Le document de 1,408 pages soumis au Sénat américain par le démocrate Chris Dodd comporte des failles très graves qui font en sorte d’augmenter le risque de crise financière (plutôt que de le réduire) et qui démontrent que les politiciens n’ont rien compris à la crise que nous venons de traverser.
La nouvelle réglementation propose la formation d’un “Financial Stability Oversight Council” dont la tâche consistera à identifier les institutions qui sont “too-big-to-fail” pour qu’elles soient sujettes à une règlementation plus sévère.
En désignant quelles banques qui sont jugées trop importantes pour ne pas êtres sauvées, cette mesure aura des effets non-désirables. Ces firmes jouiront d’une garantie implicite de l’État, ce qui leur permettra de prendre des risques démesurés. Elles se retrouveront en quelque sorte dans la même situation que Fannie May et Freddie Mac.
D’autre part, la loi permettra au gouvernement de saisir les actifs d’une banque qu’il juge en position financière précaire. Elle permettra à la FDIC d’avancer les fonds nécessaires à rembourser les créditeurs de l’institution en détresse; autrement dit on rendra permanent le mécanisme qui a permis de renflouer AIG pour qu’elle puisse rembourser $13 milliards à Goldman Sachs. Pour ce faire, la FDIC bénéficierait d’une ligne de crédit octroyée par le Trésor Américain, rien de moins!
La nouvelle réglementation prévoyait aussi la création d’un fonds de $50 milliards prélevé auprès des banques et visant à financer un éventuel sauvetage (plutôt que par les contribuables). Évidemment, les banques auraient repassé ces frais à leurs consommateurs sous forme de hausses de prix ou de nouveaux frais et comme ce sont des dépenses, elles auraient été déductibles d’impôts. Cette mesure étant trop stupide, elle sera apparemment retirée du projet de loi puisqu’elle aurait fortement encouragé la prise de risque.
Autre mesure stupide : en cas de crise de liquidité, le FDIC pourrait garantir les créances de toutes les banques (pas seulement celles qui sont en détresse). Ainsi, les banques ne craindront plus les crises de liquidité, ce qui leur permettra de prendre des risques encore plus démesurés.
Par ailleurs, la nouvelle loi obligerait tous les produits dérivés à être transigés sur des marchés publics; on bannirait ainsi les transactions « over-the-counter » qui permettent beaucoup de plus de flexibilité au niveau de la gestion des risques. C’est le genre d’arrangement que AIG avait avec Goldman Sachs. Si le gouvernement est défavorable aux dérivés OTC, il n’avait qu’à laisser AIG faire faillite. Ça aurait été suffisant pour convaincre les agents financiers d’être prudents avec ces produits. Au contraire, le gouvernement préfère l’approche liberticide « one-size-fits-all » et jette le bébé avec l’eau du bain. Ainsi, si un contrat n’est pas bien transigé sur les marchés publics, certaines entreprises seront incapables de couvrir leurs risques financiers.
Finalement, il est selon moi aberrant que cette réforme ne touche pas à Freddie Mac et Fannie Mae, qui ont pourtant été au cœur de la bulle immobilière et de la crise financière et qui ont nécessité $125 millards en fonds publics dans le cadre du bailout. En fait, tout ce qui a été fait à leur égard a été d’éliminer le plafond de bailout que ces institutions peuvent recevoir!
Conclusion :
Il est fort louable de vouloir éviter les bailouts dans le futur, mais il faut faire en sorte que la nouvelle réglementation n’ait pas d’effets non-anticipés qui aient comme impact d’augmenter le risque de crise financière.
Comme je l’ai démontré dans un billet récent, ceux qui accusent la dérèglementation du système bancaire pour la récente crise financière ont tout faux. Et si on étudie les circonstances qui ont mené à cette crise, il y a une chose évidente qu’on peut observer : les bailouts causent les crises financières.
Au cours des 25 dernières années, il y a eu – entre autres – le bailout de Continental Illinois, le Resolution Trust de la crise des S&L et le sauvetage de Long-Term Capital Management (LTCM). Ces interventions étatiques ont eu comme effet de créer un risque moral important sur les marchés financiers. Elles ont donné l’impression aux acteurs des marchés financiers que, quoi qu’il arrive, l’État et la Federal Reserve seront là pour sauver les banques. Le résultat inévitable de cela a été la prise de risques démesurés et l’utilisation excessive du levier financier.
Une véritable réforme du système financier ferait en sorte d’énoncer clairement que dorénavant, le gouvernement n’interviendrait plus pour sauver qui que ce soit avec l’argent des contribuables et rendrait les bailouts inconstitutionnels. Dans ces circonstances, les banques n’auraient pas le choix de réduire le niveau de risque qu’elles prennent, à défaut de faire fuir leurs investisseurs.
De plus, il faudrait réduire les pouvoirs de la Federal Reserve, de façon à lui empêcher d’exercer le fameux « Greenspan put »Lorsqu’on parle de « Greenspan put », cela signifie qu’en cas de débâcle boursière ou financière, les investisseurs s’attendent à ce que la banque centrale intervienne. À cet égard, on peut citer le crash de 1987, la première guerre du Golfe, la crise mexicaine, la crise asiatique, la crise de LTCM, le crash techno de 2001, les attaques du 11 septembre 2001 et la crise financière de 2007/2008.
Cette attente conditionne un comportement irresponsable de la part des banques et des autres acteurs des marchés financiers, qui savent qu’en cas de crise, ils seront sauvés et que la liquidité sera maintenue. Ce comportement irresponsable amplifie aussi les crises financières.
En terminant, ai-je besoin de vous spécifier que Fannie Mae (tout comme Freddie Mac) bénéficie de plusieurs privilèges de la part du gouvernement américain. Exemption de l’impôt, garantie implicite du gouvernement et passe-droits au niveau de la règlementation, entre autres. Pour préserver ces avantages, cette entreprise a dépensé $170 millions en lobbying entre 1998 et 2007 et $19.3 millions en contributions électorales entre 1990 et 2007. Les deux plus grosses contributions électorales de cette entreprises à la dernière élection ont été à Chris Dodd (en charge du Senate Banking Committee et qui a déclaré en juillet 2008 qu’il n’y avait aucun problème avec Freddie et Fannie), et à Barrack Obama en seconde place. Le sénateur Dodd est d’ailleurs celui qui a reçu la plus grande contribution de la part de Countrywide Financial, un leader dans le domaine des hypothèques sub-prime. D’autre part, l’assureur AIG, qui a bénéficié d’un important bailout, a été une source importante de dons pour la dernière campagne électorale, dont les principaux bénéficiaires ont été Barrack Obama et Chris Dodd. Pour plus de détails, voir ceci.
Corrigez-moi si cette règlementation ne permet pas d’étouffer les petites banques au profit des grosses qui sont proches du pouvoir. Ce ne serait pas trop surprenant considérant que Dodd a beaucoup de ti-namis sur Wall Street.
Vivement les élections que Peter Schiff ait la chance de lui botter le derrière.
@Philippe
« Corrigez-moi si cette règlementation ne permet pas d’étouffer les petites banques au profit des grosses qui sont proches du pouvoir. »
Tout à fait.
On peut déjà voir les impacts sur les parts de marchés des petites versus grosses banques.
Ainsi, à cause du bailout, on va se retrouver avec un secteur bancaire encore plus concentré dans les grosses banques et donc avec encore plus de banques « too-big-too-fail ».
N’est-ce pas là un excellent exemple d’effets pervers non-intentionné de l’interventionnisme étatique…
Supprimons la finance. Qu’a-t-elle apporté au développement humain?
@asse42
Après une profonde respiration, je me contente de vous diriger vers ce billet:
https://minarchiste.wordpress.com/2009/09/25/le-role-economique-du-marche-des-capitaux/
Mon billet qui sera publié le 11 mai prochain (sur le capital) sera aussi important à cet égard.
Minarchiste,
J’aime beaucoup la simplicité de vos explications, peu importe le sujet. J’aimerais bien vous entendre sur la nationalisation des banques, politique que suggère Léo-Paul Lauzon aujourd’hui et qui, selon lui «ça réglerait tous les problèmes».
J’aimerais bien entendre les arguments de base contre la nationalisation (des banques ou de toute autre industrie).
Merci.
@Don
Vous faîtes sans doute référence à ceci:
http://www.nouvelles.uqam.ca/index.php?article=1596
Personnellement, je favorise une réforme en profondeur du système bancaire de façon à éliminer tous les privilèges étatiques dont cette industrie bénéficie, incluant la banque centrale (voir Le Programme Minarchiste Fédéral). Cependant, la nationalisation n’est vraiment pas souhaitable.
« augmenter les impôts et les taxes des banques canadiennes sur leurs profits; »
Est-ce qu’augmenter les impôts des banques ferait en sorte de réduire le risque de crise? Non. À mon avis, toutes les entreprises devraient être imposées au même taux.
Même chose pour les particuliers…
Concernant ses dires sur les impôts des banques, les 6 plus grosses banques ont à elles seules payé $3.8 milliards en impôts en 2009, soit 20.5% de leur bénéfice avant impôts.
« modifier les lois fiscales afin que la rémunération des dirigeants d’entreprises versée en options d’achat d’actions soit entièrement imposée; modifier les lois fiscales sur l’imposition à taux avantageux des dividendes;abolir plusieurs abris fiscaux qui ne profitent qu’aux banques et aux nantis; »
Pas de problème, à condition que l’argent supplémentaire recueilli par l’État soit utilisé pour réduire les impôts de l’ensemble des contribuables.
« mettre fin aux subventions directes et indirectes de milliards de dollars en fonds publics aux banques privées canadiennes; »
Absolument! Éliminons aussi la Banque du Canada, l’assurance-dépôt et la SCHL.
« cloisonner et réglementer le secteur des banques afin d’interdire la spéculation; »
Absolument grottesque, j’en ai parlé à plusieurs reprises sur ce blogue.
« restreindre les banques à leur rôle fondamental, soit recevoir des dépôts et faire des prêts aux entreprises et aux particuliers. »
Encore une fois, une mesure liberticide qui ne changerait rien à la probabilité de crise. En fait, ce sont les institutions qui font à la fois des opérations personnelles et commerciales, ainsi que des opértations d’investissements, qui ont le mieux traversé la crise! (voir mon billet Dérèglementation mon oeil)
« de 2007 à 2009, les banques ont augmenté substantiellement les montants versés à leurs actionnaires et à leurs dirigeants, distribuant 73 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d’actions. »
So what? Les plus gros actionnaires des banques sont les fonds de pension, donc nous (la population)! Les banques sont des entreprises privées, à elles de faire ce qu’elles veulent avec leurs profits (réinvestir ou distribuer).
«il faudrait faire comme en Europe et aux États-Unis : nationaliser les banques canadiennes en tout ou en partie afin de créer plus de richesse collective et de mieux la partager».
À cela je répond: nommez-moi les pays qui ont les systèmes bancaires les plus nationalisés (c’est-à-dire ceux qui ont des banques appartenant à l’État)…
Au cas où vous n’en connaîtriez pas, je peux vous donner l’exemple du Bangladesh, où les plus grandes banques commerciales on été nationalisées au nom du socialisme.
Résultat: le secteur bancaire est sous-développé, les pertes sur prêts sont faramineuses, la fraude et la corruption omniprésentes, et l’hyper-inflation est désastreuse. L’entreprenariat et l’investissement y sont déficient ce qui laisse la population dans la pauvreté.
Autres systèmes bancaires étatiques:
Cuba, Zimbabwe, Éthiopie, Haiti, Sierra-Leone, Congo, Iran, Vénézuela, Bélarus et Ukraine.
Même recette, même résultat…
Est-ce vraiment à ça que M. Lauzon aspire pour le Canada?
Non merci!