Je suis tombé ce matin sur un article de Ian Barcelo sur Les 7 du Québec au sujet de la crise financière. M. Barcelo semble considérer les produits financiers dérivés comme étant à la source de la crise financière et les juge comme de vilains outils de spéculation. Il semble d’ailleurs méconnaître leur fonctionnement et mélange les futures, options et CDOs, les mettant tous dans le même panier.
Je trouve cette façon de voir les choses très “infantilisante”. Comme si ces investisseurs qui en ont acheté (surtout des institutions telles que des fonds de pension) étaient des petits enfants qu’il fallait protéger contre le gros méchant loup.
Prétendre que les dérivés sont responsables de la crise financière, c’est comme prétendre que les constructeurs automobiles sont coupables des accidents routiers parce qu’ils fabriquent des voitures qui roulent à plus de 100 km/h (alors que c’est la limite la plus élevée au Québec).
Et ces investisseurs qui ont acheté ces titres sans broncher, sans faire leur devoir de fiduciaire? Et ces acheteurs/spéculateurs de maisons, qui ont acheté des propriétés dont ils n’avaient pas les moyens dans l’unique but de les revendre dans un an à profit? Je leur dit tous “bien bon”!
Par exemple, la Caisse de Dépot, ces supposés “experts du placement”, qui ont utilisé l’argent-que-la-Régie-des-Rentes-nous-subtilise-de-force pour investir dans ces titres, sans se poser trop de questions étant donné les cotes de crédit “en béton” fournies par S&P, Moodys, etc.
Se débarrasser des dérivés serait comme jeter le bébé avec l’eau du bain. Ces produits sont forts utiles pour tous lorsqu’ils sont transigés par des gens compétent qui font bien leur travail. Ils permettent aux investisseurs d’accéder à une classe d’actifs offrant un profil risque / rendement fort intéressant, que sont les hypothèques. Ils permettent à ce capital de se rendre jusqu’aux emprunteurs qui peuvent financer leur propriété à un taux sensiblement meilleur. Les banques agissent comme intermédiaires et sont dûment rémunérées.
Le véritable problème ce n’est pas l’existence des dérivés. Le problème c’est que des incompétents ont investi l’argent des autres comme s’il n’y aurait plus jamais de récession. Encouragés par une politique monétaire qui a innondé le marché de liquidités et par l’impact des interventions gouvernementales sur le marché immobilier, ils ont acheté des titres trop compliqués pour eux sans se poser de questions, flairant un meilleur rendement et un bon bonus. Profitant de la naïveté des investisseurs, du manque d’indépendance et de profondeur des agences de crédit et d’une règlementation archaïque et inadéquate, les originateurs de prêts ont sans cesse étiré l’élastique, jusqu’à ce qu’il leur casse en plein visage.
Et maintenant que c’est le temps que ces incompétents paient pour leurs erreurs, il faudrait l’argent des contribuables servent à les sauver? Elle est là la vraie fraude M. Barcelo!
Confiez votre argent à des investisseurs conservateurs (dans le doute on s’abstient) responsables (tributaires de leurs erreurs dans un contexte de compétition) et compétents, prenant au sérieux leur rôle de fiduciaire. Malheureusement, avec l’existence de la Caisse de Dépot, nous n’avons pas la liberté de faire ce choix…
À la base, une mortgage-backed security (MBS), par exemple, n’est qu’un pool d’hypothèques. Disons que le taux moyen de ce pool est de 6.5%, la banque vend ce portefeuille à des épargnants à un taux de 5.75% et empoche la différence. Rien de mal là-dedans a priori. Ça permet à des épargnants d’avoir accès à un produit de placement offrant un excellent taux compte tenu du risque (les propriétés en garantie et la diversification du portefeuille réduisent la perte potentielle). Et ça permet à des emprunteurs d’obtenir un meilleur taux.
Cependant, les MBS ne sont pas tous “nées égalles”. Il y a différentes structures, différentes classes d’actifs, différentes tranches, etc. Avant d’y investir, il faut analyser le portefeuille dont elles sont composées, le “score” moyen des emprunteurs, etc. Il faut surtout s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’un produit quasi-frauduleux dont la valeur pourrait s’envoler en fumée.
Dans bien des cas, les investisseurs ont délégué ces responsabilités aux agences de crédit, prenant une cote AAA comme si c’était une révélation divine. À quoi sert leur salaire dans ce cas puisqu’ils délèguent leur travail?
En somme, les produits financiers dérivés sont des outils nécessaires au fonctionnement efficient des marchés financiers. Leur existence n’est pas sur ma liste des causes de la crise financière, laquelle se détaille comme suit:
1) Politique monétaire ultra-expansionniste.
2) Interventions gouvernementales pour augmenter l’accès à la propriété (Community Reinvestment Act, Fannie Mae/Freddie Mac, etc).
3) Manque de compétence et de vigilance des investisseurs.
4) Laxisme des agences de crédit (en raison du manque d’indépendance) et trop grande confiance des investisseurs envers elles.
5) Règlementation inadéquate des CDOs, permettant les orginateurs de créer des titres quasi-frauduleux.
Bonsoir,
« 3) Manque de compétence et de vigilance des investisseurs. »
Sur le manque de vigilance, je pense que la bulle y est peut-être pour quelque chose. C’était l’euphorie, et il est possible que les investisseurs étaient moins vigilants. Ils n’ont pas appliqué le « caveat emptor ».
« 5) Règlementation inadéquate des CDOs, permettant les orginateurs de créer des titres quasi-frauduleux. »
De quelle règlementation inadéquate parlez-vous ?
@M.H.
« De quelle règlementation inadéquate parlez-vous ? »
Voir ceci:
https://minarchiste.wordpress.com/2010/08/18/les-bulles-speculatives-partie-3/
J’ai vu l’article, mais je ne suis pas certain de comprendre.
La titrisation c’est d’abord une innovation financière. Elle a surtout servi à cacher les risques sous le tapis et à les refiler à d’autres.
D’après mes connaissances, il n’y avait pas de règlementations, à proprement parler, sur les CDO. Il y en avait, et même beaucoup, mais pas à ce niveau là.
Très généralement, les lois ont encouragé les prises de risques.
Toutefois, je ne vois pas où sont les règlementations qui ont « permis aux banques de créer des titres quasi-frauduleux ». (La construction d’un CDO n’était aucunement réglementée, par exemple)
Peut-être vous êtes-vous mal exprimé ?
P.S. Simple curiosité…
Si par hasard nous avions séparé banque de dépôt et banque d’investissement, les crédits subprimes aurait-ils pu être titrisés ? La crise aurait-elle été évitée ?
Je sais, la question semble stupide tant la réponse semble apparaître dans l’article du lien, mais j’aimerais quand même avoir votre avis.
@M.H.
« Si par hasard nous avions séparé banque de dépôt et banque d’investissement, les crédits subprimes aurait-ils pu être titrisés ? »
Ça aurait peut-être été plus difficile, mais les joueurs clés dans la titrisation des subprime sont les GSEs (Freddie et Fannie).
Cela répond aussi en partie à votre première question. La règlementation entourant Freddie et Fannie est au coeur du problème. C’est grâce à des lois comme le CRA que le marché du crédit « subprime » a été créé et a pu prendre autant d’ampleur. Des prêts hypothécaires « subprime» furent ainsi consentis à des emprunteurs à risque caractérisés par des revenus insuffisants, de mauvaises cotes de crédit et des mises de fonds faibles ou nulles. L’expérience démontrait pourtant que les subprimes avaient dix fois plus de chances que les prêts hypothécaires normaux de se terminer par une saisie. Pourquoi les prêteurs hypothécaires ne craignaient-ils pas la fin de la bulle et les défauts de paiement qui s’ensuivraient nécessairement? Parce que plusieurs ne conservaient pas les prêts hypothécaires comme actifs à leur bilan, mais les titrisaient pour les revendre sur le marché. Et les intermédiaires de choix pour la titrisation étaient Freddie et Fannie, puisque leurs MBS bénéficiaient d’une garantie implicite de l’État.
Il est important de comprendre que les Fannie et Freddie garantissaient les MBS qu’ils émettaient et que comme ces entreprises bénéficiaient d’une garantie implicite du gouvernement, les investisseurs prenaient pour acquis que ces titres MBS étaient indirectement garantis par le gouvernement fédéral, et donc sans risque.
Autrement dit, les titres frauduleux pouvaient être vendus puisqu’ils avaient reçus l’étampe des GSEs. C’est de ça que je parlais.
D’autre part, afin de respecter leurs quotas de subprime significativement augmentés en 2004, Freddie et Fannie ont dû se mettre à racheter des hypothèques de ce type sur les marchés MBS, de l’ordre de plus de $1.5 billion ($1,500,000,000,000).
De plus, voir la section sur les agences de notation de l’article suivant:
https://minarchiste.wordpress.com/2010/04/14/dereglementation-mon-oeil/
minarchiste,
« les investisseurs prenaient pour acquis que ces titres MBS étaient indirectement garantis par le gouvernement fédéral, et donc sans risque. »
C’est intéressant. Je ne le savais pas.
Enfin, grosso modo, je suis d’accord avec ce que vous dites (notamment sur le lien que vous m’indiquez, à une chose près) : il y a eu beaucoup d’incitations de part et d’autres.
A mon avis, on peut aussi rajouter les lois sur les délits d’initiés, qui ont sans nul doute rendu les investisseurs encore moins prudents, c’est le billet que j’écrivais hier : http://analyseeconomique.wordpress.com/2010/10/14/sur-les-transactions-dinities/
(c’est d’ailleurs pour ça que j’ai pas pu vous répondre plus tôt)
@M.H.
« C’est intéressant. Je ne le savais pas. »
….et tu n’es pas le seul!
C’est pourquoi une fois que l’on reconnaît l’importance des GSEs dans la crise financière, il est absolument absurde de parler d’une faille du capitalisme.
Je ne sais pas si certains sont au courant mais…
Il y a même pas 2 mois, un article paru sur le site de propublica (et d’autres) indiquent que les banques se sont amusées à faire gonfler artificiellement la demande des paquets titrisés : « vous n’avez plus d’acheteurs ? eh bien, vendez-le à vous-même ! ».
http://www.propublica.org/article/banks-self-dealing-super-charged-financial-crisis
Ce qu’il s’est passé, c’est que le CDO, composé de 3 niveaux de risques (Super Senior, Mezzanine, Equity), est vendu en tranches, découpés et revendus. Super Senior aux banques, Equity aux Hedge Funds, et le Mezzanine servant à créer de nouveaux CDO, toujours en 3 tranches, et le processus se répétant à l’infini. C’était utilisé très intensément entre 2006 et 2007.
Ça rappelle étrangement la technique qu’utilisait Enron pour gonfler sa valeur, jusqu’à son effondrement. Un peu comme les agences de notation qui continuaient à distribuer des triples-A alors que le marché commençait à fuir les titrisations.
Les sur-notations n’ont pas pu restaurer la confiance, et c’était couru d’avance. Je me demande si c’est la même chose pour cette technique de « revente à soi ». Car à partir de 2006, la méfiance s’est installée sur les marchés, et aucun stratagème n’a pu renverser la tendance. Je me demande quel impact cela a eu. Était-ce uniquement destiné à masquer les pertes des banques ?