Je suis tombé hier sur un article intéressant de la Federal Reserve of Cleveland, portant sur les différences entre les marchés immobiliers américains et canadiens. L’article cherchait plus précisément à identifier les raisons pour lesquelles le marché canadian avait mieux fait. Les deux suspects évoqués sont 1) la politique monétaire et 2) les conditions de prêts.
Il faut d’abord noter que le marché immobilier résidentiel canadien a beaucoup mieux fait que celui des États-Unis (voir graphique 1). Plusieurs observateurs, tels que le magazine The Economist ont décrit le Canada comme “a country that got things right.” Il n’en demeure pas moins que le marché canadien a connu une hausse fulgurante suivie d’une baisse significative en 2008, pour ensuite se redresser un 2009.
1. Prix des maisons
Sources: U.S.: S&P/Case-Shiller (20-city); Canada: Teranet (6-city).
Au niveau du levier financier, le Canada paraît mieux, ayant un pourcentage beaucoup moins élevé d’hypothèques avec un ration d’endettement de plus de 80% (voir tableau 2). La principale raison selon moi est qu’au Canada, toute hypothèque avec un ratio d’endettement supérieur à 80% doit être assurée auprès de la SCHL aux frais de l’emprunteur, ce qui décourage cette pratique.
2. Distribution des hypothèques par ratio d’endettement (%)
United States | Canada | |||
LTV ratios | 1999 | 2005 | 2007 | 2006 |
0–80 | 76.48 | 79.14 | 78.12 | 84.79 |
80–90 | 10.55 | 8.98 | 9.66 | 8.81 |
90–100 | 7.56 | 6.37 | 6.93 | 1.53 |
100+ | 5.41 | 5.51 | 5.28 | 4.87 |
Sources: Bank of Canada Financial System Review December 2007; American Housing Survey.
L’article apporte aussi notre attention sur une différence notable entre les deux marchés, qui est que le taux de délinquence a commencé à monter avant de le taux de chômage aux États-Unis, alors qu’au Canada le taux de délinquence a commencé à monter après le taux de chômage. Il semble donc que l’évolution différente des marchés immobiliers des deux pays puissent tirer son origine des conditions de crédit.
3. Taux de délinquence hypothécaire (90 jours et plus)
Sources: U.S.: Mortgage Bankers Association. National Delinquency Survey; Canada: Canadian Bankers Association.
L’article semble reconnaître que la politique monétaire ultra-expansionniste des deux banques centrales est en partie à l’origine des « boums » immobiliers des deux pays, mais il écarte que celle-ci soit à l’origine de la différence de performance entre les deux marchés puisque les deux pays ont eu des politiques monétaires similaires et des taux hypothécaires similaires.
4. Taux cible des banques centrales
Source: International Monetary Fund,International Financial Statistics.
L’article présente les conditions de crédit comme étant la différence principale entre les marchés immobiliers des deux pays. Bien que le marché « subprime » et Alt-A ait connu une certaine croissance au Canada entre 2002 et 2006, il est demeuré beaucoup plus petit qu’aux États-Unis, où il a littéralement explosé. De plus, le Canada n’a pas introduit de nouveaux produits risqués tels que les intérêts-seulement et amortissement-négatif, dont la popularité a été sans cesse croissance aux États-Unis durant le boum. Finalement, le Canada a beaucoup moins utilisé la désintermédiation financière; la croissance de la titrisation hypothécaire a été beaucoup moindre (les fameuses mortgage-backed securities ou MBS).
L’autre facteur que j’ajouterais est que les banques canadiennes ont maintenu des niveau de capital et de liquidité nettement supérieurs aux banques américaines et européennes, ce qui leur a fourni un coussin suite à la crise.
En somme, l’article semble chercher à déculpabiliser la Federal Reserve pour son rôle dans la crise immobilière et à rejetter le blâme sur les banques. Il est bien vrai que les différences structurelles du marché hypothécaire canadien relativement à son homologue américain (assurance hypothécaire pour les prêts à plus de 80% de LTV, moins de subprime/Alt-A, absence de produits interest-only et negative-amortization, moins de titrisation) ont ralenti et le boum et, à tout le moins, retardé le « bust ». Il n’en demeure pas moins que les deux pays ont eu une politique monétaire inflationniste et que les deux pays ont gonflé une bulle immobilière qui a créé beaucoup de distorsions dans l’économie. La différence est que le Canada a été capable de maintenir sa bulle gonflée en injectant de l’argent des contribuables dans la SCHL…
J’ajouterais à ça que la bulle canadienne doit éclater un jour ou l’autre et il y aura une sévère correction dans le marché immobilier et ce sera le contribuable canadien qui va vraisemblablement payer la note.
@Philippe
Je ne suis pas convaincu que ce sera pour bientôt.
Le gouvernement semble disposé à la maintenir gonflée coûte que coûte à travers la SCHL et notre système bancaire est en relativement bonne santé. Bref, le crédit coule à flots.
@ Minarchiste
La BduC ne peut pas maintenir les taux d’intérêts près de zéro éternellement. Tôt ou tard, l’IPC va commencer à grimper et ils devront faire monter les taux. Ça va faire mal quand ça ce produira, mais c’est mathématiquement inévitable.
@Philippe
Oui, mais ça dépend.
Si au moment où ils monteront les taux l’économie se porte mieux et que l’emploi est très fort, le marché immobilier restera gonflé.
Mais s’ils montent les taux alors que l’économie est encore faible (et qu’elle faiblit encore plus suite à le hausse de taux), là le marché s’écroulerait.
@ Minarchiste
Le blogueur Jonathan Tonge semble avoir de très bons arguments pour démontrer que l’éclatement de cette bulle est inévitable.
En passant Philippe, t’as pas commenté mon billet de vendredi?
J’aurais bien aimé avoir ton input…
https://minarchiste.wordpress.com/2009/12/11/le-100e-billet-du-minarchiste/
Que pensez-vous de cet article : http://mises.ca/posts/articles/canadas-banking-system-exposed ? Je trouve que c’est peut-être un peu trop alarmiste… mais il me semble qu’il y a plusieurs points intéressants.
De votre côté vous avez souvent parlé des différences réglementaires (les nombreuses politiques d’accessibilité à la propriété et la responsabilité limité) expliquant pourquoi la bulle aurait éclaté plus fortement et plus tôt aux États-Unis.
Mais pour la titrisation et les MBS vous avez souvent dit que c’était pire avec la SCHL. Est-ce seulement parce que la garantie est explicite plutôt qu’implicite ?
Vous dites après que la titrisation et les subprimes sont moins présents ici qu’aux Etats-Unis. Finalement les différences de maturité hypothécaire, l’obligation d’une assurance hypothécaire au-delà de 80%, l’absence de nouveaux produits risqués tels que les intérêts-seulement et amortissement-négatif, etc.. Tout cela est-ce de par la réglementation ? Sinon… comment expliquer cette différence entre les deux pays ?
@etagrats
« Je trouve que c’est peut-être un peu trop alarmiste… mais il me semble qu’il y a plusieurs points intéressants. »
C’est alarmiste, mais en même temps il est difficile de voir le marché immobilier imploser sans que la Banque du Canada n’augmente son taux directeur, et cela n’est pas prêt de se produire.
« Est-ce seulement parce que la garantie est explicite plutôt qu’implicite ? »
Oui.
« Tout cela est-ce de par la réglementation ? »
Oui, c’est la règlementation négociée avec les grandes banques, ce qui bloque la concurrence des petites firmes de « shadow-banking » qui causèrent problème aux USA.
Mais n’allez pas conclure que « la règlementation est la solution ».
L’idée est que dans un marché où 1) les banques opèrent à réserves fractionnaires, 2) la politique monétaire est très inflationniste (taux d’intérêt très bas) et 3) le gouvernement subventionne directement le marché immobilier à travers la SCHL, la règlementation vient certainement contenir – jusqu’à un certain point – les excès engendrés par ces 3 politiques.
Sur un libre-marché, la règlementation ne serait pas nécessaire puisque les excès seraient naturellement limités.
Finalement, notez que depuis que j’ai publié cet article en 2009, le marché immobilier canadien a poursuivi son ascension et le problème a atteint de très grandes proportions. Disons que notre économique est présentement sur la corde raide…