l’approvisionnement en or noir, alors qu’ils peuvent l’importer du Canada? Veulent-ils vraiment s’imposer une taxe supplémentaire sur le pétrole en cette période de marasme économique? Veulent-ils vraiment se priver d’un projet générateur d’activité économique? Sont-ils conscients que le pétrole le plus polluant produit en Amérique du Nord n’est pas celui des sables bitumineux, mais bien celui produit en Californie?
D’ailleurs, les environnementalistes continuent de vilipender les projets de sables bitumineux miniers. Or, comme de l’expliquais dans mon article du 26 mai dernier, environ 80% des sables bitumineux seront exploités par la méthode « in situ », qui a relativement peu d’impact sur l’environnement. Les groupes de pression tels que Greenpeace véhiculent en outre beaucoup de faussetés et de demi-vérités à l’égard des sables bitumineux, notamment au niveau de l’intensité de leurs émissions de GES. Après le Climategate, nous sommes habitués à la désinformation écolo-fasciste…
TransCanada soulignait récemment que le projet Keystone XL génèrera 13,000 emplois de construction (le taux de chômage est présentement de plus de 20% dans cette industrie), US$20 milliards en dépenses et US$585 millions en taxes aux États-Unis. Cela devrait certainement peser dans la balance.
D’autre part, la concurrente de TransCanada, l’entreprise canadienne Enbridge, développe présentement un projet alternatif : le Gateway Pipeline. Celui-ci relierait l’Alberta à la côte de la Colombie-Britannique, au port de Kitimat, où le pétrole serait chargé sur des cargos pétroliers et envoyé en Asie. Ce projet est d’ailleurs de plus en plus probable puisque les Chinois prennent de plus en plus de place dans les sables bitumineux canadiens.
En avril 2005, l’entreprise d’État Chinoise CNOOC a investi $122 millions pour acquérir 16.7% de l’entreprise MEG Energy. En mai 2005, Sinopec a acquis une part de 40% dans le projet Northern Light pour $105 millions, qu’elle a augmenté à 50% en avril 2009. En août 2009, PetroChina a acquis une part de 60% dans deux projets développés par Athabasca Oil Sands Corp. pour $1.9 milliards. En avril 2010, Sinopec achète une part de 9% dans le projet Syncrude, le plus gros projet de sables bitumineux, pour $4.7 milliards. Finalement, China Investment Corporation (CIC) annonçait récemment un partenariat avec l’entreprise Canadienne Penn West pour le développement de leur projet Seal (plus de $800 millions pour une part de 45%). De plus, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde ont aussi démontré un intérêt certain pour les sables bitumineux Albertains.
Ainsi, les manoeuvres politiques des américains ne sont qu’un coup d’épée dans l’eau puisque s’ils ne veulent pas de notre pétrole « sale », d’autres nations sont intéressées.
Ceci étant dit, la question qui tue : en nuisant au projet Keystone, est-ce que les démocrates ont vraiment à coeur les intérêts des citoyens américains ou plutôt leurs propres intérêts en tant que politiciens faisant face à une difficile élection en novembre prochain?
À suivre…
Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas….
Probablement qu’un tas de gens vont refuser de voir la réalité, encore…
Dire que les bons Californiens progressistes sont de sales pollueurs… 😉
Bien fort bien documenté, bravo!
On ne parle pas beaucoup du projet de renversement de flux du pipeline Trailbreaker ces jours-ci… En glisseras-tu un mot dans la deuxième partie?
http://jeanneemard.wordpress.com/2010/04/17/trailbreaker-les-choix-difficiles/
À moins que Keystone XL ne soit annulé, ce qui est improbable selon moi, je ne crois pas que Enbridge va aller de l’avant avec Trailbreaker.
Ils continuent le développement du projet « au cas où », mais avec Alberta Clipper et Keystone XL, pas besoin de Trailbreaker.
D’ailleurs, les producteurs trouvent qu’avec Keystone XL, il y aura trop de capacité pour le moment.
Suncor a même demandé à Enbridge de retarder la mise en service de Alberta Clipper, ce que Enbridge a refusé en avril dernier.
Ainsi, je ne crois pas que les producteurs soient intéressés à s’engager pour Trailbreaker, du moins pas pour les 5 prochaines années.
Oups, je voulais dire « Billet fort bien documenté »…